L'enfance et l'adolescence de Paul Colin baignent dans « l'effervescence créatrice qui anime alors sa ville natale, Nancy, l'un des centres de l'Art nouveau ». Apprenti dans une imprimerie en 1907, élève en 1910 d'Eugène Vallin et de Victor Prouvé à l'École des beaux-arts de Nancy, il s'affirmera après la Première Guerre mondiale — où il est blessé à la bataille de Verdun en 1916 — comme le chef de l'école moderne de l'affiche lithographiée, ou passant par de nouvelles techniques de reproduction faisant appel à l'héliogravure et la sérigraphie. Il sera l'auteur de plus de 1 400 affiches et, selon Gérald Schurr, de plus de 700 décors de théâtre et de costumes.
Il semble que ce soit par hasard que Paul Colin, plusieurs années après la Première Guerre mondiale, retrouve à Paris, où il s'est installé après à la suite de sa démobilisation et où il est encore un peintre provincial inconnu donnant des dessins à plusieurs revues comme Fantasio, son ancien camarade de front André Daven devenu directeur adjoint du Théâtre des Champs-Élysées et qui l'en nomme affichiste et décorateur4. Le théâtre accueille alors les Ballets suédois de Rolf de Maré, amenant Paul Colin en 1925 à créer l'affiche du film Le voyage imaginaire de René Clair dont Jean Börlin, danseur-étoile du groupe, est la vedette.
13, rue Jacques-Bingen, Paris
Paul Colin est cependant révélé en cette même année 1925 par son affiche pour la Revue nègre pour laquelle, avant de livrer la version finale, il suit longuement les répétitions de la troupe venue de Broadway, constituée de quinze musiciens dont Sidney Bechet et de treize danseurs dont une jeune fille d'à peine 18 ans, Joséphine Baker, qui remplace la vedette new-yorkaise ayant refusé de faire le voyage. L'affiche de Paul Colin contribue à lancer la carrière de Joséphine Baker — après leur liaison amoureuse ils demeureront amis— en même temps que la sienne : « elle attire immanquablement l'œil du public qui aspire à se perdre dans ce ballet de survivants fougueux et érotiques, relève Chantal Humbert. Dans une géométrisation marquée par l'influence africaine, Paul Colin met en scène avec brio le long corps de Joséphine Baker et le place en sandwich entre deux têtes de musiciens nègres ». Devenu l'affichiste à la mode, Paul Colin va travailler pendant près de quarante ans pour les arts de la scène et le monde du spectacle, « pensant l'affiche en composition fermée rythmée par un système géométrique simple qui accroche facilement l'œil »6. C'est également pendant quarante années de son existence, rappelle Jacques Couelle, que l'École Paul Colin, qu'il fonde en 1926 au 13, rue Montchanin (aujourd'hui rue Jacques-Bingen) dans le 17e arrondissement de Paris, attirera « près de quatre mille élèves venus de plus de vingt pays différents, tous séduits, fervents ou respectueux de leur maître. Succès d'académisme sans précédent ».
Son style, au début très marqué à la fois par l'Art déco et la Nouvelle Objectivité, devient rapidement très personnel et difficile à faire entrer dans une simple catégorie : l'efficacité dans le dépouillement (« l'affiche doit être un télégramme adressé à l'esprit » résume-t-il lui-même), la justesse synthétique de ses portraits, la force d'évocation de ses affiches pour les grandes causes en font un maître de la communication visuelle dont l'œuvre reste aujourd'hui exemplaire et très actuelle.
Son album Le Tumulte noir (1927), magnifiant lui aussi Joséphine Baker (« Sous ses yeux, pour la première fois, je me sentais belle » écrit-elle9, ajoutant dans la préface de l'album : « il fait de plus en plus noir à Paris. Bientôt il fera si noir qu'il faudra d'abord une allumette pour y voir clair, puis une autre pour savoir si la première est bien allumée ou non. » et les musiciens de jazz de la Revue nègre, constitue sans doute un chef-d'œuvre, « sa création la plus libre, la plus inspirée et débridée, vibrante de couleur et de mouvement » : « si elle n'échappe pas aux stéréotypes d'une époque, estime Valérie Marin La Meslée, cette traversée au bout de la nuit noire bruit d'une folle énergie, en captant jusqu'aux rythmes du jazz qui embrasent les silhouettes croquées sur scène et dans le public ».
Il est en 1929, en même temps que membre de la nouvelle Union des artistes modernes, le fondateur et directeur d'une école de dessin, l'école "Paul Colin", sur le boulevard Malesherbes à Paris. Il y forme des élèves de toutes les nationalités, par exemple l'allemande Ruth Bess devenue une artiste reconnue et plus particulièrement le célèbre affichiste Bernard Villemot. En 1931, il dessine un portrait de Suzy Solidor à la demande de Jean Mermoz, alors amant de celle-ci. En 1932, il effectue un voyage en Russie.
Paul Colin prend position dans la Guerre d'Espagne en faveur du camp républicain, ainsi que l'énonce son affiche de 1939 Paris ne doit pas être le Madrid de demain, assiégé par la Reichswehr de Hitler - Liberté commerciale pour l'Espagne républicaine dont la silhouette, dramatiquement cubiste et revêtue d'un champ de ruines, est annonciatrice de ses affiches de 1945-1946. L'affiche signée de Paul Colin Silence, l'ennemi… guette vos confidences qu'édite en février 1940 le gouvernement français de la Troisième République restitue l'inquiétude ambiante, dans une époque où règne un climat d'espionnite, quant au danger mythique de la « cinquième colonne » selon lequel des Français pro-hitlériens ou des allemands réfugiés en France travailleraient dans l'ombre à la défaite. Si, après l'armistice de juin 1940, l'artiste crée plusieurs affiches à thèmes humanitaires, il se refuse à travailler tant pour l'occupant allemand que pour l'État français et revient ainsi à la peinture de chevalet en brossant des Bouquets de fleurs.
La reprise de son travail d'affichiste est marquée par la Marianne aux stigmates, allégorie de la République en vêtements de ruines et bonnet phrygien, portant aux mains les stigmates de la crucifixion, souffrante mais debout, le regard tourné vers les libérateurs. Peinte dans les seules trois couleurs nationales le 14 août 1944, date à laquelle Paris n'est pas encore libérée, Marianne aux stigmates est destinée à être reproduite en grande quantité afin d'être affichée sur les murs des villes de France. L'affiche Hommage aux libérateurs de Paris est créée par Paul Colin pour une soirée organisée à l'initiative du journal Libération le 11 novembre 1944 au Palais de Chaillot.. Avec l'affiche Varsovie accuse en 1946, l'artiste saura de même « exporimer le pathétique du sujet avec un dépouillement extrême ». Le premier numéro de l'hebdomadaire résistant Action après la Libération reprend une de ses affiches qui avait été interdite.
Paul Colin a également été un important collectionneur des arts premiers d'Afrique noire et d'Océanie ainsi que de minéraux et de coquillages exotiques.
Au soir de sa vie, Paul Colin modèle des sculptures polychromes d'inspiration cubiste Il meurt le 18 juin 1985 à la Maison des artistes de Nogent-sur-Marne. Il est enterré au cimetière de Nogent-sur-Marne. « Plus qu'aucun autre, évoque Jean-Paul Crespelle, il aura été le témoin de son temps, au point que, lorsqu'on songe aux grands animateurs de cette époque, son nom vient sous la plume avec ceux de Pablo Picasso, Jean Cocteau, Coco Chanel, André Breton, Paul Morand, Louis Jouvet, Jean Giraudoux, Christian Bérard »