Article préparatoire avec de nombreuses biffures, annotations, rajouts pour un article paru le 18 avril 1914 dans « L’Homme Libre ».
Bel article politique de Clemenceau qui pointe du doigt la coalition boulangiste de Briand, Millerand et Barthou, qui malgré quelques différences superficielles, est un triumvirat antirépublicains fidèle au Boulangisme dont Briand était un ancien membre. Sous couvert d’une reprise des relations diplomatiques avec le Vatican, Clemenceau met en garde les français face à ce retour du boulangisme : « M. Briand s’est de ce qu’on se fut permis de composer avec le Boulangisme le mouvement de recul dont il a pris l’initiative et la direction avec M. M. Millerand et Barthou. Si l’on ne s’en tenait qu’aux manifestations extérieures, on trouverait, en effet, de très-vives dissemblances. Je ne vois, par exemple, ni Conte de Paris, ni cheval noir. Pour un civil la revue de Longchamp n’est pas nécessairement un bon terrain d’apothèse. Si l’on s’en tenait à cet aspect de l’affaire, il faudrait reconnaitre que M. Briand a raison. Mais tout un programme ne peut pas tenir dans un chapeau à plumes. Il est encore besoin d’une tête dessous, et si l’on vient à rencontrer dans le même bonnet les deux têtes si différentes au rayon de M. Briand et du général Boulanger, si leurs desseins s’expriment par une identité de critiques et de « programme », comment ne pas convenir qu’il existe, entre les deux opérations, une très forte parenté ? (…) A la vérité le duc d’Orléans ne donne pas de sa personne, comme a fait le Conte de Paris. Il est bien trop occupé à nous faire acheter sa forêt. Cependant, tous ses hommes, au parlement, sont entrés dans la presse, M. Arthur Mayer qui dit si joliment que son royalisme est son luxe, pour marquer qu’il pratique (…) le pardon des injures, apporte, sans abaisser le fanion son concours au triumvirat. Le prince Victor continue de manifester, ainsi qu’il faisait autrefois. Son effort est surtout de littérature, et j’ai montré hier que sa dernière production témoignait d’un touchant accort sur le principe d’une autorité sans contrôle avec un notable académicien qui venait, par hasard, de conférer avec notre Poincaré. Pour le pape et ses curés, pourraient-ils ne pas travailler au vicaire de l’entreprise quand on leur a déjà donné des gages avec le vendredi saint, comme par la tout affaire, à la Barthou, des manuels scolaires, et lorsqu’on les allèche d’une reprise des relations diplomatiques avec le Vatican, recommandée avec entrain par le même M. Hanotaux que devant. Le triumvirat traine donc à sa suite la même troupe disparate mais cohérente, que le général Boulanger. Tous les vaincus de la République, tous les représentants des régimes, des lois, des principes dont le peuple français en revenant au régime républicain, a entendu se débarrasser. J’ai déjà noté que très peu de parlementaires républicains s’étaient jetés dans l’aventure (…) Les modérés, en souvenir du 16 mai, bardaient encore la réaction. M. Briand, qui fut candidat du général Boulanger, ne devrait donc pas s’indigner si fort qu’on le surprenne encore, après quelques avatars, à reboulangiser. Aujourd’hui, tout le parti modéré s’est rapproché de la réaction pour essayer de revenir (…) sur quelques-unes des conséquences de la loi de séparation, et d’ancien radicaux, par l’odeur alléchés, sont accourus au fromage. Cela change les données de l’entreprise dans des circonscriptions électorales, sans qu’il y ait altération du fond. Comme il ne pouvait y avoir (…) parmi des gens venus de tous le partis, sur des idées positives, le mot d’ordre commun, négatif, consiste en cris et geste de mécontentement. Le général Boulanger fut le syndic des mécontents dont la République n’avait pas sollicité le concours pour se faire jeter bas. M. Briand ne faisait que revenir à ses origines, lorsqu’il nous signalait dans « Le pays » des signes de mécontentement. Ce « pays » là, il le connait, car il est de sa fabrication, et quant aux manifestations de mécontentement il en a lui-même donné le signal à Périgueux, comme Président du Conseil, par sa vive agression contre la majorité républicaine. Qu’il ne renie dont point sa véritable tradition qui est de Boulange boulangissime. Que le « pays » monarchiste, soit mécontent de se trouver en république, cela peut aisément se concevoir. L’accord des royalistes et des Césariens n’est pas plus surprenant que la rencontre des boulangistes et des républicains sous la Restauration. Que les cléricaux de l’absolutisme romain soit mécontents d’une République laïque qui leur impose le respect de la liberté, cela encore n’a pas besoin d’une explication approfondie. Mais le « pays républicains » de M. Briand, qu’est ce donc qui le mécontente si fort, il ne me parait pas impossible de le savoir. [ N’avez-vous pas remarqué l’absence de tout mécontentement, dans le « pays » de M. Briand, lorsque notre bonne fortune a voulu que ce même M. Briand fût le détenteur du pouvoir. Alors, la France, la vraie, celle qui l’a choisi pour prophète, était heureuse. De toutes parts, feux d’artifice et cris de joie. Ce n’était qu’astragales. Avec M. Barthou, ce fut très bien encore. M. Millerand, morose, depuis l’accident du Patz de Clain, boudait un peu. Mais M. Briand, non sans redouter les frasques personnelles de son Béarnais, reconnaissait en lui les traits, tout spéciaux de sa politique de « laïcité ». La joie universelle continuait de rigueur sans aucun mélange. M. Bartou touche (…) Je vois choir sur vous une crise de « mécontentement », comme, depuis le général à barbe blonde, nous n’en avions pas connu. Mauvais général, explosions de fureurs, cris d’animaux. Ce fut le déchainement calibunesque de toutes les passions exaspérées. Hier, nous étions au plus haut de la plébiscité souveraine. Aujourd’hui, tout au fond des abimes que vos desseins sont obscurs, puissances d’en haut ! Ne désespérons pas, cependant (…) M. Briand, tout plein de ficelles, nous propose, pour nous tirer d’affaire, de nous ligoter préalablement (…) parce que la liberté de nos mouvements gène l’ordonnance du sieur, M. Briand, moins brutal, soutient à la pratique aimable du ficelage autour des bras, autour des jambes, autour du cou (…) et nous savoir bien vite au point de ne plus rien demander. Pas de résistance (…). Sans doute on peut discuter sur la question de savoir si nous sommes ou non, dans le trou. Mais le général Boulanger n’admettait pas de discussion la dessus, de M. Briand pas d’avantage. Pour commencer ils essayaient, l’un et l’autre, d’exploiter le patriotisme à leur façon : le premier, en passade de cirque, le second expliquant (…) que la loi de trois ans est menacée. Le propos du patriotisme est de se résumer en leur personne : on ne sait ni pourquoi, ni comment. Tout ce qui touche un triumvirat à la propriété d’être une incarnation de la patrie (…) C’est par ces boniments, renouvelés de l’ancienne boulange, que la boulange du jour avait capté le peuple français (…) Depuis sa candidature « révisionniste », comme on disait alors, M. Briand peut changer d’opinion un certain nombre de fois, son état d’esprit, ses penchants, ses conceptions de la vie publique, sont demeurés les mêmes. Des modifications de termes, non de sentiments, ni de pensées. Bien loin de le calomnier, nous essayons simplement de le révéler à lui-même. Il n’est probablement pas le seul à ne se connaitre pas. Les évènements, nous ont donné une très courte période électorale. Elle suffira, sans doute, pour que la République reconnaisse les siens. Cette même République que M. M. Boulanger et Briand, d’une commune voix ont déclaré « inhabitable » et que les fils de la Révolution française continueront d’aménager pour le bien de tous les Français. »