Mirabeau tente une ultime réconciliation avec sa femme qui a demandé la séparation de corps des deux époux : «Je vous envoie, Madame, la copie de la lettre que j’écris à Monsieur votre père (…). Non, Madame, je ne croirai jamais qu’il ne vous soit plus possible de remplir vos devoirs ; et vous n’êtes pas capable de vous dissimuler ceux que votre titre d’épouse vous impose. Je ne croirai pas que vous ayiez eu l’idée d’attester pour barrierre insurmontable entre votre mari et vous des événemens chimériques dont j’ai démontré la fausseté, comme un jugement authentique l’a déclaré ! Je ne croirai pas surtout que vous ayiez pu me soupçonner de pouvoir attenter à votre liberté, que ma famille entière aussi bien que la vôtre défendrait si j’étais capable de l’attaquer ; ni que vous ayiez menacé de vous-même votre mari d’invoquer contre lui le secours des loix. C’est sous leur garantie, Madame, que je suis votre époux ; et ce nom m’est bien cher. Je suis résolu d’en réclamer les droits, et de les défendre (…) parce que j’y vois votre bonheur ainsi que le mien. Huit années ont mûri ma jeunesse depuis que nous vivons loin l’un de l’autre. Je croirai difficillement que ces huit années dévouées au malheur, titre très sacré sur les bons cœurs, m’ait chassé du vôtre. Interrogez le madame ; consultez vos vrais amis, ceux de votre maison, ceux de votre personne ; ceux qui n’ont point d’intérêt à nous désunir, à nous brouiller ; à nous animer l’un contre l’autre ; je doute qu’ils contrarient mes vœux. Mais ce dont je ne doute pas, c’est qu’en descendant en vous-même ; c’est qu’en écoutant le cri de votre conscience, de votre équité, de votre générosité naturelle, vous n’ayiez horreur de plaider, que l’homme que vous avez choisi, avec qui vous avez vécu deux années, à qui vous avez écrit quelques lettres très dignes de vous, et qui ne vous a pas revu depuis que ces lettres témoins de votre tendresse ont été écrites ; que cet homme, ce père d’un fils que vous avez pleuré dix huit mois avec des larmes qui ont attendri tous ceux qui vous connoissent, des larmes dont votre époux peut seul tarir la source en vous donnant d’autres gages de son amour ; que cet homme n’est plus et ne doit plus être votre époux. Et pourquoi Madame ? Parce qu’il a des dettes, qu’il n’auroit plus, si leur arrangement n’étoit pas astreint à de lentes formalités ? Parce qu’il a été très malheureux, très calomnié, et qu’il plait à je ne sais quels conseils de regarder comme un outrage personnel à vous une accusation qu’un jugement authentique a repoussée ? Ah ! Madame ! Je vous connois bien. Votre cœur s’indigne de ces sophismes barbares et désavoue votre plume. Vous n’ignorez pas que l’époux que vous avez choisi n’est ni sans générosité, ni sans noblesse, ni sans entrailles, nous même avez plus d’éloges, madame, qu’il ne me convient d’en répéter ici….mais je ne dois pas les oublier. Ils me sont un juge, précieux de votre affection, de votre estime, daignez vous souvenir à votre tour que si la menace même sérieuse et non dérisoire, comme est celle qu’on vous a conseillée, n’obtint jamais rien de moi : votre tendresse, votre raison, votre douceur en furent rarement refusées, et surtout ne le seront jamais »
Le jeune Mirabeau, malgré ses dettes de jeu et une réputation de libertin, épouse Emilie, fille du puissant marquis de Marignane en 1770. Ils ont un fils Victor qui meurt en 1778. Pour échapper à ses créanciers, son père le fait emprisonner au fort de Vincennes et au château de Joux. En parallèle, Mirabeau vit une liaison amoureuse avec une femme mariée, Sophie de Monnier, qui l’oblige à l’exil et à l’emprisonnement. Sa femme demande la séparation de corps en 1782 année de cette lettre. Celle-ci est prononcée en 1783.