L'œuvre de Pierre Vlerick présente une certaine ressemblance avec celle de Willem de Kooning. Alors que l'Américain d'origine néerlandaise était célèbre pour la manière sauvage dont il traitait sa toile, Pierre Vlerick a fait preuve de plus de retenue, mais la réalisation d'un tableau était de toute façon un lent processus d'arrêts, de départs et de révisions. Son exploration est censée aboutir à une proportion correcte de champs de couleurs et de stries, souvent appliqués couche par couche. Toutes ses couleurs ont une intensité lumineuse. C'est principalement l'œuvre colorée de Bonnard qui a inspiré Vlerick pour composer sa propre gamme de couleurs singulières, composée de jaunes, de verts et d'oranges légèrement chatoyants et de quelques touches de bleu ici et là. L'abstraction est soulignée par l'utilisation de la couleur. Des couleurs qui ne sont pas associées à des objets de la vie quotidienne dominent souvent la composition : le violet, par exemple. C'est la base de son abstraction continue, qui aboutit à des champs de couleurs combinés à des éléments organiques représentés avec les contours les plus vagues.
Bien que les deux artistes créent un art très métropolitain, voire mondain, leurs œuvres évoquent la nature. De Kooning a été qualifié de maître du "paysage abstrait". La structure des œuvres de Vlerick est également très végétale et organique. Il n'est pas étonnant qu'il ait qualifié ses tableaux de "jardins". Aucun des deux artistes n'a laissé son jardin vide : de Kooning a créé une figure féminine, qui ressemble à un croisement entre une pouffiasse et une déesse mère. Vlerick a imaginé une femme qui jouit de son corps. L'approche de l'art abstrait de Vlerick est la même que celle de de Kooning : ils refusent de peindre de manière figurative, sans pour autant renoncer à se référer à la réalité.
De Kooning l'a très bien exprimé lors d'une interview en admettant qu'il était absurde (dans l'après-guerre) de peindre encore la figure humaine, mais en affirmant qu'il serait encore plus absurde de ne pas le faire. La seule façon de sortir de ce dilemme ambigu est de déconstruire la figure humaine. Non pas pour la rejeter, mais pour la montrer dans toute sa fragilité.
Les talents artistiques exceptionnels de Pierre Vlerick sont déjà reconnus lors de ses études à l'Académie de Gand (1940-1944), où il reçoit une médaille d'or à la fin de ses études.
En 1947-1948, Vlerick s'inscrit à l'Académie de la Grande Chaumière, une académie privée parisienne qui attire de nombreux artistes étrangers grâce à la réputation de ses professeurs les plus importants tels que Maurice Denis (1870-1943). Denis est l'un des pères fondateurs des "Nabis" et est également considéré comme le parrain de l'art abstrait par de nombreux artistes et critiques d'art. Maurice Denis est célèbre pour sa citation : "N'oubliez pas qu'un tableau, avant d'être une représentation quelconque, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs dans un certain ordre ramassé".
À La Grande Chaumière, Vlerick est mis au défi de développer un langage pictural qui lui soit propre. Vlerick développe une manière de traduire la réalité observée en visions de couleurs et de formes, qui peuvent être situées quelque part sur l'axe entre le figuratif et l'abstrait. La réalité est décomposée et reconstruite en une représentation entièrement nouvelle.
Après un voyage en Espagne en 1955, le peintre évolue vers l'utilisation de couleurs plus vives. Lors de l'exposition universelle de Bruxelles de 1958 (Expo 58), Vlerick est pour la première fois confronté aux œuvres réelles de 17 artistes américains (William Baziotes, James Brooks, Sam Francis, Arshile Gorky, Adolph Gottlieb, Philip Guston, Grace Hartigan, Franz Kline, Willem de Kooning, Robert Motherwell, Barnett Newman, Jackson Pollock, Mark Rothko, Theodoros Stamos, Clyfford Still, Bradley Walker Tomlin et Jack Tworkov) et il en est profondément impressionné. Cet événement le pousse encore plus loin dans la direction de l'abstraction et, à partir de 1959, Pierre Vlerick évolue radicalement vers une abstraction lyrique. Ses peintures abstraites de la première moitié des années 1960 sont expérimentales et brutes dans leur traitement de l'espace et de la surface, et envoûtantes par leur utilisation de couleurs éblouissantes.
Au début des années 1960, l'artiste commence à exposer des œuvres impressionnistes abstraites dans des expositions internationales telles que le Carnegie Institute (Pittsburgh 1961/1962), la Corcoran Gallery (Washington D.C. 1963), la Biennale de Venise (Pavillon belge) (Venise 1964) et le Musea de Arte Moderna (Rio de Janeiro 1965).
Vlerick obtient une bourse Fulbright qui lui permet de séjourner aux Etats-Unis en 1964 et 1968. Il enseigne brièvement à l'université Harvard de Boston. Parallèlement, Vlerick collabore au commissariat des expositions du Forum à Gand en 1961-62-63, où l'avant-garde européenne est largement représentée. Cela lui permet d'être en contact étroit avec les artistes et leurs idées.
Son travail est resté très personnel et original, ce qui est tout à son honneur. L'œuvre de Vlerick est très éloignée de l'explicitation de l'expressionnisme, des délimitations nettes du surréalisme, des multi-perspectives angulaires du cubisme ou de la froide rationalité du conceptualisme. Il est plus proche de la vision myope du monde typique de l'observation et de la représentation du monde par un impressionniste. La façon dont il laisse les couleurs vives se féconder les unes les autres n'est pas très éloignée du fauvisme. Et avec l'Abstraction lyrique, il a le culot de laisser les compositions échapper à tout contrôle. Une chose est sûre : il appartient à une génération d'après 1945 qui n'a pas eu envie de se plier aux contraintes d'un style.