Galien-Laloue, Eugène
Montmartre, Paris, 11 décembre 1854 – Chérence, Val-d’Oise, 18 avril 1941
Paris, le palais du Trocadéro, vers 1900-1910
Aquarelle et gouache sur papier
Signé en bas à gauche « E. Galien-Laloue »
H. 19,2 cm / L. 31,6 cm
Cadre d’origine de style Louis XV en bois sculpté et doré à l’or fin, début du XXe siècle.
M. Noé Willer, cabinet Art Conseil W, Paris, auteur du catalogue raisonné de l’artiste, nous a confirmé l’authenticité de l’œuvre le 25 juillet 2013.
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Ce tableau représente une vue animée du palais du Trocadéro, vu depuis les quais de la rive droite, au niveau du pont d’Iéna, par une journée d’hiver au ciel voilé. Au centre gauche, la silhouette massive du palais se découpe sur un ciel lumineux strié de jaune et de mauve. À droite, une rangée d’arbres effeuillés et de lampadaires encadre une scène de rue foisonnante. Une foule de piétons, de vendeuses, de dames chapeautées, de couples et de passants en manteaux sombres circule le long des trottoirs mouillés. Deux tramways verts, des fiacres, et une voiture hippomobile animent la perspective en profondeur. À l’arrière-plan, la silhouette d’un dôme se devine dans la brume.
La composition, habilement construite sur une diagonale ascendante, guide le regard de l’agitation du premier plan vers la monumentalité du bâtiment. L’effet de profondeur est accentué par la rigueur du tracé des rails et la superposition rythmée des figures humaines. La palette, tout en nuances de gris, beige rosé, bleu lavande et verts sourds, restitue l’humidité lumineuse d’un après-midi d’hiver parisien. Les rehauts de gouache sont appliqués avec précision sur les silhouettes et les vitrines, créant de subtils jeux de contraste et d’éclairage.
Le palais du Trocadéro est inauguré le 1er mai 1878, jour de l’ouverture officielle de l’Exposition universelle à Paris, pour lequel cet établissement est spécialement érigé. Il est constitué d’une salle de spectacle ainsi que de deux musées. L’exposition terminée, le palais – connu du monde entier grâce au succès qu’il obtient – devient le lieu incontournable où se déroule des fêtes en tous genres ; galerie d’art, concerts, cérémonies particulières ou publiques. Il est détruit entre 1935 et 1937 et est remplacé par le palais de Chaillot.
L’œuvre témoigne de la capacité de Galien-Laloue à saisir avec justesse l’âme de Paris, entre activité urbaine, élégance mondaine et atmosphère saisonnière. Comparable à d’autres vues du même site par l’artiste, cette gouache se rapproche notamment d’une œuvre adjugée chez Sotheby’s à New York le 29 octobre 2002 (lot 96), tant par le format que par la construction scénique.
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Galien-Laloue, Eugène
Montmartre, Paris, 11 décembre 1854 – Chérence, Val-d’Oise, 18 avril 1941
Peintre et graveur français, Eugène Galien-Laloue est l’un des plus fins chroniqueurs visuels du Paris de la Belle Époque.
Fils aîné de Charles Laloue, décorateur de théâtre, et de Marie-Eudoxie Lambert, Eugène-Galien Laloue naît à Montmartre dans une famille modeste de neuf enfants. À la mort de son père en 1870, il interrompt sa scolarité pour travailler chez un notaire afin d’aider à subvenir aux besoins familiaux. L’année suivante, alors âgé de seize ans, il s’engage volontairement dans l’armée sous un faux nom pour participer à la guerre franco-prussienne. À son retour, il entre au service de la Compagnie des chemins de fer de l’Est comme dessinateur technique, ce qui l’amène à parcourir les campagnes environnant Paris, dont il commence à saisir les atmosphères à travers l’aquarelle et la gouache.
Galien-Laloue débute sa carrière artistique au Salon des artistes français en 1877 avec plusieurs vues de Normandie. Il se spécialise bientôt dans les scènes urbaines, en particulier les boulevards parisiens, les marchés, les quais de Seine, les gares animées et les monuments emblématiques de la capitale. Ses œuvres captent avec précision et sensibilité le pouls de la vie quotidienne à Paris entre 1880 et 1910, à travers des formats moyens exécutés en gouache ou en huile sur panneau. Il dépeint des rues enneigées, des passants emmitouflés, des fiacres, des marchands et des soldats, dans une atmosphère à la fois réaliste et poétique. Son sens du détail, la finesse de sa touche, son art du cadrage et sa capacité à rendre les effets atmosphériques contribuent à forger sa réputation.
Afin de répondre à une demande croissante tout en contournant les clauses d’exclusivité imposées par certaines galeries, il travaille sous divers pseudonymes tout au long de sa carrière, notamment Léon Dupuy, Juliany, Jacques Liévin, Eugène Lemaitre, Eugène Galiany, Maurice Lenoir, A. Languinais et Dumoutier. Ces signatures lui permettent égalementd’explorer d’autres styles et sujets, parfois plus rustiques ou champêtres, en parallèle de ses scènes parisiennes.
Bien qu’il soit principalement connu pour ses vues de la capitale, il peint aussi des paysages de Normandie, de Seine-et-Marne et des scènes rurales. Pendant la Première Guerre mondiale, il est sollicité pour exécuter des scènes militaires, dans lesquelles il applique les mêmes qualités d’observation et de composition que dans ses vues urbaines. L’artiste ne quitte guère Paris avant la fin des années 1930. Il y mène une vie discrète, entre son atelier et sa famille. Il se marie en 1874 avec Flore Bardin, avec qui il a un fils, Fernand. Après le décès de son épouse en 1887, il épouse sa belle-sœur Ernestine Bardin, puis, à la mort de cette dernière en 1925, unetroisième sœur Bardin, Claire, qu’il perd en 1933.
En 1940, à la suite de l’Occupation, il quitte Paris pour se réfugier chez sa fille à Chérence (Val-d’Oise), sur les bords de la Seine. Une chute, survenue peu après son installation, lui fait perdre l’usage de son bras droit, l’empêchant définitivement de peindre. Il s’éteint l’année suivante, le 18 avril 1941, et repose au cimetière de Chérence.
Ses œuvres, très appréciées des collectionneurs, sont aujourd’hui conservées dans plusieurs musées français, notamment à Louviers, La Rochelle, Mulhouse ou Péronne. Elles constituent un témoignage précieux sur la vie parisienne à la charnière des XIXᵉ et XXᵉ siècles, dans un style à la fois documentaire et sensible, qui conjugue précision architecturale et atmosphère chaleureuse.
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