Salon des Artistes Vivants, Paris, 1844, n° 1615.
Huile sur toile.
Signature effacée : « Sc…n » en bas à gauche.
65 x 48 cm (25 ?/? x 18 ?/? inches).
Provenance :
Collection A. Binant, tableaux, objets d’art et d’ameublement, Paris, Hôtel Drouot, les mercredi 20 et jeudi 21 avril 1904, étude de M. Paul Chevalier, expert M. Durand-Ruel, n°63.
Dans un paysage rocailleux, Manon Lescaut est en train de bander le bras du chevalier Des Grieux. Les deux jeunes gens se portent un regard alangui. Le léger effet flouté des visages, marque de fabrique de Schopin, accentue la beauté des personnages, tandis que le velouté de sa touche sur les drapés donne de la préciosité à une scène qui annonce pourtant la fin de l’idylle entre les deux personnages puisque Manon meurt d’épuisement dans le désert représenté en arrière-plan. Cette issue dramatique semble annoncée par le crépuscule qui teinte le ciel d’orange et baigne la scène d’une douce lumière.
Né en 1804 à Lübeck, Allemagne, Henri Frédéric Schopin est d’abord l’élève de son père, Jean-Louis-Théodore Chopin (vers 1747-1815), sculpteur, et travaille avec lui aux décors du palais impérial de Saint-Pétersbourg pour Catherine II de Russie. Lorsqu’il retourne en France, il intègre l’atelier du peintre d’histoire Antoine-Jean Gros (1771-1835) et se présente au grand prix de peinture dès 1826. Il remporte le second prix de Rome en 1830[1] et le premier prix en 1831 avec son tableau Achille poursuivi par le Xanthe[2]. Pensionnaire de l’Académie de France à Rome, il rentre à Paris à la fin de l’année 1834 ou début 1835[3] et expose régulièrement au Salon de 1835 à 1879. Contrairement à ce qui a été parfois dit[4], il n’est pas le frère du pianiste Frédéric Chopin. Il a rajouté le « S » au début de son patronyme pour s’en distinguer en 1831.
Fort d’un enseignement académique tout empreint de néoclassicisme, Schopin a su néanmoins s’adapter à son temps, moins friand des scènes grandiloquentes davidiennes, en exposant aussi bien des scènes de genre que de grandes scènes d’histoire. L’artiste a donc trouvé sa clientèle à la fois à travers des commandes officielles et des achats de l’Etat, quatre tableaux furent choisis par l’empereur Napoléon III dans l’atelier de l’artiste qui lui rendit visite en personne en 1860[5], qu’auprès des particuliers avec ses petits sujets de genre.
Ses scènes de genre connurent un grand succès auprès du public, notamment quelques séries inspirées de romans populaires telles que Paul et Virginie, Don Quichotte et Manon Lescaut. Ces scènes historiées sont accompagnées d’un extrait du livre dont elles sont tirées lors de leur présentation au Salon. C’est le cas de Manon Lescaut[6] qui est exposé sous le numéro 1617 en 1844 et décrit comme suit :
« Nous marchâmes aussi longtemps que le courage de Manon put la soutenir, c'est-à-dire environ deux lieues ; car cette amante incomparable refusa constamment de s'arrêter plus tôt. Accablée enfin de lassitude, elle me confessa qu'il lui était impossible d'avancer d'avantage. Son premier soin fut de changer le linge de ma blessure, qu'elle avait pansée elle-même avant notre départ. »/ (Prévost).
Cette toile plaît au public mondain, comme en témoigne un commentaire donné par le Journal des femmes :
« Les deux petits tableaux de M. Schopin, dont le sujet est tiré du roman de Manon Lescaut, sont deux compositions spirituellement exécutées. Cette peinture-là est coquette et brillante à ravir. »[7]
C’est donc tout naturellement que ce tableau fut reproduit en gravure, notamment par Hippolyte Louis Garnier dès 1844.
Voir Hippolyte Louis Garnier ( 1802-1855) d’après Henri-Frédéric Schopin, Tessari et Cie, Paris, Chez J. Daziaro
[1] Procès-verbaux de l'Académie des Beaux-Arts: 1830-1834. Tome cinquième. (2004). France: École des Chartes, p. 61.
[2] Ibid. p. 127.
[3] Archives de l’Académie de France à Rome. Pièce 20180611/5-136 - quittance pour les frais de retour en France, du peintre Frédérick Schopin à Horace Vernet, 1 novembre 1834, fol. 322.
[4] Nouveau Larousse illustré, tome VII, 1904, p. 593.
[5] Catherine Granger. L’Empereur et les arts. La liste civile de Napoléon III. Mémoires et documents de l’École des chartes, t. 79, 2005. Préface de Jean- Michel Leniaud, p. 622.
[6] Explication des ouvrages de peinture, sculpture, architecture, gravure et lithographie des artistes vivants, exposés au Musée Royal le 15 mars 1844, Paris, Vinchon, fils et successeur de Mme Ve Ballard, imprimeur des Musées Royaux, rue J.-J. Rousseau, n°8. 1844, n°1617.
[7] Journal des femmes : revue littéraire, artistique et d'économie domestique... n°6, juin 1844, p. 268.