Attribuée à Nicolas Sageot
Epoque Louis XIV
Restaurations d’usage
H. 81,5 x L. 121 x P. 67 cm
Nous présentons régulièrement des meubles d’exception, cependant celui-ci ne démérite pas cet adjectif. Nous parlons d’une beauté de créativité, d’originalité, de technicité et d’historique. Quatre faces visibles, quatre décors tout aussi riches les uns que les autres. Regardons-la de plus près, tant de détails qui racontent, ensemble, une histoire et nous font voyager. Des personnages, des animaux, des formes porteurs d’un vocabulaire eut plu à une très haute société il y a 300 ans.
Ce décor fait référence aux travaux de Jean Bérain (1637-1711). Peut-être pouvons-nous imaginer les compositions des marqueteries dessinées de sa main ? Il est assez difficile de le certifier ou d’écarter de manière définitive cette hypothèse car nous ne possédons pas l’ensemble de ses dessins. A cela s’ajoute la grande influence qu’a pu exercer pendant le règne de Louis XIV la mode qu’il a lancé (ses dessins sont largement diffusés, l’année de sa mort est publiée un recueil de ses dessins gravés). En revanche, aux vus de la qualité extraordinaire de cette commode, il n’est pas impossible que nous ayons à faire à ses propres motifs. Les musiciens présents sur le dessus entre autres sont récurrents dans son travail. Comme nous le rappellent les historiens, Jean Bérain est une des figures centrales dans le style Louis XIV, faisant de notre commode un meuble à la pointe de la mode. En 1674, il devient architecte du roi tout en concevant des dessins pour l’organisation des fêtes, il est aussi choisi en 1690 comme décorateur en chef des appartements du Louvre (dessins de meubles, boiseries et cheminées).
Même si plusieurs corps de métier interviennent sur ces « bijoux », l’ébéniste en est le véritable le chef d’orchestre et le concepteur principal. Qui est-il ? Avec une absence d’estampille (à cette époque l’estampille n’est pas courante et non obligatoire), il faut mener l’enquête. Il faut comparer la marqueterie (côtes, tiroirs, plateaux), les bronzes (sabots de pied, entrées de serrure, poignées, lingotière), la forme de la commode, les matériaux utilisés, avec d’autres commodes existantes. Nos recherches nous mènent tout droit à Nicolas Sageot, un ébéniste du règne de Louis XIV qui eut produit des œuvres de très haute qualité.
La marqueterie Boulle utilisée (technique de superposition de placage découpé à la scie permettant de réaliser plusieurs marqueteries mêlant des métaux, des bois précieux, de l’écaille notament) est l’élément le plus important de la commode.
Les panneaux des côtés sont présents, à quelques détails près, sur d’autres commodes comme celle de la Wallace Collection de Londres. Attribuée à Sageot et annoncée vers 1700, cette commode est elle-même comparée avec d’autres commodes de la main du maître, laissant peu de place au doute sur son origine (sa jumelle a été vendu à Paris en 2008, et un modèle presque identique avec sa probable contrepartie vendu en 2012). Une autre commode vendue chez Sotheby’s sous le lot 27 le 23 juin 2021 possède également des côtés identiques, elle est en écailles rouges comme plusieurs commodes passées en vente portant ces côtés. Coïncidence ou véritable mode pour ses musiciens ornés de couleur rouge, dans ce très petit cercle de commodes en marqueterie Boulle, il s’agit d’un motif que nous retrouvons souvent.
Plus rares à retrouver, ce sont les décors des tiroirs et du plateau. Une commode vendue chez Sotheby’s le 23 mai 2023 sous le lot 52 est rapprochée de Nicolas Sageot. En écailles de tortue rouges et avec un plus grand nombre de rangs de tiroirs que la nôtre, cette commode présente à la fois des côtés, des tiroirs latéraux et un dessus très proches de notre commode. Nous pouvons y observer des putti, des animaux fantastiques, des fruits, des fleurs, des visages, des papillons, etc. Même si notre commode présente un décor plus complexe qu’un décor duochrome avec le mélange très rare et délicat de l’étain, le laiton, l’ébène et la nacre, il est intéressant d’observer la même marqueterie chez elle.
Les garnitures de bronzes sont également très utiles pour étudier le corpus d’un ébéniste. Une commode vendue par la galerie Partridge Fine Arts à Londres possède une forme en « D » (mais avec des montants larges arrondis) comme la commode de notre étude, des matériaux similaires (hors nacre) et des bronzes de pieds identiques : une coquille surmontée de pieds galbés. Une autre commode reproduite dans le livre « André-Charles Boulle – ébéniste, ciseleur et marqueteur du Roy » de Pierre Ramond (ancienne collection Galerie Gismondi) page 146, est attribuée à Sageot mais dit « aux cinq couleurs » et est garni de pieds identiques.
Enfin, une deuxième commode de ce même livre (toujours ancienne collection Gismondi, pages 151) est reproduite et est aussi attribuée à Sageot. Elle est garnie des mêmes entrées de serrures, d’une même lingotière que notre commode et des poignées proches également. L’élément encore plus intéressant c’est que cette commode possède aussi le même plateau et les mêmes côtés que notre commode.
Par ailleurs, une commode vendue par la maison de vente Kohn sous le lot 13 de la vente du 23 juin 2015 est d’une forme similaire à la nôtre, avec une lingotière identique.
Il y a donc peu de doutes à ce que cette commode soit l’œuvre de Nicolas Sageot. Nous savons qu’il est actif dès les années 1690. Il est enregistré pour la première fois travaillant au Faubourg Saint Antoine en 1698. Il est établi d’abord comme « ouvrier libre », puis est accepté dans la corporation. Sa production se concentre sur d’impressionnantes armoires, bureaux ou commodes. Il est connu pour avoir favorisé l’utilisation de la marqueterie Boulle et d’en être un très bon représentant. Nous savons également qu’il n’était pas seulement ébéniste mais aussi marchand. Il eut tant de succès qu’il dût sous-traiter certaines parties de son affaire comme la production de la marqueterie, par exemple, au très talentueux marqueteur Toussaint Devoye. Il n’était pas rare en effet, à cette époque, que des ébénistes comme Sageot ou Noël Gérard fournissaient aux marqueteurs les matières premières qui leurs étaient ensuite retourner prêt à l’emploi (et à être monté sur une caisse). Il semble prendre sa retraire vers 1720. Toussaint Devoye qui était en lien étroit avec Sageot) semble avoir fourni la marqueterie pour un grand nombre de ses pièces.
De nos jours, Sageot est de nouveau mis en lumière aux côtés de son contemporain André-Charles Boulle. Pierre Grand, dans la revue « L’objet d’Art » de février 1993, redécouvre cet ébéniste incontournable de la fin du XVIIe et du début du XVIIIe siècle et permet la réattribution de certaines commodes au maître.
Notre commode, réalisée entre 1700 et 1720, est d’un luxe incomparable. La nacre apporte de la polychromie à ce dessin déjà si travaillé. Posséder un meuble qui comporte de l’ébène (un des bois les plus couteux), un mélange de cette couleur or (apportée par le laiton), d’argent (venant de l’étain), et cette touche magique de couleur changeante par la nacre, c’est posséder une véritable « masterpiece » des arts décoratifs français.