Cormoran dans la tempête, 1930
Crayon et pastel à l’huile sur papier, signé et daté 1930 en bas à droite
80 x 58 cm
Gaston Suisse naît à Paris en 1896. Proche du célèbre marchand Samuel Bing, esthète, collectionneur et grand bibliophile, son père, Georges Suisse, l’initie au monde des arts. Avide de découvertes, le jeune garçon passe de longues heures à dévorer les ouvrages de la collection paternelle, en grande partie consacrés à l’Art Nouveau et à l’art japonais. Il développe ainsi une profonde compréhension des cultures orientales et se laisse séduire par les canons esthétiques de l’Extrême-Orient.
Son père toujours, le guide vers une passion qui ne le quittera jamais : le monde animalier. Au Jardin des Plantes, Gaston Suisse observe d’un œil curieux et complice ces êtres sauvages. Il rencontre à l’âge de quinze ans le talentueux Paul Jouve de dix-huit ans son aîné, habitué de longue date du bestiaire parisien. Ensemble, ils se rendent à Anvers auprès d’un des plus grands maîtres de l’art animalier, Rembrandt Bugatti.
Doté d’un talent certain mais évoluant jusqu’alors en autodidacte, Gaston Suisse intègre l’Ecole supérieure des Arts Décoratifs. Cette éducation lui permet d’acquérir une importante technicité et de s’initier au métier de laqueur. En 1913 et 1914 il n’a pas dix-huit ans quand il reçoit une médaille d’or pour ses premiers travaux sur cette technique qu’il fera sienne.
Durant son apprentissage, Gaston Suisse aiguise son sens de l’observation et réalise de minutieuses études dans lesquelles il saisit chaque mouvement animal retranscrit dans des séquences d’une remarquable précision anatomique.
Il est ensuite mobilisé pendant la Première Guerre Mondiale, combat à Verdun puis avec l’Armée d’Orient où il retrouve Paul Jouve. Cependant, il ne cesse de créer et envoie régulièrement croquis et billets ensuite publiés dans le journal de l’école. A son retour à Paris, un ami laqueur annamite, Dang Bui, lui rapporte ses premiers pots de laque végétale, ce qui lui permet de mettre enfin en pratique ses théories à plus grande échelle.
Inspiré par les secrets des maîtres asiatiques, Gaston Suisse maîtrise très rapidement les techniques traditionnelles de la laque et tente de s’affranchir habilement de leurs contraintes à l’aide de nouveaux procédés. Ses recherches contemporaines le conduisent d’abord à utiliser un mélange de colle de peau de lapin et de blanc de Meudon pour les couches d’apprêt de ses laques afin de limiter les temps séchage, très longs avec la laque végétale. La couleur étant le résultat d’une réaction chimique (polymérisation), l’artiste expérimente également différentes adjonctions de composants et obtient notamment son célèbre « sang de Bœuf », une laque de Chine rouge obtenue grâce à l’huile d’abrasin. Son utilisation progressive de vernis synthétiques lui permet ensuite d’enrichir significativement sa gamme chromatique, tout en réduisant de nouveau le temps de séchage. Très vite, il parfait son savoir-faire avec des incrustations de coquilles d’œuf, de feuille d’or et étudie abondamment l’oxydation des métaux.
Gravé, sculpté ou incrusté, les somptueux décors de Gaston Suisse affirment un style singulier, animé de lignes pures. Progressivement, l’artiste tend vers une géométrisation des formes, obtient des laques nuagées venant sublimer ses compositions abstraites rigoureuses. Il devient ainsi un des membres fondateurs du mouvement Art Déco.
Le maître laqueur reste cependant un artiste pluridisciplinaire. Il exécute pour Maurice Dufresne la décoration du pavillon de La Maîtrise des Galeries Lafayette, crée des projets de tissus pour Madame Duchesne, des cartons de vitraux pour Jacques Grüber, et pour son ami Jean Perzel, dessine des décors pour l’Opéra de Paris et des costumes pour la Comédie Française. Artiste et artisan, il est nommé sociétaire au Salon d’Automne en 1926, dès sa première participation.
Dès les années 1920, le travail de Gaston Suisse est déjà reconnu par la critique. La splendeur de ses décors séduit. En 1924, il est chargé de la décoration de l’Alhambra d’Alger, et entreprend un grand voyage. Il parcourt le Maghreb puis le Sahara et le sud de l’Afrique. Il ramène de ce voyage de nombreux croquis et dessins animaliers. Membre de la Société des Artistes Animaliers dès 1925 il reçoit la médaille d’argent lors de l’Exposition des Arts Décoratifs cette même année.
En décembre 1927, Gaston Suisse participe à la première exposition du groupe des animaliers à la Galerie Brandt. Il travaille en collaboration avec de nombreux ensembliers parmi lesquels Jansen, Straub, Brandt, Ruhlmann et Boyer, et réalise des coffrets commercialisés aux Etats-Unis pour la prestigieuse maison Hermès.
En 1930, Gaston Suisse obtient le grand prix du Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts, puis obtiendra en 1934 la médaille d’or. Il remporte avec son œuvre « La Chasse » la médaille d’or de l’Exposition Coloniale de 1931.
A l’occasion de l’Exposition Internationale de 1937, Gaston Suisse connaît une réelle consécration. Il est commissionné par la Ville de Paris pour réaliser un décor monumental destiné à la salle de réception du Palais de Tokyo, aujourd’hui détenu par le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris.
Mobilisé puis fait prisonnier durant la Seconde Guerre Mondiale, il réussit à s’évader pour passer en zone libre avant de regagner Paris. L’artiste rencontre alors Gisèle, qui deviendra sa femme et la clé de son bonheur familial ; une plénitude et une sérénité omniprésentes dans son œuvre.
A la fin de la Seconde Guerre Mondiale, Gaston Suisse reprend son travail et expose au Salon des Artistes Animaliers, au Salon d’Automne, ou encore au Cercle Volney. Uniquement ses projets aboutis sont commercialisés, cependant son atelier regorge d’un trésor pictural : une multitude de croquis et de pastels dessinés d’après nature. L’artiste travaille sans relâche. Seul dans son atelier, il étudie, parfait sa précision des formes animales et végétales, expérimente de nouveaux procédés.
Gaston Suisse meurt en 1988 à Paris. Ses créations sont aujourd’hui très recherchées et figurent dans de nombreuses collections publiques notamment celles du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, du Musée de l’Armée, du Musée des Années Trente à Boulogne, du Musée des Beaux-Arts de Bruxelles, du Musée Bellerive de Zurich ou du Dallas Museum of Art. La grande rigueur de travail de Gaston Suisse l’ayant poussé à choisir parmi les matériaux les plus nobles et l’excellente qualité d’exécution de ses décors permet à ces précieux objets de conserver aujourd’hui toute leur splendeur.