Portrait du cardinal Mazarin - Esquisse
Huile sur toile
H. 41,5 cm ; L. 27 cm
Provenance : Collection du Révérend Georges Downing Bowles (1789-1863)
Le Grand Siècle eût-il été si grand sans l’action de cet Italien réputé pour sa finesse politique, son enrichissement outrancier et sa fabuleuse collection, mais dont on oublie souvent la ténacité, les talents de chef de guerre et le dévouement sans faille envers un Etat qui n’était pas le sien ? Dans l’une des périodes les plus troublées de notre histoire, Giulio Raimondo Mazzarini (Pescina, Abruzzes, 1602– Vincennes, 1661), devenu le cardinal Mazarin, a su restaurer la puissance de la France face aux Habsbourg d’Espagne et d’Autriche, et défendre le trône du jeune roi dont il était le parrain contre les menées de la haute aristocratie et des parlements.
Notre esquisse ne correspond à aucune des œuvres connues à ce jour représentant Mazarin. Elle préfigure pourtant un portrait ambitieux et pour le moins solennel. Mazarin, - dont les traits, bien
que suggérés, sont aisément identifiables -, pose ici en homme d’Etat plus qu’en homme d’Eglise. Son volumineux manteau de soie écarlate (la cappa magna), flot d’étoffe bouillonnant de plis complexes, enrichi d’un chaperon d’hermine, redouble son importance et l’érige en monument du pouvoir. A propos des portraits de Richelieu par Champaigne, Bernard Dorival remarquait qu’il était rarissime qu’un prélat se fît représenter debout : la position assise était la convention dominante au début du XVIIe siècle. Notre bozzetto reprend la formule majestueuse employée par Champaigne pour peindre Richelieu en pied. Il reproduit même le détail de la main gauche du cardinal retroussant sa chape pour laisser apparaître le blanc de sa robe (détail visible sur une sanguine préparatoire conservée à la BNF et dans la version appartenant à la National Gallery). Le décor est du même type : lourde tenture, colonnes et balustrade ouvrant sur un jardin. Cependant le Richelieu de Champaigne occupe presque entièrement l’espace de ses portraits, tandis que notre Mazarin se perd un peu dans la hauteur de son palais.
D’autre part, tandis que Richelieu tenait une barrette, Mazarin, de sa main droite, présente ostensiblement un médaillon figurant la frêle silhouette d’un roi couronné, celle de Louis XIV, appelé à régner sur ses quatorze ans. Sur une console sont posés une carte géographique, des carnets disparates, - peut-être les fameux petits carnets dont se servait quotidiennement le cardinal, bien qu’ils ne ressemblent pas à ceux conservés par la BNF -, ainsi que d’autres miniatures. Autant de signes distinctifs d’un ministre stratège clamant sa loyauté au roi, plus que d’un ministre de la foi.
On remarque la présence d’une imposante console dorée au lourd piètement à volutes. Cette riche console, associée à la majesté de la pose et de la pourpre cardinalice, sert la mise en scène d’un pouvoir arrivé à son zénith. Si notre bozzetto avait abouti à un tableau, celui-ci aurait déployé un apparat bien supérieur aux portraits connus actuellement. Mazarin aurait pu faire venir d’Italie ce somptueux meuble baroque qui occupe une large place dans la composition. Mais sur une intuition de Jean-Claude Boyer, une autre hypothèse se présente, qui expliquerait la console : notre projet de portrait ne serait-il pas d’une main italienne, peut-être peint à la demande de quelque membre de la famille de Mazarin, soucieux d’honorer l’oncle qui avait fait la fortune de la dynastie ? Il pourrait à ce titre être légèrement rétrospectif. A moins qu’il ne s’agisse d’une commande interrompue par la mort du cardinal. Voire de la tentative avortée d‘un peintre courtisan soucieux de se placer ? Autant de questions, avec celle de son attribution, que nous laisserons en suspens dans l’attente de nouveaux éléments. Pour l’heure, nous proposons un rare témoignage sur l’homme d’État qui a permis l’avènement du règne de Louis XIV.
Un élément de provenance nous est indiqué grâce à une étiquette de collection apposée au verso. Celle-ci est aux armes du Révérend Georges Downing Bowles, mort à Londres en 1863 qui possédait une assez vaste collection de portraits d’hommes illustres. Près d’une trentaine d’œuvres de cette collection ont été léguées par le révérend en 1850 au Musée de Worcestershire. Nous y retrouvons des portraits de rois anglais, français, de portraits de philosophes tel Erasme, etc. Notre toile, considérée à l’époque comme un portrait de Richelieu (en témoigne le reste de gravure au verso de l’œuvre), n’a pas laissé de trace quant à son parcours pour arriver jusqu’à nous aujourd’hui.