Tendrement allanguie, le sein suave sous sa gorge frémissante, une jeune femme au délicat visage auréolé de fines mèches de cheveux échappées d'un chignon bijouté de perles offre , avec une volupté toute enfantine, ses lèvres au baiser langoureux d'un jeune homme. Celui-ci, au profil éphébique sous sa chevelure bouclée ceinte d'un ruban noué, presse avec émoi l'aimée contre sa poitrine. Sciemment agencées, des étoffes enveloppent voir isolent de leurs ondoyants drapés les protagonistes de cet atemporel échange amoureux. Epanchée sur leurs poitrines, une exquise guirlande de fleurs printanières piquée de boutons de rose- motif floral associé à Vénus, mère de Cupidon-, "dignes enjolivements de l'Amour" scelle les promesses de leur pudique union.
A dater de la seconde moitié du XIXe siècle, cette épreuve en terre-cuite patinée d'une grande finesse d'exécution restitue avec sensibilité le modèle original (plâtre) conçu en 1772 à l'intention des membres régnants de la Cour ducale de Saxe-Gotha par l'éminent sculpteur parisien du Siècle des Lumières Jean-Antoine Houdon ((1741-1828) dont notre double-buste connu sous le titre du "Baiser donné"porte, insculpté au dos, la signature apocryphe.
Reposant sur une base quadrangulaire, un piédestal en forme de demi-colonne cannelée valorise par sa sobre silhouette néo-classique l'étonnante qualité plastique de cette oeuvre sculpturale d'une présence tout à la fois sensuelle et aimante, languide et vibrante.
----------------
"Penche tes lèvres sur moi; Et qu'au sortir de ma bouche Mon âme repasse en toi.":
En regard de cette épreuve du Baiser donné de J-A. Houdon ci-dessus décrit, ces vers* élégiaques nés de la plume de Denis Diderot (1719-1784), ami et zélé défenseur dans ses écrits salonniers de l'oeuvre du maître-statuaire , font merveilleusement écho à cette atypique composition ( bustes groupés, mise en scène frontale intensifiant la portée intimiste du sujet) qui, par delà l étreinte de deux jeunes amants s'offrant à leur sensualité naissante, réussit à fixer l'instant si fugace, si fervent de l'émoi amoureux. Aussi, le Baiser donné brave-t-il les siècles et, tout comme à l'époque de sa conception (vers 1772), déjoue la versalité des inclinations esthétiques.
Aguerri par son exemplaire formation académique (Prix de Rome en 1761), J.A. Houdon présentait en 1771 sous le n°284 lors de sa première participation aux Salons , aux côtés d'oeuvres (Morphée, statue, plâtre; Denis Diderot, buste, terre cuite; Tête d'Alexandre, médaillon,..) augurant sa brillante carrière artistique , "deux têtes de jeunes hommes, l'une couronnée de myrte, l'autre ceinte d'un ruban" (ronde-bosse grandeur naturelle). En cette dernière, on reconnaît une des figures constitutive du buste groupé conçu l'année suivante à l'intention des membres régnants de la Cour ducale de Saxe-Gotha, commanditaire auprès du prometteur sculpteur sur l'instance conjuguée de leur ambassadeur le Baron van Grimm (1729-1804) et de Denis Diderot d'un monument votif à la gloire de Louise-Dorothée de Saxe-Gotha (1710-1767) et de son époux, le Duc Frédéric III (1699-1773). A la surprise génèrale, la version en plâtre du Baiser donné fut bien reçue et chaudement louée au sein des Cours éclairées d'Europe. Audacieux , Houdon réussissait en cette oeuvre sculpturale à unir réfèrences antiques ( groupe de L'Amour et Psyché du Musée Capitolino de Rome, copie romaine d'une oeuvre héllénistique admirée par Houdon lors de son séjour en 1764-1768 à l'Académie de France à Rome), composition tout à la fois complexe et d'une grande lisibilité, pureté des volumes et joliesse piquante des détails (guirlande fleurie à portée sentimentale) héritée des délicatesses du régne de Louis XV. Le tout traversé par cet incomparable frémissement de la matière qui insuffle tendresse ou vivacité aux oeuvres de l'artiste quelque soit le genre traité (allégories, portraits,..).
Au Salon de 1780, Houdon présenta sous le titre du Baiser rendu un pendant à son premier Baiser métamorphosant en Faune et Faunesse ses juvéniles amants: l'étreinte, de pudique, se fait voluptueuse voir passionnelle sous les plaisirs de l'agape. De son vivant, des dignitaires de l'aristocratie française ou de la haute finance tels le Duc de Chartres (Louis Philippe Joseph d'Orléans, 1747-1793), Jen-Girardot de Marigny (1733-1796) s'enquérirent entre 1778-1779 auprès de l'artiste dont la renommée était acquise de versions en marbre du Baiser donné et, dès 1790, son éléve, l'éminent ciseleur et fondeur Pierre-Philippe Thomire (1751- 1843) diffusa en bronze"petite nature " le modèle de son maître (un exemplaire avec celui du Baiser rendu est de nos jours conservé à la Wallace Collection de Londres, inv. S217 et S 218 ainsi que dans les collections du Mobilier National à Paris). L'élégance émanant de cette oeuvre n'échappa point aux marchands-merciers de l'époque: des Maîtres-Horlogers parisiens de renom - A. Bouret, Dubuisson,Robin- signèrent aux alentours de 1785 le cadran de luxueuses pièces horlogèrent sommées du couple enlacé désormais emblématique d' Houdon.
Aux côtés de sa Diane Chasseresse (1774), Les Baisers connurent une durable descendance notamment dans la seconde moitié du XIXe siècle, période au cours de laquelle statuaires de renom ( A.E. Carrier-Belleuse) , Fabriquants de Bronzes d'art chevronnés (Denière,L.Marchand, J.Graux) concevaient leurs propres modèles au prisme de ceux élaborés par leur illustre devancier ou revisitaient pour une clientèle d'amateurs affectionnant les grands MaÏtres du XVIIIe siècle ( Clodion, Pigalle, Allegrain, Canova) des oeuvres"phares" répondant à la sensibilité de l'époque. Ainsi, Le Baiser donné fut-il reproduit en divers matériaux ou intégré à des objets d'art au parti néo-Louis XVI particulièrement raffiné.
*Denis Diderot, Chanson dans le goût de la Romance, in: Oeuvres complétes. Poésies diverses, Paris, 1875,3e Partie, pp.60-62 ou in: Couvreur, Manuel, Dictionnaire de Diderot, Paris: Champion, 1999, p.103.
--------------------
Littérature en rapport: Haskell et Penny, Pour l'Amour de l'Antique, Paris, 1988;-Giacometti, Georges, Le statuaire Jean-Antione Houdon et son époque (1741-1828)- 3 volumes, Tome 3: Catalogue complet descriptif et analytique des bustes légendaires, allégoriques, de genre, ..pp. 16-17, p.67.; - Lami, Stanislas,Dictionnaire des Sculpteurs français du XVIIIe siècle, Paris, 1911.-Poulet A.L et Scherf G., Jean-Antoine Houdon, Sculpteur des Lumières, Cat. d'Exposition 2003-2004, n° 43, pp. 248-250;-Réau, Louis, Houdon.Sa vie et son Oeuvre, Paris, 2 vol. 1964, p.22, n° 54;-Tardy, La Pendule Française, 1975, tome II: De Louis XVI à nos jours, p. 255
--------
Marques et signatures: au dos, signature en creux en lettres cursives: "Houdon".
Dimensions: H.: 47 cm;-L.: 34 cm;-Pr.: 18 cm.
Matériaux: terre cuite à patine beige rosée.
Travail de qualité de la seconde moitié du XIXe siècle.
Très Bel Etat. Infimes éclats au niveau d'un pétale de la guirlande fleurie et des angles du dé de la colonne tronquée formant piédestal. Petites salissures localisées.