Portrait de Marie Jauvin d’Attainville
1852-1853.
Huile sur toile.
H : 46 ; 38 cm.
Ce portrait représente une femme en buste, tournée légèrement vers la gauche. Elle a les cheveux bruns, tirés en arrière et coiffés en un chignon soigné. Alors que son visage ce présente presque frontalement au spectateur, ses yeux sont tournés hors champ, comme si elle observait quelque chose lors de la séance de pose, donnant l’impression d’une image prise sur le vif. Elle porte une chemise claire, ornée d'un petit nœud noir au niveau du col, simplement esquissé à la peinture. Le fond n’est pas traité, donnant l’image d’une esquisse à l’œuvre.
Au début de la seconde moitié du XIXe siècle, Paul Delaroche est une figure incontournable du romantisme. Depuis ses premiers succès au Salon, les commandes prestigieuses se sont accumulées, ses clients sont nombreux et tout Paris connaît le nom du peintre de La mort de Lady Jane Grey.
Pourtant, la fin des années 1840 marque une période difficile avec le décès de sa femme et l’abattement que représente l’année 1848 et ses remous politiques. Attaché à ses deux enfants, il s’inquiète de la santé de son plus jeune fils Horace, qui est atteint d’une maladie articulaire et décide de s’éloigner de Paris le temps des hivers, d’abord à Aix-la-Chapelle, puis à Nice, à partir de septembre 1851.
Quand Delaroche arrive à Nice avec sa famille, il est logé sur la colline de Carabacel par la comtesse Delfina Potocka, rencontrée quelques années auparavant à Versailles[1]. Le domaine de la comtesse, composé de plusieurs villas, accueille ses amis artistes, écrivains, musiciens, intellectuels et artistocrates. C’est dans ce cadre que le peintre trouve les conditions de travail nécessaire pour terminer les dernières œuvres de sa carrière, il signe plusieurs tableaux à Carabacel.
Dans ce contexte de rencontres faites dans le cercle de la comtesse, il est certain que Delaroche fit la connaissance de Jules Jauvin d’Attainville, peintre amateur qui réside également au sein du quartier de Carabacel et fréquente assidûment le salon de l’hôte de Delaroche[2]. Ce dernier se lie intimement avec le couple Attainville qu’il visitera à plusieurs reprises après son départ de Nice en 1853. Il invite également son ami et élève Ernest Hébert à Nice, ils y partagent un quotidien entre travail et rencontres mondaines.
Selon toute vraisemblance, la réalisation de notre portrait se situerait durant cette année 1853. Il est fort probable que le portrait traditionnellement considéré comme un portrait de Vernet par Delaroche soit en fait un portrait du mari de Marie Jauvin d’Attainville (1836-1913), Jules Jauvin d’Attainville. En effet, Vernet était roux et avait les yeux clairs, comme en témoigne les multiples portraits connus de l’artiste. En revanche, un dessin conservé aujourd’hui au Louvre, signé par Delaroche et localisé à Carabacel, qui représente Jules Jauvin d’Attainville, semble se rapprocher de ce dernier portrait.
Il est probable que ces œuvres constituent un gage d’amitié de Delaroche à ses amis Niçois avant son départ pour Paris. Le portrait de Madame Attainville, originellement de format rectangulaire à l’instar de son possible pendant le Portrait de Monsieur d’Attainville, a été recoupé plus tardivement selon un format ovale.
Le choix d’un portrait intimiste, sous forme d’esquisse où seule la tête est entièrement traitée, permet d’écarter l’hypothèse d’une commande faite par les Attainville à l’artiste. En effet, des portraits semblables, destinés au cercle familial, ont été exécutés par Delaroche et son ami Horace Vernet quelques années plus tôt, chacun ayant choisi de représenter leurs épouses respectives. De plus, le traitement avec le visage frontal et le regard tourné hors champ a été utilisé à plusieurs reprises par Delaroche, notamment pour ses portraits esquissés dont nous connaissons plusieurs exemples.
Quant aux portraits sur toiles de moines camaldules exécutés en Italie par Delaroche en 1834, ils constituent des exemples plus précoces encore et rejoignent aussi le contexte d’exécution de notre portrait niçois. Comme notre portrait, ceux des moines ont été esquissés lors du séjour de l’artiste dans leur couvent.
Les Attainville commissionneront toutefois un portrait au jeune Ernest Hébert durant le séjour de Delaroche à Nice. La comparaison entre les portraits du maître et de l’élève va dans le sens de leur contemporanéité. Les modèles semblent avoir le même âge, partagent les mêmes coiffures et expressions. Il semblerait donc que les Attainville aient bien connu à la fois le maître et l’élève, comme en témoigne la présence d’œuvres de ces deux artistes dans la donation faite à l’Etat à la mort de Jules Jauvin d’Attainville.
Portrait de Jules Jauvin d’Attainville ?, huile sur toile, H : 47 ; L : 38 cm., collection particulière.
Portrait de Jules Jauvin d’Attainville, signé, localisé, daté 1854, graphite sur papier, H : 25 – L : 19 cm, Paris, musée du Louvre (Inv. RF 366)
Portrait de Louise Delaroche, Huile sur toile, H : 40 ; L : 36 cm., musée du Louvre (RF. 1938 86).
Portrait de moine camaldule, huile sur toile, H : 23 ; L :10 cm., musée des Beaux-Arts de Nantes.
Portrait de Marie Jauvin d’Attainville, huile sur toile, H : 97 ; L : 73 cm., musée d’Orsay (RF. 156).
[1] Jean-Paul Portron, Les séjours du peintre Paul Delaroche au quartier Carabacel, 1848-1854, Nice historique, 1/01/2001, p.33.
[2] Mrs. Daniel Dunglas Home, D. D. Home, His Life and Mission, Arno Press, 1976, p. 387.