Portrait de la comtesse de Ségur
Vers 1833-1834.
Huile sur toile.
H : 64,5 ; L : 54 cm.
Exposition : Salon des Artistes Vivants, Paris, 1834, n° 958 : « Portrait de Mme de S*** ».
Ce portrait représente une femme vêtue de noir, un voile translucide délicatement posé sur sa tête et ses épaules. La dentelle, donnée par la matière de la peinture posée en couche plus épaisse sur la toile, encadre le visage serein du modèle qui esquisse un léger sourire. La douceur des traits de cette dernière est rendue par un travail subtil de fondu sur les carnations et le fond sobre de l’œuvre.
Hortense Haudebourt-Lescot est une artiste peintre française, reconnue pour ses scènes de genre et ses portraits. Née à Paris, elle étudie sous la direction du peintre Guillaume Guillon-Lethière, avec qui elle se rend à Rome en 1808. Pendant son séjour en Italie, elle développe un intérêt pour les scènes de la vie quotidienne italienne, qui deviendront un thème récurrent de son œuvre.
Après son retour en France, Haudebourt-Lescot participe régulièrement au Salon de Paris, où elle obtient une certaine renommée. Elle reçoit également des commandes officielles pour des portraits, notamment de membres de la famille royale.
Après avoir connu le succès grâce à la qualité de ses scènes de genre, elle cesse d’exposer publiquement des scènes populaires italiennes pour se consacrer à la peinture de portraits à partir du 1831. En effet, après un premier essai réussi lors du Salon de 1827, elle se forge une réputation de portraitiste talentueuse. C’est dans cette nouvelle spécialité qu’elle se distingue durant la décennie 1830Sa qualité en tant que portraitiste n’ayant pas manqué d’être remarquée :
« Si j’avais un conseil à donner à Mme Haudebourt-Lescot, je lui dirais :
- Voulez-vous bien faire ?... eh bien ! faites des portraits, faites des portraits !...[1] »
Au sein de sa sublime résidence de la rue de La Rochefoucauld, l’atelier d’Hortense Haudebourt- Lescot est un atout manifeste dans sa capacité à attirer une clientèle aisée. En effet, Haudebourt-Lescot ne se déplace pas chez son modèle, mais l’invite à participer aux séances de poses à son propre atelier. Une précieuse lettre de 1838 destinée à un certain monsieur Guérin nous permet de connaître les modalités imposées par l’artiste à ses clients : « Si la jeune personne dont vous me parlez peut me donner quinze jours, je crois ce temps nécessaire pour terminer ce qui doit se faire d’après nature. Je dois vous faire observer que je ne prendrai peut-être que tout à dix séances. Quant à me déplacer, c’est tout à fait, Monsieur, hors de mes habitudes. [2]».
Par la démonstration ostentatoire du luxe qu’offrent son atelier et son domicile, Haudebourt-Lescot cultive l’image d’une portraitiste-vedette auprès de sa clientèle. Au cœur de la Nouvelle Athènes, l’atelier permet également à ses modèles de ne pas quitter leur propre univers social, l’artiste et sa clientèle habitant très souvent à quelques rues les uns des autres. La proximité et l’aisance du lieu sont doublées d’une supposée valeur de respectabilité que possèderait Haudebourt-Lescot par sa seule qualité d’habitante de la Nouvelle Athènes.
Capitalisant sur son image de portraitiste en vogue et comptant parmi ses modèles des personnalités célèbres dans le Tout-Paris, Haudebourt-Lescot se permet de pratiquer des tarifs relativement élevés pour l’exécution d’un portrait. Dans sa même lettre de 1838 destinée à monsieur Guérin elle explique : « Selon la disposition de mes portraits en pieds, je prends 2 500 ou 2 000 fr. ». Afin d’évaluer à quoi correspond cette somme, Anne Martin-Fugier nous informe qu’elle dépasse le revenu annuel d’une famille petite-bourgeoise[3]. Il est fort probable que le prix d’un portrait en pied pouvait atteindre les 3 000 fr. au début des années 1830, époque où elle connaissait un plus grand succès, voire plus encore si le commanditaire était issu d’une grande famille noble ou exerçait une charge d’État.
C’est dans ce contexte qu’intervient la commande du portrait de la comtesse de Ségur. Compte tenu de l’importance du modèle, le tableau est exposé au Salon de 1834 avec quatre autres portraits ; ceux d’Antoine Vincent Arnault, académicien, Gilbert Breschet, médecin, Jean-Baptiste Claude Odiot, orfèvre du Roi et Atala Stamaty-Varcollier, peintre et amie de l’artiste. Ces derniers portrait représentent des personnalités variées du Tout-Paris, et témoignent du vaste réseau de clientèle dont bénéficie Haudebourt-Lescot.
Sophie de Ségur (1799-1874) est dépeinte avec simplicité, assise dans un environnement sombre. Afin de mettre en valeur le visage, Haudebourt entoure notamment la tête d’une vapeur plus claire. Cette mise en scène toute spirituelle se retrouve dans le portrait d’Arnault exposé au même Salon.
L’expression de Sophie de Ségur, les yeux détournés du spectateur et esquissant un léger sourire, marque l’humilité de la jeune comtesse. Cette humilité de sentiment fait écho à l’humilité vestimentaire du modèle. Habillée de noir, sans décolleté, une mantille de dentelle dans les cheveux et une imposante croix orfévrée au cou, la comtesse se présente comme une femme pratiquante, pieuse et fidèle aux valeurs de l’Église.
En effet, convertie en 1815 avant son arrivée en France, Sophie de Ségur se révèle être une ardente catholique. Elle est notamment très liée à Sophie Swetchine, russe également convertie avant son arrivée à Paris. Swetchine y devient une salonnière de renom à l’audience européenne, figure centrale des milieux catholiques libéraux.
Illustrations
Portrait de Delphine de Girardin ; vers 1831 ; huile sur toile ; H : 127, L : 97 cm. ; collection particulière.
Oreste Kiprensky, Sophie Rostopchine, Comtesse de Ségur, 1823, dessin, H : 46,5, L : 48 cm, musée Carnavalet.
Portrait d'Atala Stamaty-Varcollier ; 1833 ; Salon de 1834 ; huile sur toile ; H : 138,2, L : 98,5 cm. ; collection particulière.
Portrait d'Antoine-Vincent Arnault ; Salon de 1834 ; huile sur toile ; H : 61, L : 50,4 cm. ; collection particulière.
[1] Hippolyte Delphis, « Exposition de peinture (troisième article) », Le Mercure de France, 34e vol., Paris, Barbier, 1831, p. 76.
[2] Lettre d'Hortense Haudebourt-Lescot à monsieur Guérin – 31 décembre 1838. L.a.s., 2 pp. Adresse. Lille, Bibliothèque municipale, Ms 855, f° 403.
[3] Anne Martin-Fugier, La vie d'artiste au XIXe siècle, Paris, Louis Audibert, 2007, pp. 122-123.