D'un esprit léger et gracieux, cette oeuvre empreinte de tendre suavité met en scène au sein d'un cadre verdoyant silhouetté sur la droite d'une fontaine en forme de coquille Vénusienne une lascive Ménade plaisamment accostée par un petit Amour. Lové contre son épaule, le divin et folâtre bambin semble partager l'état de légère ivresse auquel s'abandonne, souriante, la jeune femme. Couchée, dévêtue, sur un tertre rocheux nimbé d'opulentes draperies qui lui sert de couche, celle-ci arbore en une posture sciemment cambrée des formes pleines, frémissantes; ses yeux extatiques, sa bouche gourmande, ses joues rosies évoquent l'enivrement suscité par la lourde grappe de raisins qu'elle tient dans une attitude évasive de sa main droite. Jalonnant la composition, pampres de vigne et grappes de raisins, amphore, thyrse et tambourin de basque- attributs signifiant la présence divine de Bacchus et de son cortége- placent la Ménade enivrée et son petit comparse (Bacchus enfant?) au sein d'un lieu empli de voluptueuses félicités.
Dominée par des tonalités brunes, ocres et vertes rehaussées de lumineuses et éclatantes taches d'or, de blanc mordoré ou laiteux, de pourpre , la palette de couleurs accentue la nature jouissive de cette composition placée sous les auspices de Bacchus. Divinité terrienne, emblèmatique pour le XVIIIe siècle français des Lumières de la Nature fécondante et de la joie de vivre à laquelle Jacques-Philippe Caresme octroya dans son oeuvre picturale ( La Bacchante enivrée, 1780, gravée par Jean-François Janinet), gravée (Les Plaisirs bacchiques, ensemble de gravures à l'eau forte colorée réalisé entre 1760-1789) ou dessinée une large part.
Notre huile sur papier fait vraisemblablement partie de cet "ensemble" d'oeuvres "autonomes "réalisées" par l'artiste entre 1763 et 1784 -comme le note Marie Yvonneau-Fournier (voir Bibliographie) - non à dessein d'études préparatoires pour des tableaux mais "pour être exposées et vendues".
Huile sur papier (marouflée sur panneau). Signée au dos, en haut, à gauche Caresme 1784.
Epoque: Ecole française de la seconde moitié du XVIIIe siècle
Bel état. A conservé toute la fraîcheur de son chromatisme.
Dimensions: 23 x 21 cm -Avec cadre: 40x 43 cm.
Provenance: Collection particulière..
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CARESME Jacques-Philippe
Peintre, dessinateur et graveur , né à Paris le 25 février 1734, mort dans la même ville le 1ier mars 1796 (Ec. Fr.)
Agréé en 1766 comme peintre d'histoire à l'Académie Royale où il accéda en 1753 en tant qu'élève de son cousin Charles-Antoine Coypel (1694-1752), cet artiste formaté au savoir-faire aimable et charmant de François Boucher (1703-1770) connut des débuts prometteurs.Remarqué lors de sa première prestation au Salon de 1767, Louis XV commanditera à Caresme deux dessus- de- portes à thématique florale destinés à orner l'antichambre du Petit Trianon au Château de Versailles : Métamorphose de la nymphe Menthe changée en plante, signé et daté de 1772 et , Myrrha métamorphosée en arbuste. Il devait toutefois perdre en 1778 sa place et statut d'Acadèmicien, faute d'avoir fourni un morceau de reception.
Peintre au talent très souple mais également graveur fort remarquable, Jean-Philippe Caresme exposera aux Salons outre des portraits, natures mortes, des "oeuvres mythologiques à la fois aimables et lestes, dont l'énergie érotique et la couleur sensuelle témoignent d'un regard sur Rubens, artiste parmi les plus appréciés de la France des Lumières" et, plus particulièrement des scènes de Bacchanales dont il s'était fait une spécialité.Nombre de ses scènes furent popularisées par des gravures de Bonnet, Demarteau ou Janinet.
Caresme a également laissé quelques sujets religieux (Sainte-Famille, Nantes), historiques traitant du passé (Saint-Louis recevant la Couronne d'épines, La Rochelle; La mort de Duglescin ,de localisation inconnue) ou aussi en écho aux évènements révolutionnaires ( Bravoure des femmes parisiennes à la journée du 5 octobre 1789 ; Dernières paroles de MarieJoséph Chalier dans les prisons de Lyon, le 17 juillet 1793, Paris, Musée du Louvre).
D'autres oeuvres de cet artiste sont détenues par les institutions muséales parisiennes ou de Province. Nous mentionnerons: L'offrande à Pan, aquarelle gouachée (Paris, Petit Palais), La Joueuse de guitare (Paris, Musée Cognac-Jay); Baigneuses (Bordeaux, Musée des Beaux-Arts), Centaure et Bacchante (Dijon, Musée Magnin) et une Métamorphose de Daphné (Musée de Toul).
Littérature: - Yvonneau-Fournier, Marie, L'identité de l'artiste au XVIIIe siècle. Le cas de Jean-Philippe Caresme (1734-1796), peintre du Roi, Mémoire de master, Université Panthéon-Sorbonne, 2015.
- Renouvier, Jules, Anatole de Montaiglon, Histoire de l'Art pendant la Révolution, 1789-1806, pp. 177 et suiv.
-Morel, Philippe, "Ménades et nymphes bacchiques dans l'art des XVIIe et XVIIIe siècles", in: Bacchanales modernes! Le nu, l 'ivresse et la danse dans l'art français du XIXe siècle, Bordeaux, Galerie des Beaux-Arts, Exposition, 12 févier-23 mai 2016, Silvana Editoriale, pp.35-36.n