Herminie parmi les Bergers
1790-1791.
Huile sur toile.
H : 97,6 ; L : 126,2 cm.
Exposition :
- Exposition de la Jeunesse, Paris, salle Lebrun, 1791, n° 13.
Le sujet de ce tableau est tiré d’un épisode de la Jérusalem délivrée, poème épique publié en 1581 par Le Tasse. Herminie d’Antioche est représentée lorsqu’elle prend refuge chez des bergers dans une contrée inconnue, semblable à l’Arcadie. Ayant revêtu l’armure de sa rivale, Clorindre, alors qu’elle tentait de conquérir le guerrier Tancrède, elle dépose les armes pour commencer une nouvelle vie auprès de ses bienfaiteurs. L’armure au premier plan sert de figure repoussoir, les trois personnages principaux sont représentés sur le pas de la porte d’une habitation que l’on devine humble. Herminie tient encore une lance, et la laisse du chien qui l’accompagne. Une femme est en train de défaire ses chausses alors qu’un berger lui désigne sa nouvelle vocation en pointant du doigt un groupe de moutons et de chèvres. Un arrière-plan riche dépeint ce lieu idéal, reprenant chaque détail de la scène décrite par Le Tasse, le fils des bergers jouant de la musique en arrière-plan.
Fille du maître à écrire du prince de Condé[1], Jeanne-Louise Vallain, connue sous le pseudonyme de Nanine. Durant sa carrière artistique, est représentative de la nouvelle génération de peintres femmes issues de familles instruites et privilégiées, proches des milieux aristocratiques. En quête d’ascension sociale, ces dernières placent leurs filles au sein d’ateliers de peinture prestigieux. En effet, la pratique du dessin est de bon ton dans les hautes sphères de la société.
De ce fait, la jeune Nanine Vallain fréquente les ateliers de Joseph-Benoît Suvée et Jacques-Louis David ; semble-t-il simultanément. À l’occasion de l’exposition de la Jeunesse de 1788, elle présente deux œuvres, hommages respectifs à ses deux maîtres. Sur la première, intitulé Une élève
costumée à l’antique et qui brûle un grain d’encens sur l’autel de la Peinture (Fig. 2).
Attribué à Suvée, ce tableau se trouve être l’œuvre de Nanine Vallain exposée en 1788. En effet, l’exacte correspondance entre le sujet et l’intitulé du livret ainsi que la manière, beaucoup plus proche d’un autre tableau de l’artiste conservé au musée Cognacq-Jay, permettent de l’attribuer sans aucun doute à Vallain. De plus, un portrait de Suvée esquissé en arrière-plan est un hommage de l’élève rendu à son maître l’esquisse du portrait de Suvée se détache en arrière-plan. Quant à la seconde, il s’agit d’un Autoportrait (Fig. 1) dans lequel la jeune peintre se représente en train de copier la figure de Camille extraite du Serment des Horaces de David.
À partir de 1790, Nanine Vallain entreprend la réalisation d’un grand format patriotique comme preuve de sa pleine adhésion à l’idéologie du nouveau régime français. Par ce biais, la jeune artiste balaye d’un revers de main toute suspicion qui voudrait voir en elle une contre-révolutionnaire. Sa Liberté, véritable chef-d’œuvre, est donnée par l’artiste au puissant Club des Jacobins qui l’installe au cœur de sa salle des séances. On y voit un changement dans sa façon de draper qui se fait plus complexe.
Au même moment, Vallain est approchée par le marchand de tableaux Jean-Baptiste Lebrun, époux d’Élisabeth Vigée-Lebrun. Ce dernier se porte volontaire dans l’organisation de l’exposition de la Jeunesse de 1791, proposant pour lieu d’exposition une salle nouvellement construite par ses soins rue de Cléry. L’initiative de Lebrun se distingue des précédentes manifestations de ce type par sa volonté affichée de qualité, tant dans la sélection des tableaux que dans une organisation rivalisant avec le Salon officiel. Pour cette exposition, Vallain destine un tableau retraçant un épisode de l’histoire d’Herminie, sujet rare tiré de la Jérusalem délivrée du Tasse. Par ce thème, elle s’inscrit dans la suite de Joseph-Benoît Suvée qui avait notamment exécuté deux tableaux sur l’héroïne en 1776.
Ouverte le 30 juin 1791, le livret de l’exposition mentionne au n° 13 : « Un tableau représentant Herminie parmi les Bergers, traçant le nom de Tancrède sur l’écorce des arbres, de 4 pieds et demi sur 3. ». Ce titre étrange, puisqu’il présente deux scènes distinctes, semble avoir été donné par nécessité pour l’artiste, avant de se décider sur sa composition finale. Cette description constitue en réalité la première idée de Vallain sur son œuvre. Il est également possible que l’artiste ait hésité entre les deux épisodes. En effet, pour permettre l’élaboration du livret, les dimensions et descriptions des tableaux ont été transmises particulièrement tôt à Jean-Baptiste Lebrun, avant l’achèvement effectif des œuvres destinées à l’exposition, ce qui explique que les dimensions correspondent alors qu’elle n’a pas exactement représenté le sujet donné. Dans son Avis au public et aux artistes, en première page du catalogue final, Lebrun déplore l’inexactitude de certaines notices :
« Ce catalogue ne pourra pas être aussi bien rédigé que nous l’aurions souhaité, attendu que MM. Les Artistes donnent des notes, ou mal expliquées, ou si mal écrites, qu’il est impossible de les deviner ; et, apportent encore leur note, ou leur ouvrage, ce jourd’hui 30, jour de l’ouverture.[2]»
Un remaniement tardif et inopiné du Herminie de Vallain serait la cause de l’erreur du livret à son propos. L’étude du châssis, qui est d’origine, et de la couche picturale, ors de la restauration, apporte des preuves concrètes en ce sens. En effet, le châssis du tableau est originellement monté pour soutenir un format portrait. De toute évidence, Vallain a éprouvé des difficultés dans l’exécution de sa première idée et aurait choisi tardivement de basculer sa toile, abandonnant un format vertical pour développer sa composition horizontalement. La couche picturale et les craquelures prématurées témoignent aussi de l’existence d’une composition peinte sous-jacente, abandonnée et recouverte par la composition finale. Alors que l’œuvre était finalisée, la couche inférieure peinte était toujours molle tandis que la surface de la composition séchait plus rapidement. Le mouvement induit par la réticulation de l’huile de la couche inférieure est la cause des craquelures spécifiques visibles en surface.
Enfin, une critique contemporaine apporte des indications supplémentaires sur l’œuvre et semble s’accorder avec notre thèse. Le commentateur se contente tout d’abord du titre d’ « Herminie parmi les Bergers » lorsqu’il fait état du tableau. En mentionnant la présence de plusieurs brebis et d’un chien, sa description semble exclure la possibilité d’une composition verticale compte tenu du nombre de protagonistes représentés :
« Mlle Nanine Vallain est déjà connue par une manière de draper simple et d'un bon stile [sic], par une couleur fraiche et agréable. Mais son tableau d'Herminie parmi les bergers le plus saillant de ceux qu'elle a exposer [sic] cette année, nous fait désirer qu'elle étudie davantage les formes et les proportions : le chien qui accompagne cette bergère, ainsi que les têtes de ses brebis, sont d'une grosseur qui donne de la maigreur à leur gardienne.[3] »
Fig. 1. Autoportrait occupée à copier la figure de Camille d'après le Serment des Horace de Jacques-Louis David ; vers 1787-1788 ; huile sur toile ; 127 x 96 cm. Paris, musée Marmottan (Inv. 175).
Fig. 2. Une élève costumée à l’antique et qui brûle un grain d’encens sur l’autel de la Peinture ; vers 1788 ; huile sur toile ; 88 x 117 cm. ; collection particulière.
Fig. 3. La Liberté ; vers 1790-1791 ; huile sur toile ; 128 x 97 cm. ; Paris, musée du Louvre (Inv. 8258) ; déposé au musée de la Révolution de Vizille.
[1] Louis-Pierre Vallain.
[2] Catalogue des ouvrages de peinture, sculpture, gravure, architecture, etc. Exposés le 30 Juin, jour de la petite Fête-Dieu, jusqu’au 15 Juillet. Par MM. les artistes libres, Paris, Prault, 1791, p. 9.
[3] Exposition des Tableaux faits par MM. les Artistes libres le 30 juin 1791, jour de la petite Fête-Dieu jusqu'au 15 juillet dans la Salle de M. Lebrun, capitaine du bataillon de St Magloire, rue de Cléry, Collection Deloynes, t..XVII, n° 428, p.5-6.