- Un clapotis silencieux dans un endroit secret -
Le dessin représente une vue de la forêt qui se dissipe progressivement sur les bords, ne permettant pas à l'observateur de se situer dans l'image. Celui-ci est comme attiré vers le centre de l'attention visuelle, exacerbé. De ce fait, la scène semble apparaître, mais gagne en même temps en substance réelle grâce à la solidité du pont en arc massif, assemblé à partir de pierres de taille. Motif principal de l'image, le pont, tel un vestige archaïque fondu dans la nature, sert également de guide au regard, qui attire l'attention sur l'eau blanche du cours d'eau et la végétation qui l'entoure. La diffusion de la perception qui s'y produit ramène cependant le regard vers le pont et donc vers la vue d'ensemble, de sorte qu'une alternance constante de diffusion et de concrétisation est initiée, dans laquelle se fonde la tension spécifique de l'image qui anime la scène. Cependant, la matérialisation et la dématérialisation ne se produisent pas uniquement avec le regard qui se promène dans l'image. Elles sont aussi liées à l'approche et à l'éloignement du spectateur par rapport à l'image, qui perd justement sa richesse de détails dans l'observation rapprochée et qui se reconfigure à mesure que l'on s'en éloigne.
L'artiste, qui a fait ses études à Karlsruhe, réfléchit ici à la naissance de la figuration. La nature est toutefois plus qu'un simple motif. C'est précisément le mode de représentation soutenu par le papier vert choisi qui exprime de manière emblématique le lien authentique entre culture et nature.
Le dessin est un témoignage impressionnant de la sprezzatura souveraine avec laquelle Gräßel pose habilement les traits les plus abstraits, qui se rejoignent visiblement au centre de l'image. La signature et la datation au jour près prouvent que Gräßel a attribué à cette œuvre plus que le caractère d'une simple esquisse.
Sur l'artiste
Franz Gräßel a grandi dans un environnement qui allait devenir la source de ses futurs motifs clés : La maison de ses parents était un moulin. Après avoir fréquenté l'académie des arts de Karlsruhe de 1878 à 1884 et étudié sous la direction de Carl Hoff jusqu'à la section des maîtres, Gräßel poursuivit sa formation de 1886 à 1890 à l'académie de Munich en tant qu'élève de Wilhelm von Lindenschmidt. Formé avant tout à la peinture de genre et au portrait, il a d'abord réalisé des portraits de la vie des paysans de la Forêt-Noire. À partir de 1894, il s'est tourné vers la peinture animalière, se concentrant surtout sur la représentation de canards et d'oies, ce qui lui a valu le surnom de « Enten-Gräßel ». L'œuvre de Gräßel constitue ainsi un parallèle avec celle d'Alexander Koester (1864-1932), qui a lui-même été surnommé « Enten-Koester ». Koester avait commencé des études d'art l'année suivant le départ de Gräßel de Karlsruhe, également chez Carl Hoff, et, comme Gräßel, il est parti plus tard pour Munich. Tout comme Koester, Gräßel a continué à peindre des portraits et des paysages en plus de ses représentations d'animaux.
Gräßel participait régulièrement aux expositions annuelles du Glaspalast de Munich, où il était souvent membre du jury. Les revues « Kunst unserer Zeit » et « Jugend » de Franz Hanfstaegel publiaient régulièrement des reproductions de ses tableaux. Le prince-régent Luitpod de Bavière, l'empereur Guillaume II et le Khédive d'Égypte, Saïd Halim Pacha, comptaient parmi ses collectionneurs les plus éminents.
Gräßel était membre de la Münchner Künstlergenossenschaft, de la Künstlerbund Isar, de l'association des aquarellistes munichois et de la Kunstverein München. Il a reçu de nombreux prix : en 1888, la II^(e) médaille d'or de la peinture. Il a reçu la médaille d'argent de l'Académie pour son tableau « Au travail », représentant ses trois sœurs en costume traditionnel de paysannes de la Forêt-Noire, en 1897, à l'occasion de l'Exposition internationale d'art de Munich ; la 2^e médaille, en 1888, à l'occasion de l'exposition internationale d'art de Munich ; et la 1^(re) médaille d'or, en 1909, à l'occasion de l'exposition internationale d'art de Munich. En 1903, Gräßel reçut la médaille d'argent de l'État de Salzbourg et, en 1910, la médaille d'argent de l'exposition internationale d'art de Buenos Aires.