Une pièce d’indienne rectangulaire de 79,5 x 69 cm, imprimée en noir au recto seul, dans un large encadrement couleur « rouge d’Andrinople », ou ocre, souligné de six filets noirs.
Excellent état de conservation en dépit de quelques rares petites piqûres.
Rare « mouchoir » (i.e. foulard) illustré rouennais, imprimé à la plaque de cuivre, portant une caricature allégorique sur la géopolitique européenne en 1854.
La caricature est divisée en deux registres. Au registre supérieur, sur les tréteaux d’une scène de théâtre, le tsar Nicolas Ier de Russie figure entouré de divers personnages symbolisant les pays européens engagés dans la guerre de Crimée : à gauche, la coalition opposée à la Russie, Espagne, Angleterre, France, Turquie ; à droite, les alliés de la Russie, la Prusse et l’Autriche. Au registre inférieur, des figures populaires compose le parterre du théâtre, commentant la scène par des réflexions humoristiques dignes du café du commerce.
L’impression fut réalisée par les frères Jean-Thomas Lamy-Godard et François-Thomas Lamy à partir de la plaque de cuivre dessinée et gravée par Narcisse-Alexandre Buquet, d’après les signatures au bas de la gravure. La gravure du motif central est exécutée sur plaque de cuivre tandis que l’entourage du mouchoir est imprimé à la planche de bois permettant ainsi des aplats de couleurs vives.
« Les fabricants d'indiennes demandaient généralement à des artistes-dessinateurs plus ou moins en renom l'ornementation de leurs tissus ; mais cependant il arrivait parfois que certains genres de dessins, tels que les images d'actualité par exemple, étaient entièrement créés par le graveur lui-même, s'inspirant des événements du jour. » (Pierre Villette, La Cravate Illustrée, 1902).
« Quelques fabriques rouennaises ont pourtant cherché à innover, à partir de la Restauration, en imprimant des sujets d'actualité sur des foulards ou des mouchoirs de grande taille, c'est-à-dire des articles de consommation courante, aisément renouvelables. Ce fut notamment le cas […] de Jean-Thomas Lamy (1782-1849), dit Lamy-Godard, du nom de son épouse, pour le distinguer die son frère François-Thomas (1781-1851), premier associé de Thomas Stackler à Saint-Aubin de 1822 à 1832. L'un et l'autre firent travailler les graveurs Buquet, père et fils, inlassables metteurs en images de l'actualité, heureuse (le retour des cendres de Napoléon en 1840) ou malheureuse (la mort accidentelle du duc d'Orléans, à Neuilly, le 1 3 juillet 1 842), religieuse (l'élection de Pie IX en 1848) ou profane (la noce du soldat), mais presque toujours porteuse d'une forte connotation politique. » (Serge Chassagne, « Indiennes et indienneurs à Rouen », Etudes Normandes, 45e année, n°3, 1996. De Gaulle et la Normandie. pp. 39-54.)
Narcisse-Alexandre Buquet (1825-1894) est issu d'une famille d'artistes rouennais, notamment créateurs de mouchoirs illustrés, et de tissu imprimé d'ameublement. De 1852 à 1870, il travaille pour la maison Lamy-Godard frères. Buquet exerça sa verve contre la Russie lors de la guerre de Crimée, en particulier dans cette caricature où l'empereur Nicolas est vivement pris à partie.