La Muse à Naintré
Huile sur toile (rentoilage)
Titré, dédicacé et signé en bas à gauche LA MUSE À NAINTRÉ / À RODOLPHE SALIS / HENRICUS
150 x 200 cm
Provenance :
Rodolphe Salis, Naintré (don de l’artiste)
Jean Salis, Naintré (par descendance)
Collection privée, Naintré
Collection privée, Aix-en-Provence
Note : le tableau est une commande de Rodolphe Salis, célèbre fondateur du cabaret Le Chat Noir, pour décorer son château de La Tour de Naintré dans la Vienne.
Jacob Henricus Maris, célèbre peintre néerlandais de paysages et l'un des principaux représentants de l'école de La Haye, sort ici de son registre habituel. En effet, lors de son long séjour en France, entre 1865 et 1871, puis lors de divers voyages ultérieurs, il se lie d'amitié avec de nombreux peintres et artistes. Parmi ceux-ci, Fantin-Latour, Corot, Stevens et ... Rodolphe Salis, le fameux fondateur du non moins fameux cabaret Le Chat noir, que l'on peut apercevoir, sinon le cabaret lui-même mais du moins sa mascotte, nonchalamment couché derrière le socle de la croix. Salis était natif de Châtellerault, tout proche de Naintré, et avait donc en 1892 acheté pour ses vieux jours le château de la Tour de Naintré, que l'on peut également apercevoir en arrière-plan du tableau en haut à gauche. Il commanda deux oeuvres à Maris pour orner sa campagnarde demeure : la première est une copie de l'Adoration du Veau d'Or par Willette, aujourd'hui conservée au Musée de Châtellerault, et la seconde n'est autre que notre tableau.
Cette oeuvre hautement symbolique, ou symboliste, comme on voudra, contient bien des choses : la dépiction de la terre natale de son commanditaire, et de sa dernière demeure puisqu'il y mourut, mais surtout un savant mélange de clins d'oeil et de grivoiserie mélancolique. Les allusions au célèbre cabaret de Montmartre sont nombreuses : le matou couché au pied de la stèle, évidemment, l'irruption de cette femme nue encore (pour paraphraser Thérèse), laquelle renvoie à une statue de Diane en plâtre d'après Houdon qui trônait dans l'entrée du cabaret, et enfin l'évidente gauloiserie qui ne devait pas manquer d'étoffer les soirées arrosées qui s'y déroulaient.
Dans une espèce de reprise bouffonne mais sensible de l'Angélus de Millet, une jeune femme nue, apparaissant telle Sainte Thérèse (encore elle) à un dur laboureur (pour ne pas dire un laboureur dur), remplace une croix tombée à terre... Sur son socle, on peut lire : O CRUX AVE. Soit en gaulois : "Je te salue Ô Croix". Peinte par un pieux protestant hollandais, la scène ne manque pas de piquant. La femme nue symbole de plaisirs remplace le Christ souffrant symbole de douleur et de sacrifice, mais en le remplaçant elle devient elle-même la Croix, que l'Homme se doit de porter après son dur labour... Les femmes vous diront qu'elles souffrent sous notre joug, et elles n'auront pas tort non plus ! Au Chat Noir en tous cas, les murs résonnent encore du son de bien joyeuses messes, dont les lendemains sont souvent fort mélancoliques...