Edouard Detaille, Caricatures, 1896, Dessin

Édouard DETAILLE
(Paris 1848 – 1912)
Caricatures
22 décembre 1896
crayon de graphite et encre noire avec comme papier, le Bilan de l’exercice financier 1895-96 de la société des artistes français
27,5 x 42,5 cm
annoté par le collectionneur ‘Detaille 22 décembre 96’ en bas à gauche
une petite déchirure sur la partie supérieure du bilan financier, pliures
Provenance : collection Georges Lemaire, par descendance

En savoir plus :

Édouard Detaille est un artiste et illustrateur du courant académiste, élève d’Ernest Meissonier, et principalement connu pour ses scènes militaires. Réputé pour son réalisme historique et son sens du détail, il s’est particulièrement illustré par son travail sur les uniformes, et fut sollicité par le ministère de la Guerre pour dessiner certaines tenues.
Par ailleurs fort impliqué dans la vie artistique de son époque, il participe activement aux Salons de peinture, est élu membre de l’Académie des beaux-arts en 1892 et préside de 1896 à 1900 la Société des artistes français.

Deux de nos dessins ont été exécutés sur le bilan de l’exercice financier de la Société des artistes français, édité à l’automne 1896 pour la période 1895-1896, soit tout au début de la présidence d’Édouard Detaille.
Le document est une feuille pliée en deux, formant quatre pages.
En couverture, une caricature esquissée figure le visage coiffé d’un clerc, de toute vraisemblance le pape Léon XIII (1810-1878-1903), alors en exercice. La tête est ronde ; les traits, caricaturaux, présentent une large bouche aux lèvres pincées, un nez aquilin et des sourcils fortement arqués. Le couvre-chef est légèrement fantaisiste, mélange entre une mitre et une tiare papale, ornée de motifs mais peu claire dans la forme.
À l’intérieur, dans le pli du document, se trouve le dessin plus détaillé d’un personnage aux attributs intrigants. Très caricatural, un homme aux sourcils fournis, aux joues mal rasées, au regard vague et tenant en bouche une petite pipe, semble arborer lui aussi la tenue blanche et gantée d’un pape. Les mains sont jointes, comme dans un geste pieux, ce qui contraste avec l’aspect et la posture négligés du visage, mais surtout avec le couvre-chef, élément le plus curieux du portrait. Celui-ci s’apparente à un bonnet découvrant les oreilles, rebiquant au sommet du crâne et surmonté d’une petite touffe de poils, faisant écho aux épais sourcils de l’homme. Proche à certains égards du bonnet phrygien, il n’est pas sans rappeler la forme de certains casques d’infanterie, rappel de la passion de Detaille pour l’imagerie militaire de son siècle.
L’impression générale est loufoque, grotesque, fantaisiste dans certains éléments – en particulier la coiffe –, et volontairement incohérente dans l’ensemble. Il est probable que Detaille ait voulu représenter un homme de sa connaissance, peut-être lié aux milieux artistiques ou militaires, et à l’associer par l’habit de prélat à un certain conservatisme, dans une époque agitée par les débats sur la séparation des Églises et de l’État. Le support et le geste laissent à penser que l’artiste a exécuté ces croquis lors de séances de travail de la Société des artistes français, ce qui renforce l’hypothèse d’un sujet de caricature lié à cette institution.

Quelques mots sur la collection Georges Lemaire (Bailly 1853 – 1914 Paris) :
Sociétaire de la Société des artistes français à partir de 1887, Georges Lemaire devient rapidement membre du jury. Il assiste alors à de nombreuses séances, où sa présence est attestée, entre autres, par les nombreux comptes rendus sur lesquels il figure aux côtés des plus grands artistes de son époque.
Très vite, il s’attache à récupérer méthodiquement, à l’issue de ces séances, les croquis et feuilles laissés par ses compères. Il les compilera, entre 1892 et 1913, dans sa collection personnelle.
Ces feuilles témoignent à l’évidence de l’urgence des artistes à créer, produire, représenter ce qu’ils observent, ou peut-être de leur besoin de s’évader lors de ces longues séances auxquelles ils assistent.
Collection plurielle par le nombre d’artistes qui y figurent, elle a également plusieurs dénominateurs communs qui contribuent à la rendre tout à fait unique. Il y a d’abord le contexte temporel est spatial de production : ces dessins ont tous été produits dans le contexte des séances de la Société des artistes français. Il y a aussi le médium, car la plupart des feuilles récoltées par Lemaire sont de même facture : un papier de qualité moyenne, très probablement distribué en début de séance. Les artistes ont parfois utilisé d’autres supports imprimés tels que des menus, ordres du jour ou bilans financiers de la société.
Les dessins qui composent cette collection présentent une grande variété : petits croquis, caricatures, tentatives de renouveau de style, parfois proches de l’écriture automatique…
Une partie des dessins sont signés de la main des artistes, les autres sont répertoriés grâce au collectionneur qui prenait soin de noter les noms des artistes dont il ramassait les feuilles.
La valeur de ces dessins réside, sans doute par-dessus tout, dans l’intimité qu’ils nous permettent avec leurs auteurs, tantôt émouvante, tantôt hautement instructive, du fait que ceux-ci ne supposaient probablement pas que leurs feuilles seraient conservées.