(Paris 1848 – 1912)
L’épervier
7 août 1897
crayon de graphite utilisant pour support un courrier du Ministère des Finances adressé à Edouard Detaille
feuille de 41 x 26,4 cm pliée en deux, formant quatre pages avec en page 1 un courrier du ministre des finances, en page 2 un croquis de morceaux de pains, en page 3 un dessin d’homme le bras tendu et en page 4 un exercice d’écriture
traces de pliures sur la feuille, toutes petites déchirures au niveau des pliures
annoté par le collectionneur ‘Detaille’
daté, à de nombreuses reprises par l’artiste
sans cadre
Provenance : collection Georges Lemaire, par descendance
Édouard Detaille est un artiste et illustrateur du courant académiste, élève d’Ernest Meissonier, et principalement connu pour ses scènes militaires. Réputé pour son réalisme historique et son sens du détail, il s’est particulièrement illustré par son travail sur les uniformes, et fut sollicité par le ministère de la Guerre pour dessiner certaines tenues. Par ailleurs fort impliqué dans la vie artistique de son époque, il participe activement aux Salons de peinture, est élu membre de l’Académie des beaux-arts en 1892 et préside de 1896 à 1900 la Société des artistes français.
En août 1897, Édouard Detaille griffonne sur un courrier qu’il a reçu, en tant que président de la Société des artistes français, de la part du ministre des Finances Georges Cochery. Cette lettre fait suite à la demande de Detaille d’octroyer une licence de bureau de tabac à la veuve du sculpteur Pierre-Bernard Prouha, ancien membre de la Société des artistes français. Ce document témoigne tout à la fois des implications politiques de la position de Detaille, de ses prérogatives mondaines et de son influence jusque dans les hautes sphères gouvernementales.
Les inscriptions laissées sur ce document relèvent pour une part de la distraction, ou d’une forme d’écriture automatique et répétitive. On y voit d’abord le mot « août » (le mois en cours, inscrit en tête du courrier), écrit quelques dizaines de fois autour du texte du ministère, mais aussi au verso sous forme d’études tridimensionnelles. Sur le même verso, plusieurs occurrences du nom « Poincaré », celui de deux cousins déjà bien connus en cette année 1897 : Henri Poincaré est mathématicien, physicien et philosophe, membre de l’Académie des sciences, Raymond Poincaré est un homme politique républicain, ancien ministre, deux ans plus tôt, de l’Instruction publique, des Beaux-Arts et des Cultes. Il est probable que Detaille l’ait côtoyé dans cette fonction, et qu’il ait inscrit son nom sur ce courrier ministériel par association d’idées. Notons d’ailleurs que Raymond Poincaré assistera aux funérailles d’Édouard Detaille, en tête de cortège, à la fin de l’année 1912, alors qu’il est président du Conseil.
À l’intérieur du document, enfin, se trouve le dessin le plus marquant. Il représente un homme au torse nu, à l’anatomie fort élancée, quelque peu caricaturale ou surréelle, tendant un bras et le regard vers le ciel. Le cou est long, comme le bras. Le visage au front bas, le nez prononcé et la chevelure noire donnent au sujet des airs de corbeau. Cette figure squelettique, quelque peu lugubre, transmet néanmoins une impression poétique, hautement expressive. Elle participe, comme les autres feuilles de la collection, à démontrer les talents de dessinateur de Detaille, au demeurant réputé comme peintre de scènes historiques académiques et réalistes. En contraste, on y perçoit un artiste capable d’inspirations lyriques, étranges ou oniriques, loin de la verve militaire et patriote qui fit sa réputation. Cet homme nu, chétif, aux cheveux flottants et au regard perdu, ne serait-il pas l’antithèse du soldat en uniforme ?
Quelques mots sur la collection Georges Lemaire (Bailly 1853 – 1914 Paris) :
Sociétaire de la Société des artistes français à partir de 1887, Georges Lemaire devient rapidement membre du jury. Il assiste alors à de nombreuses séances, où sa présence est attestée, entre autres, par les nombreux comptes rendus sur lesquels il figure aux côtés des plus grands artistes de son époque.
Très vite, il s’attache à récupérer méthodiquement, à l’issue de ces séances, les croquis et feuilles laissés par ses compères. Il les compilera, entre 1892 et 1913, dans sa collection personnelle.
Ces feuilles témoignent à l’évidence de l’urgence des artistes à créer, produire, représenter ce qu’ils observent, ou peut-être de leur besoin de s’évader lors de ces longues séances auxquelles ils assistent.
Collection plurielle par le nombre d’artistes qui y figurent, elle a également plusieurs dénominateurs communs qui contribuent à la rendre tout à fait unique. Il y a d’abord le contexte temporel est spatial de production : ces dessins ont tous été produits dans le contexte des séances de la Société des artistes français. Il y a aussi le médium, car la plupart des feuilles récoltées par Lemaire sont de même facture : un papier de qualité moyenne, très probablement distribué en début de séance. Les artistes ont parfois utilisé d’autres supports imprimés tels que des menus, ordres du jour ou bilans financiers de la société.
Les dessins qui composent cette collection présentent une grande variété : petits croquis, caricatures, tentatives de renouveau de style, parfois proches de l’écriture automatique…
Une partie des dessins sont signés de la main des artistes, les autres sont répertoriés grâce au collectionneur qui prenait soin de noter les noms des artistes dont il ramassait les feuilles.