À première vue, Baigneuse s’inscrit dans la grande tradition classique, puisant dans la perfection de la statuaire gréco-romaine et la rigueur formelle de l’École des Beaux-Arts du XIXe siècle. Son contrapposto, cette légère inclinaison du corps avec un appui marqué sur une jambe, confère à sa silhouette une fluidité naturelle, écho lointain des muses néoclassiques de Canova. Mais dans ce vocabulaire sculptural hérité du passé, Di Meneville insuffle une intimité adoucie : son regard baissé, absorbé dans une pensée lointaine, ses doigts délicats effleurant son menton dans un geste de rêverie involontaire. Le tissu, suspendu à sa main, n’est ni un ornement théâtral, ni un simple accessoire, mais un symbole discret de pudeur, un jeu subtil entre voilement et dévoilement, qui rappelle l’érotisme feutré propre à la sculpture Art Déco.
Si la composition exalte l’idéal intemporel, c’est le travail du sculpteur qui insuffle la vie à la pierre. Sculptée dans le marbre de Carrare, matériau prisé pour sa finesse et sa luminosité naturelle, Baigneuse semble échapper à la pesanteur, offrant l’illusion troublante d’une peau caressée par la lumière. Chaque courbe du corps, chaque contour délicat des muscles et de la chair est traité avec une précision infinie, donnant l’impression que la sculpture respire, frissonne sous le regard. Le jeu d’ombre et de lumière sur les surfaces polies accentue la délicatesse des formes, élevant l’œuvre au-delà de la simple représentation, lui conférant une aura presque immatérielle. La main du sculpteur se dévoile dans les détails infiniment soignés des doigts, des ondulations de la chevelure, de la douceur du visage, chaque élément révélant une sensibilité aiguë au geste et à l’expression.
Pourtant, Baigneuse ne se résume pas à une étude de la beauté ; elle est une évocation du silence, d’un instant suspendu dans le temps. Alors que Carpeaux insufflait à ses sculptures un souffle dramatique, et que Rodin explorait la rugosité brute de la forme, Di Meneville choisit une voie plus contemplative. Il sculpte non pour impressionner, mais pour apaiser. Ses figures ne cherchent ni l’action, ni l’émotion exacerbée ; elles existent pour elles-mêmes, absorbées dans leur propre présence, détachées de tout récit extérieur. Contrairement à Maillol, dont l’approche abstraite réduit la silhouette féminine à sa pure géométrie, Di Meneville conserve un naturalisme délicat, préservant ainsi l’équilibre entre idéalisation et humanité profonde.
Dans son exécution, Baigneuse se place aux côtés de la pureté néoclassique de Canova, de la sensualité fluide de Carpeaux, et du monumentalisme silencieux de Maillol. Et pourtant, ce qui distingue Di Meneville, c’est sa capacité à fusionner la rigueur du classicisme avec la retenue subtile de la modernité. Ses figures ne s’abandonnent ni aux grands gestes mythologiques, ni aux abstractions conceptuelles ; elles résident dans un univers d’intimité feutrée, où l’élégance et la pudeur se répondent en parfaite harmonie. La surface parfaitement polie de Baigneuse, loin des contrastes texturaux expressifs de Rodin, accentue son aura de pureté et de sérénité, lui conférant une présence éternelle, immuable et pourtant intensément personnelle.
Voici donc une sculpture qui n’impose pas sa présence, mais la murmure. Baigneuse n’a pas besoin de dominer l’espace ni de s’imposer par l’effet spectaculaire ; elle existe dans la subtilité d’une expression, dans l’éloquence silencieuse de sa posture. Elle n’est ni mythe, ni allégorie, ni déesse inaccessible. Elle est simplement elle-même, capturée dans un instant de grâce, suspendue à jamais entre le mouvement et l’immobilité, entre la conscience et le rêve.