Si la nature est une création divine, l’organisation de celle-ci dans ce que l’on nomme « un paysage » est le propre de l’homme. Le peintre de paysage est ainsi guidé par le concert des saisons, par l’écoulement du temps et par le passage des figures qui pérégrinent dans ces lieux. Sous un ciel bleu rythmé de quelques nuages printaniers, l’artiste déploie ici la poésie d’un sous-bois qui laisse apparaître quelques figures cheminant vers un fleuve serpentant. Juchés sur un promontoire rocheux, deux hommes pêchent. Derrière eux, au centre de la composition, un pâtre accompagné d’une musicienne juchée sur un âne conduit un petit groupe de bétail à travers la clairière. Pour elle, le voyage est un plaisir en soi et non le simple moyen d’atteindre une destination. Une seconde femme portant une jarre sur la tête remonte le chemin en sens inverse. Se rend-elle au village à l’architecture classique que l’on aperçoit sur la rive gauche du fleuve ? Elle croisera alors sur son chemin un pèlerin et un marchand au repos. C’est une journée qui débute sereinement dans ce paysage à peine réchauffé par un soleil levant dont la lumière jaune éclaire horizontalement la composition. L’artiste imprime l’écoulement du temps en peignant l’oscillation des feuillages, suggérant ainsi l’effet d’une brise légère dont la force meut les nuages et porte les oiseaux au-dessus du fleuve.
Devant notre ample paysage, le spectateur ne manquera pas de se remémorer la prose du célèbre Voyage en Italie de Chateaubriand : « Rien n’est comparable pour la beauté aux lignes de l’horizon romain, à la douce inclinaison des plans, aux contours suaves et fuyants des montagnes qui le terminent. […] Une vapeur particulière, répandue dans les lointains, arrondit les objets et dissimule ce qu’ils peuvent avoir de dur et de heurté dans leurs formes. […] Une teinte singulièrement harmonieuse marie la terre, le ciel et les eaux ».
Andrea Locatelli se livre ici à une habile synthèse en disposant des éléments d’architecture antique dans un paysage inspiré de la région du Latium où se déroule une vie profane. La lumière matinale qui pénètre la végétation aère la composition. Jouant sur les contrastes d’ombres, il étale une succession de plans jusqu’à l’horizon. Son style arcadien et idyllique emprunte à l’art de Claude Gellée et de Nicolas Poussin qui développèrent le classicisme dans la peinture de paysage. Il se distingue des bamboches et de la tradition nordique en refusant la peinture de genre et les figures anecdotiques. Ce faisant, il parvient à insuffler un sentiment de solitude poétique à son art, et dépasse ainsi le simple registre champêtre.
Notre composition est élégamment soulignée par un cadre mouluré en bois doré.
Dimensions : 94 x 167 cm – 108 x 181 cm avec le cadre.
Provenance : Ancienne collection suisse
Biographie : Andrea Locatelli (Rome, 19 déc. 1695 – id. 19 fév. 1741) est un artiste italien qui débute son apprentissage chez le peintre de marines Monsu Alto vers 1712. Suite à la mort de son maître, il poursuit sa formation chez Bernardino Fergioni (1674 – 1738) puis auprès de Biago Puccini. En 1715, il reçoit une commande pour décorer une pièce du Palazzo Ruspoli de Rome, pour laquelle il est payé au tarif d’un maître. Signe de son succès, Locatelli se voit offrir 500 livres de plus que son principal concurrent, Giovanni Paolo Panini, pour l’exécution d’une étude préparatoire de 1724, relative à un grand projet architectural commandé par le duc Vittorio Amadeo II de Savoie. En 1735, Philippe V d’Espagne lui commande deux peintures pour orner une pièce du palais royal de La Granja. C’est dans la peinture de paysage qu’il excelle et par laquelle il se fait connaître auprès des cardinaux romains Alessandro Albani et Pietro Ottoboni. Locatelli est un peintre prolifique et l’inventaire de la famille Colonna en 1783 recense 80 de ses œuvres.
Bibliographie :