La manufacture Erard est fondée par Sébastien Erard ( 1752-1831) est la plus ancienne manufacture de pianos française, elle disparaît au debut des des années 1960, avec ses éminents confrères, Pleyel et Gaveau, avec lesquels une association avait été tentée pour maintenir une industrie française du piano.
Sébastien Erard ,facteur du roi à la fin de l'ancien régime, craint pour ses jours, part pour Londres ou il fonde une succursale, qu'il confie à Pierre Erard son neveu ( 1796-1855) à son retour en France sous le directoire.
La manufacture Erard avec l'engouement pour le piano au tournant du siecle, prend son essort , et devient, grâce à sa créativité, la plus prestigieuse de France.
Sébastien Erard dépose des brevets, tel l'agrafe en 1808 qui amélioré la stabilité de l'accord , et surtout en 1821 la mécanique à double échappement qui assure au pianiste ,sur piano à queue, une facilité de répétition des notes inégalée, essentielle dans une période ou les compositeurs rivalisent de virtuosité.
Ces inventions sont toujours présentes sur les instruments modernes.
Son avance technologique sur tout ses confreres, lui confere une aura ,qui perdura tout le XIXe siècle, et lui permettra de fournir au monde entier, des instruments d'une qualité et d'une fiabilité peu commune.
Si l'on s'amuse à consulter les registres de vente de la compagnie, conservé et numérisé par la Cité de la musique, on ne peut qu'être ébahi par le renom des clients et la dispersion des instruments sur tout le globe.
La succursale londonienne continue, avec une forte liaison avec celle de Paris, de produire des instruments.
Pierre Erard à la mort de son oncle est désigné pour prendre les rennes des deux manufactures.
Cet instrument represente, le sommet de la production des maisons Erard.
En effet c'est le plus grand instrument que construit la compagnie de 1849 à 1902 ,et c'est aussi le plus rare.
En effet sur cette période moins de 500 instruments ont été fabriqués, soit une petite dizaine par an. Si l'on se refere au piano à queue le plus diffusé d'Erard , le modèle 1 de 212 cm , c'est plus de 10000 instruments sur la même période
Le grand concert devait être présenté à un prix astronomique, ce qui freinait sa diffusion.
Nous sommes en 1859, et alors, la maison Erard est au firmament, peu d'instruments peuvent alors rivaliser . Pourtant quelques années plus tard Steinway presentera le cadre métallique en fonte pleine qui deviendra le nouveau standart mondial.
Notre instrument sort de la manufacture de Londres, ce qui peut se découvrir par plusieurs indices.
Le choix d'une robe ( on peut s'amuser à utiliser cette expression) de ronce de noyer est de culture anglaise, en France le piano serait revetu d'acajou, de palissandre, voire de loupé d'érable, jamais de cette essence.
Des différences notables, dans le style du porte partition, ainsi que dans la piètement, complètent extérieurement les différences.
La table d'harmonie ne porte pas le tampon à l'encre mentionnant l'adresse rue Mail à Paris. Enfin , un réparateur du début du siècle, par crainte d'anglophobie traditionnelle, a fait disparaître les mentions "patent" et "London " disposées autour de la marque Erard sur le cylindre, en replaquant les vides créés ( c'est très bien fait)..
La numérotation , placée sous le pied et non à l'intérieur du piano acheve de confirmer cet amusant imbroglio.
Il serait alors difficile de dater le piano, car nous ne disposons que des registres français.
Heureusement, le contremaître vérificateur de la mécanique, à apposé au crayon sur la côté de la première touche la date 1859 et son nom.
Les caractéristiques techniques de l'instrument sont les suivantes :
Clavier 85 notes ( de la à la) sept octaves
Cadre métallique serrurier ,à corde parallèles ( en plusieurs pièces boulonnees) dote de six barres et d'une harpe métallique ajourée dans les basses, pour renforcer l'ensemble, et présente seulement sur ce grand modèle.
Un puissant barrage de chêne soutient l'ensemble de la structure du piano
Mécanique à double échappement, emblématique de la maison Erard, etouffoirs par dessous les cordes, actionnés par des ressorts de rappel.
Pédalier: deux pédales, forte et unacorda.
Le montage des cordes est intégralement sur agrafes ( ce qui n'est pas commun, les Erards continentaux sont munis d'une barre de Capodastre dans les aigus)..
L'état de l'instrument est le suivant :
Le piano a été acheté dans une très belle demeure du Perche ou il croupissait dans un dommageable abandon depuis décennies.
On peut penser que le sommier d'accord a été changé au début du XXe siècle. Une petite différence de niveau entre les éclisses et le sommier, montrent que celui-ci n'est pas d'origine et a bougé légèrement, alors que la tenue d'accord est parfaite.
Je n'ai pas pu résister à la tentation de le sauver.
Pour mon usage personnel, je l'ai confié à Mr Frédéric Rondeau, Facteur de pianos à Montargis, qui, outre la compétence, à la passion des instruments anciens ( ce qui n'est pas commun chez les facteurs de pianos). Il a donc, avec affection et attention effectué les secours requis.
Une Rémise à niveau générale l'instrument a été entreprise :
- changement intégral des feutres de mortaises de claviers et des feutres de mécanique defecteux.
Réglage de la mécanique, dressage du clavier.
Changement des cordes manquantes.( acier paullelo).
Changement total des feutres d'etouffoirs
Nettoyage général de la table d'harmonie et de toute les parties de la mécanique.
Nettoyage et ravivage du meuble qui était très passé. ( quelques détails sont encore à prévoir)
L'état actuel de l'instrument est donc à ce jour :
La table d'harmonie, est sans aucune fentes.
La tenue d'accord est excellente pour un instrument de 175 ans ( un accord par an est suffisant, deux permettent la perfection avec les grands changements de saisons).
La mécanique a retrouvé sa vélocité originelle, si particulière sur les Erards, elle permettra à un musicien accompli de découvrir des effets romantiques impossibles sur les lourds et gras instruments modernes.
Enfin , cet instrument a retrouvé sa puissance sonore originelle, en partant de ses basses insondables, aux médiums expressifs,et ses aigus perlés.
Il est conservé depuis plusieurs années dans une pièce raisonnablement chauffée.
La restauration est à poursuivre, le meuble necessite pour être parfait des compléments d'intervention. Il devra être choyé et surveillé, par une personne aussi attentionnée que mr Rondeau qui a vraiment ramené à la vie ce chef d'œuvre de la facture d'instruments.
Pour conclure, c'est un miracle de pouvoir retrouver le son familier des grands compositeurs du milieu du XIXe siècle, et d'explorer la richesse de leur univers intact.
Je me sépare de ce merveilleux instrument, car ma maison est bien petite, le son réverbère, et je ne puis habiter à l'intérieur du piano....
PS: pour se rendre compte des capacités de cet instrument, vous pouvez écouter sur YouTube le Concerto n°3 de Beethoven dirigé par Frans Bruggen et interprété par Maria Joao Pires sur un Erard similaire ( même taille). Il est rare qu'un ou une pianiste de renommée internationale fasse ce type de prestation, car il ou elle est obligé de remettre en cause tous ses automatismes.
On peut alors se rendre compte que l'œuvre de Beethoven est mieux rendue sur cet instrument, finalement plus proche, de celui dont il pouvait disposer et qu'il explorait avec gourmandise.