Judith et la tête d’Holopherne
Huile sur toile
72 cm x 60 cm
Restaurations, rentoilage ancien
Cadre en bois et plâtre doré
Provenance : Grasse, collection particulière
Le sujet de cette toile doit être identifié comme Judith et la tête d’Holopherne, dont l’action se déroule durant les guerres qui opposent la puissante Babylone à ses turbulents voisins (Ancien Testament, Livre de Judith 13 : 8-11).
C’est ainsi que le roi Nabuchodonosor II a envoyé le général Holopherne châtier les peuples qui ont refusé de le soutenir dans la guerre contre le roi des Mèdes, Arphaxad. Après avoir ravagé tout le Proche-Orient, Holopherne assiège Béthulie en Judée. Une jeune veuve d'une grande richesse, Judith, prend la décision de sauver la cité.
Avec sa servante et des cruches de vin, elle pénètre dans le camp d'Holopherne. Ce dernier est tout de suite envoûté par sa beauté. Il organise en son honneur un grand banquet. Lorsqu’ils se retrouvent seuls, Judith l'enivre jusqu’à ce qu’il ne soit plus en état de résister à ses avances. Aidée de sa servante, elle le décapite et revient à Béthulie avec sa tête. Au matin, les soldats babyloniens découvrent leur chef assassiné. Pris de panique, ils quittent précipitamment le champ de bataille au grand soulagement des assiégés qui portent en triomphe la belle Judith.
Judith est représentée seule, sans sa servante, la tête d’Holopherne dans la main gauche et un cimeterre d’où perlent des gouttes de sang dans la droite. Sa peau laiteuse contraste singulièrement avec la tête d’Holopherne, traitée en grisaille, afin d’accentuer la vision de mort qui s’en dégage. Le peintre suggère la décapitation plus qu’il ne la montre. Il a choisi de mettre au premier plan l’héroïne dont l’éclat est rehaussé par les riches broderies de ses vêtements et l’éclat de ses pendants d’oreilles. Traitée à la manière d’une commande privée, cette peinture renvoie au raffinement des artistes florentins du XVIIème siècle.
Même si le sujet a sans doute connu avec Caravage son expression la plus dramatique (Fig. 1), les peintres du Seicento florentin le traitèrent avec beaucoup d’aisance jusqu’à en faire l’un de leurs thèmes de prédilection. Au début du XVIIème siècle, Cristofano Allori en livra une version qui compte parmi ses réalisations les plus abouties (Fig.2), et qui fut l’objet de nombreuses copies dont l’une des plus célèbres est attribuée à Cesare Dandini. Tout au long du siècle, le sujet est repris par des peintres comme Artemisia Gentileschi (Fig. 4), Matteo Rosselli (Fig. 5), Francesco Furini (Fig.6) et surtout par cette famille d’artistes au nom resté célèbre, les Dandini (Fig. 7).
Ce tableau prépare sans nul doute une oeuvre plus importante. En l’absence de signature ou de quelque inscription permettant de trancher de manière définitive, d’autant que nous ne connaissons pas la composition finale qui, très certainement, devait reprendre en l’amplifiant le drame biblique, nous ne pouvons que nous interroger sur la paternité de cette toile. Le parti pris de se focaliser uniquement sur le personnage de Judith, en glorifiant sa beauté, tout en passant sous silence l’acte atroce qu’elle vient de commettre, laisse à penser qu’il s’agit assurément d’un portraitiste.
Au nombre des artistes florentins qui ont suffisamment de métier pour jouer avec les différents registres que les genres imposent sans tomber dans la violence du caravagisme, le nom d’Ottaviano Dandini apparaît comme le plus envisageable. Héritier d’une longue lignée de peintres que les Médicis et les riches patriciens de la ville surent habilement faire travailler pour leur plus grande gloire, Ottaviano Dandini s’inscrit dans les pas de son père, Pier Dandini et de ses oncles, Cesare et Vincenzo Dandini. Si son œuvre reste encore pour une large part méconnue, éclipsée par les réalisations de son père, Ottaviano Dandini fut un fresquiste de renom et ses décors à San Spirito et à San Lorenzo témoignent d’une éloquence annonciatrice du Rococo.
Dans ce portrait, il reprend le modèle qui a assuré le succès de la famille : une image apaisée qui rappelle les saintes pénitentes et les allégories viriles de Cesare Dandini (Fig. 8). Le traitement du vêtement se veut plus lâche, en quelque sorte suggéré plus qu’appuyé, sans doute parce qu’il s’agit de la première idée d’une effigie qui en appelle d’autres. On retrouve, comme chez son père, l’apparence d’un visage diaphane dont la présence renforce la noblesse et la singularité (Fig. 7 & 9). En somme, Ottaviano Dandini a fait le choix de la courtisane silencieuse, laissant aux derniers épigones de Caravage l’image d’une Judith plus guerrière.
Nous remercions le Professeur Maria Cecilia Fabbri, auteur du catalogue raisonné de Baldassare Franceschini dit Il Volterrano (1611-1689), d’avoir suggéré l’attribution sur la base d’une photographie en haute résolution. D’autre part, nous remercions Madame Paola Betti organisatrice de l’exposition Girolamo Scaglia, pittore d’ingegno accortissimo (Lucques, Chiesa di San Franceschetto 24 Febbraio – 15 Aprile 2018) de nous avoir aimablement conseillé dans nos recherches.
Bibliographie :