L’École des Arts Joailliers a le plaisir d’accueillir dans sa nouvelle maison parisienne, l’hôtel de Mercy-Argenteau, l’exposition inaugurale « Bijoux de scène de la Comédie-Française ».
Cette exposition au sujet inédit présente plus de cent-vingt accessoires, œuvres d’art et documents permettant aux visiteurs de découvrir le destin passionnant des figures illustres de la scène française : la couronne de lauriers en métal doré de Talma offerte par Napoléon, les diadèmes ornés de pierreries de Rachel, la tunique qui habillait Mounet-Sully dans Athalie de Racine ou encore la broche de Sarah Bernhardt réalisée par René Lalique…
En complément, costumes, tableaux, gouaches, miniatures, manuscrits et autres photographies invitent à un voyage dans le temps, du XVIIIe siècle à la Belle Epoque, en passant par le Romantisme et l’Orientalisme du XIXe siècle.
La Comédie-Française occupe une place à part dans le paysage théâtral français, européen et mondial. Fondée en 1680 par le roi Louis XIV, elle est depuis animée par une troupe permanente de comédiennes et de comédiens qui ont pour mission d’interpréter un répertoire de pièces françaises et étrangères. Théâtre de création, sa troupe constituée en société est la plus ancienne en activité au monde. La longévité de l’institution et son statut particulier ont permis de réunir un patrimoine unique témoignant de cet art de l’éphémère, le théâtre.
Les bijoux de scène en font partie. Objets paradoxaux, ils se situent aux confins du vrai et du faux. Les parures conçues spécifiquement en faux pour le théâtre cohabitent avec les plus précieux joyaux offerts aux interprètes et portés sur scène. Eléments d’ornement du costume porteurs d’une esthétique, ils peuvent aussi servir à l’intrigue théâtral et ainsi être manipulés en jeu. Leur symbolique est forte et les dramaturges ont recours au bijou accessoire en de multiples occasions pour définir et dénouer les situations. Aux yeux du public, l’objet factice rend crédible les scenarii de fiction.
L’École des Arts Joailliers, s’étant donné pour mission de faire connaître les usages du bijou ainsi que son élaboration à travers les siècles et sur tous les continents ne pouvait que s’intéresser à la collection exceptionnelle de bijoux de scène de la Comédie-Française. Portés par les plus grands comédiennes et comédiens, ils imitent et réinventent les bijoux d’époques et de civilisations très variées et sont parfois les témoins de pratiques joaillières du passé dont les parures précieuses, remontées, refondues pour suivre une mode en constante évolution, ont disparu.
Toc en stock : les réalités du bijou de scène
Les bijoux de scène n’ont besoin ni d’or, ni d’argent, ni de pierres précieuses. L’essentiel est l’illusion théâtrale, que les faux fassent vrai. Le bijou est partout au cœur des intrigues théâtrales, mais on ne conserve aucun objet avant le XIXe siècle. C’est par l’iconographie et les archives qu’on le retrouve ceignant les fronts, serpentant le long des bras, des poignets et des doigts, s’affichant sur les poitrines des actrices et des acteurs dans l’exercice de leur art.
En l’absence d’artefact, il faut se livrer à un travail archéologique et documentaire pour déterminer les usages du bijou de scène. On y lit que le théâtre fournit les bijoux aux actrices et aux acteurs lorsqu’ils remplissent une fonction dramaturgique : on les considère alors comme des accessoires de scène indispensables, des embrayeurs de l’action. En revanche, ceux qu’arborent les comédiens et comédiennes dans leurs portraits en jeu sont le plus souvent des ornements laissés à leur interprétation. De la même manière qu’ils sont maîtres de leur garde-robe théâtrale, les artistes choisissent librement les bijoux-ornements qui concourent à l’esthétique de la scène.
Ces parures mettent en valeur l’interprète, son costume, son personnage par des traits caractéristiques, ils ajoutent au faste de la représentation mais sont parfois en contradiction avec l’action, notamment quand ils sont dictés par la mode du jour. Par ailleurs, les bijoux de scène ont suivi les réformes du costume de scène qui, depuis le milieu du XVIIIe siècle jusqu’au romantisme, tendent vers une plus grande vérité historique et géographique des parures, réclamant une unité, une vision d’ensemble, l’adéquation du costume et de ses ornements avec le temps et l’esprit de la pièce. On cherche le bijou juste, dans un souci d’authenticité.
Parures à l’antique
Au milieu du XVIIIe siècle, Lekain (1729-1778) et Mlle Clairon (1723-1803), tragédien et tragédienne de premier plan, envisagent une première évolution du costume de scène, influencés par Voltaire et sa conception du théâtre historique. Le dramaturge souhaite en effet que les costumes de ses pièces soient adaptés au temps et au lieu de l’action. À la fin du XVIIIe siècle, la réflexion se centre sur le costume à l’antique d’inspiration gréco-romaine, sous l’impulsion de Larive (1747- 1827) et surtout de Talma (1763-1826). Ce dernier entreprend une réforme de la scène dès la Révolution, influencée par le néoclassicisme de Jacques-Louis David (1748-1825) qui dessine pour le théâtre décors et costumes.
C’est dans la suite de ce mouvement de retour à l’esthétique antique, qui touche toute la société, que les bijoux de tragédie classique vont évoluer. Couronnes de laurier et d’olivier, camées et bandeaux d’or ornés de frises « à la grecque » et de palmettes s’imposent alors sur les scènes parachevant le nouveau costume indispensable du répertoire classique : la toge. Le tragédien Talma est le comédien le plus connu de sa génération. Il entretient avec Napoléon une amitié faite d’admiration réciproque et de complicité esthétique et politique. Cette proximité de l’artiste et de l’Empereur se lit jusque dans l’écrin de scène du tragédien. Le théâtre est parfaitement en phase avec l’esthétique de l’Empire, son goût de l’antique et le bijou de scène en sont le témoignage.
Bijoux de scène romantiques
La recherche du pittoresque et de la couleur locale propre à la scène romantique unit interprètes et dramaturges et passionne le public ébloui. La Comédie-Française subit en la matière la rude concurrence des théâtres de boulevard. La période qui va des années 1830 à la fin du siècle est marquée par la personnalité de Rachel (1821-1858), tragédienne qui remet au goût du jour le répertoire classique, porte sur scène mieux que personne la toge à l’antique, mais incarne dans sa vie le type même de l’héroïne romantique. Sa carrière fulgurante – elle meurt à trente-six ans – la mène de la Comédie-Française à toutes les cours d’Europe et jusqu’aux États-Unis. Elle apporte un soin tout particulier à la conception de ses costumes et de ses parures.
Le romantisme se caractérise entre autres par l’inflation du nombre de bijoux que l’on peut admirer sur scène, par leur variété et leur renouvellement dans tous les styles. Avec Rachel, jamais Phèdre n’eut plus de bijoux, elle qui proclame à l’acte I : « Que ces vains ornements, que ces voiles me pèsent. » Quand Mlle Raucourt (1756-1815) possédait un unique diadème, Rachel en accumule un grand nombre, dont la qualité de réalisation est digne des plus grands joailliers. Même Marie Dorval, égérie des romantiques, ne peut en dire autant.
L’orientalisme sur scène
L’Orient fascine la France des XVIIe et XVIIIe siècles et particulièrement les scènes théâtrales. Expéditions et missions diplomatiques véhiculent un imaginaire stimulant pour les artistes. Mais si les pièces de théâtre – notamment de Voltaire – sont assez exactement situées dans le temps et l’espace, les parures entretiennent un certain flou sous le terme générique d’exotisme. Malgré les efforts des acteurs, Gengis Khan – présenté par Voltaire comme le roi du Tartare dans L’Orphelin de la Chine, la pièce se déroulant à Pékin – arbore à peu près le même costume qu’Orosmane, soudan de Jérusalem dans Zaïre. Les acteurs portent caftans et kurdis pour les turqueries et divertissements orientaux.
Les bijoux sont essentiels au rendu pittoresque ; leur composition est laissée au choix des interprètes en l’absence de documentation fiable. Certains éléments récurrents permettent au public d’identifier les personnages : turbans ornés d’aigrettes, croissants – symbole de l’Empire byzantin, d’Asie Mineure ou plus tardivement de l’Islam – et couronnes à pointes richement ornées. Les travaux archéologiques intéressent néanmoins les comédiens qui s’en inspirent pour certains éléments très caractéristiques comme le pectoral du Grand Prêtre Joad dans la tragédie Athalie de Racine.
Monstres sacrés, acteurs-bijoux
C’est du nom de « montre sacré » que Jean Cocteau qualifie les interprètes qui ont marqué son parcours de jeune spectateur : Sarah Bernhardt, Mounet-Sully, Julia Bartet, Édouard De Max… Ces figures majeures de la Belle Époque, adorées du public pour leur jeu et leur présence scénique, apportaient un soin tout particulier à la reconstitution historique. Les comédiennes sont des symboles de l’Art nouveau et travaillent main dans la main avec les créateurs, peintres et joailliers. Sarah Bernhardt pousse le plus loin l’art du bijou scénique. Perles, pierreries, broderies d’or et d’argent se propagent souvent sur l’ensemble du costume faisant d’elle une femme-bijou, procédé exacerbé dans Théodora de Victorien Sardou, où l’ornementation précieuse recouvre littéralement la comédienne. Le bijou perd alors son autonomie et devient une partie intégrante du costume, ce que l’art théâtral va confirmer au XXe siècle.
Le costumier va définitivement prendre le relais des comédiens et l’intégrer à une vision globale du personnage en accord avec la mise en scène : bijoux cousus, recomposés à partir d’éléments divers, imités en applications de textiles, ils sont peu à peu indissociables du costume. Parallèlement, les comédiennes deviennent les modèles des créateurs joailliers de l’Art nouveau en portant à la scène leurs bijoux d’avant-garde, telles Sarah Bernhardt et Julia Bartet pour René Lalique.
Hôtel de Mercy-Argenteau
16 bis boulevard Montmartre
75 009 Paris
Exposition ouverte jusqu’au 1er septembre 2024