Auteur dramatique, dessinateur, paysagiste, Louis Carrogis, dit Carmontelle (Paris, 1717-1806) est un brillant amateur dont les multiples talents reflètent le milieu cultivé et cosmopolite dans lequel il évolue. Ordonnateur des fêtes du duc d’Orléans, célèbre pour ses portraits comme pour ses comédies improvisées appelées Proverbes, il dessine le parc Monceau à Paris pour le duc de Chartres et met au point les transparents, rouleaux de papier faisant défiler de riants paysages.
De Mozart à Buffon, de Rameau au baron Grimm, il dresse le portrait fidèle du tout-Paris du milieu du XVIIIe siècle : princes du sang, écrivains, philosophes, musiciens, scientifiques, belles élégantes du « temps de la douceur de vivre », selon le mot de Talleyrand sur l’Ancien Régime. Grâce à Henri d’Orléans, duc d’Aumale (1822-1897), descendant des Orléans qui rachète la majeure partie de ce fonds en 1877, le musée Condé à Chantilly conserve la plus belle collection au monde de Carmontelle avec 484 portraits dessinés et un transparent.
Débuts
Fils d’un maître cordonnier parisien, Louis Carrogis, après des études de géométrie, est « ingénieur » en 1744. Pour faire oublier sa modeste extraction, il prend le nom de Carmontelle. Durant la guerre de Sept Ans (1756-1763),
il participe aux campagnes comme topographe, croquant les soldats de son régiment et faisant jouer des comédies improvisées. Ses premiers dessins sont alors exécutés à la pierre noire et à la sanguine, à la différence des œuvres postérieures.
Au service des Orléans.
« Des portraits mauvais, mais ressemblants » (Grimm)
En 1759, son ami le chevalier de Pons propose au duc Louis Philippe d’Orléans (1725-1785) de nommer Carmontelle lecteur de son fils Louis Philippe-Joseph, duc de Chartres (1747-1793), futur duc d’Orléans et futur Philippe Egalité.
Il réalise alors les portraits à la gouache et à l’aquarelle de toute la cour des Orléans du Palais-Royal, à Saint-Cloud et Villers-Cotterêts de 1755 à 1784, sous Louis XV et Louis XVI. «Cette place, quoique honorable, dit Mme de Genlis, était en quelque sorte subalterne, puisqu’elle ne donnait pas le droit de manger avec les princes, même à la campagne ».
Dessinateur amateur, Carmontelle privilégie par facilité les portraits de profil, selon la mode lancée par Etienne de Silhouette (1709-1769), dissimulant ainsi son manque de technique. Il parsème ses portraits d’objets symboliques : scientifiques au travail, musiciens jouant de leur instrument, cantatrices sur scène, veneurs à cheval, collectionneurs avec leurs objets favoris, et s’attache aux costumes, étonnamment diversifiés. Les fonds sont, tantôt des appartements luxueux, tantôt des jardins animés de fontaines
Les Proverbes
« L’ami Carmontelle fournit des pièces comme des petits pâtés » (Grimm)
Pour distraire la famille d’Orléans, de Condé ou les amis de Mme d’Epinay à Montmorency, Carmontelle écrit des comédies ou proverbes dans la tradition du théâtre amateur, sur le thèmes des relations conjugales et des dettes, et publie ses œuvres de 1768 à 1781 ; son nom et celui de Diderot sont réunis sur une affiche de théâtre en 1769. Selon Grimm (1771) : « Il est lui-même auteur passable ; il dessine fort bien pour un homme dont ce n’est pas le métier ; il a du goût et c’est un des ordonnateurs de fêtes de société le plus employé à Paris », mais pour Diderot : « M. de Carmontelle n’a jamais pu faire une comédie supportable.»
Carmontelle critique de Salons.
Carmontelle l’amuseur, Carmontelle l’amateur, s’intéresse aux tendances artistiques nouvelles. Dès 1765, dans ses Salons, Diderot rapporte leur discussion sur la peinture religieuse.
Sensible à l’art de Greuze, il apprécie David et publie régulièrement mais de façon anonyme des critiques de Salon de 1779 à 1789.
Le créateur de « jardins naturels »
A cinquante ans passés, Carmontelle devient paysagiste. En 1769, le duc de Chartres achète le domaine de Mousseaux au pied de la colline de Montmartre : topographe, amateur de jardins et de fêtes, Carmontelle y crée la « Folie de Chartres » (1770-1774), dont une partie est l’actuel parc Monceau.
Il appelle ce parc « un jardin naturel », animé de fabriques, dénigrant les pelouses à l’anglaise et critiquant la simplicité de Jean-Jacques Rousseau. Cela rend Carmontelle célèbre, mais le duc de Chartres fait appel au paysagiste écossais Thomas Blaikie qui modifie le parcours.
Les transparents
Dans les années 1780, pour amuser la cour des Orléans, il met au point un système permettant de dérouler un paysage peint de façon continue sur plusieurs feuilles de papier collées. « Carmontelle, écrit Mme de Genlis, a eu l’idée de faire sur papier transparent une espèce de lanterne magique toute
composée de gracieuses scènes d’invention représentant des paysages. » Sa vente après décès en mentionnait onze réalisés de 1783 à 1804.
Cinq sont aujourd’hui conservés dans des musées dont deux aux Etats-Unis, au J. Paul Getty Museum à Los Angeles, dans la collection Rachel Lambert
Mellon à la Oak Spring Garden Library à Upperville, Virginie, et trois en France, au musée du Louvre, au musée de l’Ile-de-France à Sceaux et au musée Condé (ce dernier mesure 12 mètres).
A la Révolution, Carmontelle voit disparaître le duc d’Orléans, guillotiné en 1793. Il n’émigre pas et meurt à 89 ans en 1806 à Paris. Son acte de décès le désigne comme « rentier et homme de lettres » : délicieux dessins et prodigieux transparents n’étaient donc qu’amusement d’amateur.
Le duc d’Aumale et Carmontelle.
Petit-fils de Philippe Egalité, le duc d’Aumale ne pouvait que s’intéresser à Carmontelle qui avait dressé les portraits de la cour du Palais Royal. Il voulait faire revenir en France ces dessins exilés en Angleterre, car d’un grand intérêt pour l’histoire familiale, pour l’histoire du goût et pour l’histoire de France.
Il achète en 1877 pour 4 500 £ (112 500 francs) 440 dessins de Carmontelle (soit 520 personnages) par l’intermédiaire d’Andrew Mac Kay, de la galerie Colnaghi, qui procura ensuite au duc d’Aumale quelques autres dessins. A sa mort en 1897, le duc d’Aumale possédait ainsi 484 dessins, soit 562 portraits. En 1936, Gabriel Dessus donne au musée Condé un transparent long de 12 mètres.
Aucun musée au monde ne dispose d’un fonds aussi important et diversifié que le musée Condé.
Carmontelle nous livre un témoignage précieux, presque un instantané, de la société d’Ancien Régime qui allait disparaître avec la Révolution.
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Jusqu’au Dimanche 3 Janvier 2021