Le cuir de Cordoue, également nommé Guadamacile, est une peau de chèvre ou de vache tannée à la gomme résine d’un arbuste ( le sumac), gravée, repoussée (en relief) et parfois peinte ou dorée. Cet art virtuose fut transmis aux Espagnols par leurs conquérants arabes. Les cuirs de Cordoue sont issus d’une technique maîtrisée par la ville de Ghadamès en Libye, qui en avait fait sa spécialité depuis fort longtemps, et qui fut importée par les Maures sous le Califat de Cordoue. Mais ce type de cuir est encore plus ancien et remonte à l’Antiquité.
Le cuir de Cordoue est travaillé dès le XIème siècle à cordoue, en Andalousie. Sa renommée s’étend dès le XIIIème siècle: il est alors acheminé vers la France, l’Italie,et les Flandres. Les cuirs sont tendus sur des paravents, ornent les coffres et les coffrets, les panneaux muraux décoratifs, les devants d’autel, les tableaux de dévotion….
Les effets de relief et de décor sont obtenus par une succession d’opérations fort délicates. Gaufrage, moulage, repoussage, martelage, frappe aux fer, poinçonnage, gravure, décoration aux feuilles d’argent ou de cuivre, voire d’or. Le résultat, souvent spectaculaire, donne au cuir l’apparence du bois naturel sculpté ou de la marqueterie la plus fine.
Comment les cuirs de Cordoue étaient-ils réalisés ?
La technique originelle de la fabrication des cuirs de « Cordoue » était particulièrement complexe, et tout le procédé se déroulait du début à la fin dans l’atelier du maître cordouan. La dimension des cuirs de Cordoue était fixée à la taille maximale de 75 cm sur 65 cm.
La toute première étape était bien entendu la préparation de la peau. En effet, le tanneur devait amincir le cuir afin de n’en garder que la « fleur » la plus propre possible. la peau de mouton (basane) était immergée dans de l’eau, battue sur une pierre et essuyée. Ensuite le cuir était installé sur une pierre polie de plus grande taille que la peau.
Puis la peau était tirée et essuyée de nouveau. Les ouvriers passaient ensuite à l‘argentage. Pour ce faire, une couche ou deux de colle de parchemin étaient nécessaires pour permettre à la feuille d’argent d’adhérer au cuir. Enfin la peau était clouée sur une table de bois et laissée à sécher pour éviter toute déformation de la peau lors du séchage. Après séchage, un brunissoir servait au brunissage de l’argent fixé sur la peau. Pour obtenir un effet or, et surtout ne pas utiliser de feuilles d’or trop onéreuses, l’ouvrier recouvrait l’argent d’un vernis jaunâtre. C’est l’association de l’argent et du vernis qui produisait, par transparence, une troisième couleur éclatante, proche de l’or.
Venait le moment de l’impression du dessin. Après toutes ces étapes, la peau était humidifiée et placée sous une presse avec une planche de bois ou une plaque en métal, gravée du motif à gaufrer, et sa contre-plaque en carton , qui était encrée avec du sandaraque et du noir de fumée. Le cuir humide, glissé entre ces deux plaques, est ensuite pressé à chaud. Les ouvriers qui travaillaient les cuirs dorés construisaient ordinairement eux-mêmes leurs planches. Mais certaines, plus détaillées, nécessitaient l’aide d’un graveur sur bois, voire d’un orfèvre. La perfection des cuirs dépendait directement du soin apporté à graver la planche, et du choix du dessin.
Ils réalisaient deux types de gravures différentes, en fonction de l’utilisation future des cuirs.
– Les teintures destinées à être peinte, même partiellement, devaient être gravée en profondeur, avec des reliefs très saillants pour que les lumières et les ombres peintes soient aussi distinctes que l’or ou l’argent.
- Les cuirs destinés à rester en argent ou en or ne devaient pas être aussi marqués, la lumière jouant suffisamment avec les brillances. Ainsi ces peaux exigeaient un travail plus fini et plus délicat sur l’ensemble de la planche gravée. On les nommait les cuirs ‘cavés’.
Ensuite, le motif était complété par des peintures. Les couleurs, souvent à l’huile, les plus utilisées étaient le blanc, le brun, le vert et le bleu, sous toutes leurs déclinaisons. Les feuilles étaient peintes en vert, les oiseaux et les fleurs en bleu ou rouge, …
Des autres descendants des cuirs de Cordoue
Au début du XVIIe siècle, l’industrie des cuirs de relief se développa dans toute l’Europe du Nord, France, Italie ( les cuir de Venise) et particulièrement en Flandre, pour atteindre son apogée au XVIIIe siècle. Sous le règne de Louis XV, Paris en abritait de nombreuses manufactures.
La thématique des décors s’élargit: géométrie, damiers, torsades, entrelacs, étoiles, petits triangles, grands ramages symétrique, thématiques religieuses, scènes édifiantes, scènes bibliques, animaux fantastiques, empruntant aux modèles décoratifs des précieux tissus italiens ( damas, brocarts et velours ciselés ). Le relief est de plus en plus utilisé, ses effets accrochent la lumière, les fonds traités au poinçon les accentuent.
Au XVIIIème siècle des ateliers s’ouvrent en France, à Rouen, Lyon, Avignon, Marseille. Une flore et une faunes fantaisistes se mêlent aux chinoiseries envahissantes du Baroque. Ce matériau, qui allie une exceptionnelle robustesse et des qualités décoratives uniques, fut largement utilisé dans les intérieurs de la noblesse et de la grande bourgeoisie. Certains décors originaux ornent encore de nos jours des lieux remarquables.
A Versailles, la grande mode est alors aux tentures de cuirs » d’or basané », cuir en peau de mouton ( Basane) doré, parfois argenté. Leurs décors de guirlandes de fleurs, à feston de fruits, d’oiseaux d’or, de petits amours voletant, de jeunes femmes chasseresses sont somptueux.On tend aussi du cuir de Cordoue, non seulement sur les paravents mais aussi sur les ensembles de siège. De nombreuses manufactures copient la production espagnole, qui demeure néanmoins sans rivale jusqu’au XIXème siècle.
Du XVIIe au XIXe siècle, les manufactures de cuir les plus réputées et les plus productives se situaient dans les Flandres (à Lille, Bruxelles, Anvers et Malines principalement). Elles concentraient les savoir-faire les plus spectaculaires, leur qualité supplantant celle de l’Espagne, où la production périclite.
En outre, nombreux sont les motifs gaufrés à rappeler le style flamand du XVIIe dans ce qu’il a de plus riche et de plus abondant.
Cependant, les désastres de la guerre sous Louis XIV, la recherche de rendement économique, l’industrialisation, les nouvelles modes apparues fin XVIIIe siècle grâce à la découverte de nouvelles techniques dans le monde de l’étoffe et du papier peint (plus variés en designs et couleurs), font que les cuirs de Cordoue tombent peu à peu dans l’oubli.
Aujourd’hui, si les techniques utilisées par les compagnons sont en grande majorité celles des manufactures du temps de Colbert, l’utilisation des cuirs est parfois moins classique : tapisserie murale des cabines d’essayage d’une grande marque de haute couture, fauteuils d’un avion privé… Plus communément, les cuirs dorés sont utilisés dans des demeures d’exception pour tapisser des murs mais aussi des sièges, gainer des meubles ou recouvrir des paravents.