Le goût français, le bonheur de vivre, la soif de liberté
L’exposition du Louvre-Lens rend hommage au thème de la Fête galante, popularisé par Antoine Watteau (1684-1721) et qui connut en France et en Europe un succès non démenti tout au long du Siècle des Lumières.
Répondant à une soif de liberté et à un assouplissement des moeurs pendant la Régence, ce thème clamait la joie de vivre, les délices de l’amour, l’alchimie des sentiments et le besoin de paraître. Dans le sillage de Watteau, le genre de la Fête galante fut adopté par son élève Jean-Baptiste Pater ainsi que par ses suiveurs Nicolas Lancret, Bonaventure de Bar ou Pierre-Antoine Quillard. D’autres maîtres en proposèrent à leur tour des variations, pastorales chez François Boucher ou délicatement sentimentales chez Louis-Joseph Watteau de Lille.
Le thème fournit aussi un exceptionnel répertoire de sujets aux manufactures de porcelaine, notamment celles de Sèvres. De Meissen à Venise, il connut en Europe un succès non démenti. Peintres, tel Dietrich, Troost ou Gainsborough, sculpteurs, comme Ferdinand Tietz déclinèrent à l’envi tant en peinture, en dessin, qu’en sculpture, ces sujets aimables qui célébraient les sentiments partagés. Les Arts appliqués s’emparèrent aussi de la thématique et s’attachèrent à la multiplier, en rendant hommage à la fois au goût français et au bonheur de vivre.
PARCOURS DE L’EXPOSITION
Salle d’introduction
« Nous n’irons plus au bois, les lauriers sont coupés ». La chanson sonne encore à nos oreilles. Elle aurait été créée en 1753, pour les enfants, par Madame de Pompadour. En fait, il semble que la marquise se soit contentée d’adapter un texte plus ancien qui évoquait l’interdiction aux prostituées d’exercer dans les bois et les invitait à commercer dans des cabanes signalées par un rameau de laurier. La favorite de Louis XV le sa – vait-elle ? Avait-elle joué d’un double langage ? La question demeure.
Après les dernières années du règne de Louis XIV, marquées par la dévotion et l’austérité, la Régence libère les idées et les mœurs. Ce fut une époque de hardiesse et de fantaisie, et pour les arts un temps de nouveauté. Le 28 août 1717, Antoine Watteau entrait à l’Académie royale de peinture et de sculpture grâce à son tableau Le Pèlerinage à l’isle de Cythère. Le sujet avait été laissé à son libre choix. Les académiciens le désignèrent sous le titre de « feste galante ». Pour la première fois, le thème était officiellement reconnu. Il témoignait d’un besoin de liberté et faisait écho aux distractions de l’aristocratie et au répertoire contemporain du théâtre, de l’opéra et du ballet. Le sujet s’imposa rapidement et se diffusa à travers toute l’Europe, l’estampe et la circulation des œuvres aidant amplement à son succès.
Popularisée par Watteau et ses suiveurs, la fête galante clamait la joie de vivre, l’alchimie des sentiments, le besoin de paraître. Elle conduisit d’autres maîtres à en proposer des variations, pastorales chez François Boucher, idyl – liques chez Jean-Baptiste Oudry, exubérantes chez Fragonard, vertueuses et laborieuses chez Louis-Joseph Watteau de Lille. Elle fournit également aux manufactures de porcelaine, de faïence et de tapisserie un exceptionnel répertoire de sujets.
Hors de France, nombreux furent ceux à s’emparer du thème et à le décliner. De Suisse en Suède, d’Italie en Espagne, des Provinces Unies en terres de langue allemande, ces sujets étaient à la mode. Maîtres et artisans s’appliquèrent à répondre à la demande, en plagiant les modèles français, en les adaptant ou en les renouvelant au gré de leur propre sensibilité et de celle de leurs clients.
Mais Antoine Watteau n’était plus là pour mesurer combien son art avait conquis ses contemporains. La salle d’introduction est conçue comme une bulle évoquant une clairière, animée de silhouettes en ombres chinoises, vêtues à la mode du 18 e siècle. Les visiteurs y sont accueillis sur l’air de la chanson Nous n’irons plus au bois, interprétée par le public du Louvre-Lens pendant les Journées européennes du patrimoine 2015.
Salle 1 _ Sujets de convivialité et d’amour. Antécédents nordiques et français
Les représentations des divertissements en plein air de la haute société se multiplient en Flandre, en Hollande et en France dès la première moitié du 17 e siècle. Ces compositions étaient alors appelées « Conversations » ou « Assemblées ». Le thème développé est celui de la cour amoureuse que favorisent la musique et une nature harmonieuse. Les codes de sociabilité sont ceux qui régissent les élites – l’aristocratie et la haute bourgeoisie et que résume le terme de « galanterie », un idéal de comportement social suivi dans l’Europe entière. Le « galant » homme est, au 17 e siècle comme au siècle suivant, celui qui sait plaire en société par l’élégance de son allure, la politesse raffinée de ses manières et sa finesse d’esprit.
Avec les images idéalisées de la vie paysanne, kermesses, foires, contrats de mariage et noces villageoises, autres thématiques affectionnées par les peintres nordiques, les sujets de divertissements mondains constituèrent une source d’inspiration pour les artistes français du 18 e siècle. Rubens ou Téniers furent particulièrement recherchés par les amateurs. Exposées dans leurs cabinets et abondamment reproduites par l’estampe, leurs œuvres furent alors aisément accessibles et contribuèrent à nourrir en France l’art des maîtres de la Fête galante et de la Pastorale.
Salle 2 _ Watteau et la fête galante
Peint en 1717, Le Pèlerinage à Cythère illustre un thème pictural auquel Watteau et d’autres maîtres s’étaient déjà livrés, mais qui n’avait jamais été jusqu’alors le sujet d’un morceau de réception pour entrer à l’Académie royale. Probablement conçue comme un tableau d’histoire moderne, et non pas seulement comme l’illustration d’une pratique sociale, l’œuvre refuse l’anecdote, non seulement en usant de l’allégorie et du symbole comme le faisaient les peintres d’histoire, mais en magnifiant aussi les relations amoureuses et en jouant de la modernité des habits et de l’intemporalité du lieu.
Admirablement maîtrisée par Watteau, grâce à l’étude attentive de la réalité par le dessin, cette science dans la description des attitudes et des regards du sentiment amoureux demeura inégalée. S’ils popularisèrent la fête galante en multipliant les œuvres, Pater, Lancret, Bonaventure de Bar ou bien encore Quillard contribuèrent à faire glisser le thème vers la peinture de genre, en faisant un sujet de vie quotidienne. La fête galante associa presque systématiquement le paysage, souvent de fantaisie, les costumes à la moderne, les activités de personnes distinguées étrangères au labeur, et les joies du sentiment amoureux ou les inconstances et les chagrins du cœur.
Salle 3 _ Le cœur en scène
Située dans les îles Ioniennes, Cythère s’imposait dans les esprits cultivés des contemporains de Watteau comme le lieu idyllique des plaisirs et de l’amour depuis que, tout juste sortie de l’écume de la mer, Vénus y avait été conduite par les Zéphyrs, petits amours ailés.
Entre 1710 et 1715, donc dans les années qui précédèrent l’exécution du tableau de Watteau, les scènes de l’Opéra, du Palais-Royal ou des foires parisiennes accordèrent une place de choix au thème. En 1713 au Palais-Royal avec Les Amours déguisés mis en musique par Bourgeois, et à la foire SaintLaurent avec Les Pèlerins de Cythère en 1714, à l’Opéra avec le prologue d’Arion sur une partition de Matho, la Cythère imaginée par Fuzelier, auteur du livret, accueillait les amants et abritait l’infidélité conjugale et la passade. Données dans les mêmes années lors des foires Saint-Laurent et Saint-Germain, ainsi qu’à l’Opéra, Les Pèlerins de Cythère de Letellier, Les Amours de Cythère de Charpentier, Les Fêtes de l’Été de Pellegrin purent également inspirer Watteau. De Dancourt à Marivaux, de Beaumarchais à Mozart, le sentiment amoureux, la double inconstance, le jeu de l’amour et du hasard, les errances du cœur avaient fourni des modèles aux peintres qui avaient à leur tour inspiré les créations des poètes, des écrivains et des musiciens.
Dans cette salle de l’exposition, un dispositif audiovisuel diffuse des extraits de théâtre et d’opéra du 18 e siècle.
Salle 4 _ L’amour à la campagne.
Pastorales et sujets rustiques Influencé par Watteau, par son expérience du paysage italien, par le goût de la clientèle pour la veine rustique naturaliste dont les maîtres nordiques s’étaient fait une spécialité, François Boucher compose à partir des années 1730 une Arcadie rurale où la jeunesse se veut insouciante et enjouée. Écho populaire à la vision aristocratique et théâtrale de Watteau et de ses suiveurs, les sujets de Boucher connurent un immense succès.
En 1737-1738, pour l’hôtel Soubise à Paris, l’artiste s’exerça à une variante des sujets champêtres. Il créait alors un thème nouveau, celui de la Pastorale. Toujours rurale, la scène réunissait des bergers et des bergères qui paraissaient vêtus comme des seigneurs et semblaient insensibles aux dures conditions de la vie à la campagne. L’échange entre les pasteurs et leurs compagnes se voulait galant mais n’était pas toujours sans équivoque. Il appelait clairement à des sous-entendus à caractère sexuel. Boucher rendait alors hommage au genre littéraire de la poésie bucolique et des héros senti – mentaux du théâtre de la foire, en particulier à ceux de son ami Charles-Simon Favart.
À l’exemple du maître, de nombreux autres artistes illustrèrent la thématique. À la demande du Dauphin, fils de Louis XV, Jean-Baptiste Oudry imagina même une campagne heureuse et productive qui témoignait des effets du bon gouvernement (La France ou L’Agriculture, 1750, Paris, musée du Louvre).
Salle 5 _ Fragonard contre Rousseau
Loin de s’émousser avec les décennies, l’intérêt pour les sujets galants et pastoraux conduisit la clientèle à les demander aux artistes pratiquement jusqu’à la fin du 18 e siècle. Formé par Boucher, Jean-Honoré Fragonard s’illustra rapidement dans la thématique, mais avec plus de fougue, de spontanéité et de lyrisme dans sa description du sentiment amoureux. Exécutée en 1767, la toile illustrant les hasards heureux de l’escarpolette (ici figurée par la gravure) en constitue un exemple délicieusement licencieux.
Avec les années et l’évolution du goût, l’exubérance de Fragonard sembla quelque peu dépassée. L’amour de l’antique invitait la fête galante et la pastorale à évoluer vers plus de noblesse. Sous l’influence des textes de JeanJacques Rousseau et des travaux des physiocrates, savants théoriciens, qui, dans le respect des lois naturelles donnaient la prépondérance à l’agriculture, le monde rural fut perçu d’une manière moins idéalisée et artificielle. Aux bergers et bergères amoureux et enrubannés, les artistes préférèrent le paysan décrit dans le labeur productif et utile à la nation. Monde simple, libre et vertueux, les campagnes invitèrent à une douceur de vivre qui ne résultait plus de la chimie des sentiments, mais des bienfaits de l’agriculture et des joies simples de la vie rustique.
Salle 6 _ À la conquête des arts décoratifs
En 1744, le marchand Edme-François Gersaint soulignait combien rien n’était plus propre à former le goût que les estampes. Elles permettaient de connaître les tableaux. Quand on voulait les examiner avec attention, elles faisaient facilement découvrir le style de chaque école et de chaque maître. Aussi furent-elles particulièrement recherchées des artistes et des artisans et elles formèrent un précieux répertoire de modèles.
Dans toute l’Europe, porcelaines, faïences, tapisseries, tabatières, objets de luxe ou du quotidien, aidèrent par leurs décors à populariser la fête galante, la pastorale et la scène rustique. Amoureux fabriqués à Meissen, bergères produites à Chelsea, petits sujets de table ou pièces de vaisselle, les modèles furent innombrables et leurs décors permirent à d’autres d’y trouver l’inspiration de leurs propres sujets. Les moins talentueux se contentèrent de reproduire avec plus ou moins de bonheur les images dont ils disposaient. Les plus habiles s’en inspirèrent et réinterprétèrent les thèmes à leur manière.
Salle 7 _ Lorsque l’Europe chantait à l’unisson l’amour et la fête
Portés par la France, les sujets de fêtes galantes, de pastorales et de scènes rustiques connurent un immense succès en Europe. De nombreux collectionneurs, souverains ou amateurs fortunés, recherchaient les œuvres des maîtres les plus célèbres, Watteau, Pater, Lancret ou bien encore Boucher. La renommée de ces derniers était telle que certains étrangers n’hésitèrent pas à leur passer directement commande, firent appel à leurs élèves ou à leurs suiveurs, ou bien encore sollicitèrent des peintres afin d’obtenir des copies de leurs œuvres.
Particulièrement florissant, le marché de l’estampe aida aussi à considérablement populariser leurs créations et les rendit accessibles au plus grand nombre. En fonction du goût des commanditaires, en fonction également de la localisation en Europe, les artistes rendirent hommage aux créations parisiennes ou se tournèrent vers les exemples nordiques, David Téniers disputant à Watteau le talent des sujets champêtres et galants. L’Europe de la fête galante et de la pastorale fut, naturellement, celle des sensibilités diverses. Tout arbitraire qu’il soit, le choix d’œuvres réunies à l’occasion de l’exposition n’a pour autre but que de le souligner.
Dansez, embrassez qui vous voudrez
Fêtes et plaisirs d’amour au siècle de Mme de Pompadour
du 5 Décembre 2015 au 29 Février 2016
Musée du Louvre-Lens
99 rue Paul Bert
62300 Lens