Ce cycle d’invitations aux collectionneurs d’arts décoratifs et de design a été inauguré l’année dernière avec la présentation d’une très belle collection de verres de la Renaissance réunis par Philippe du Mesnil. Le musée invite aujourd’hui les collectionneurs Jacques et Laurence Darrigade à présenter leur remarquable ensemble de céramiques de Vieillard, pour partager leur passion avec le public du musée.
La possession induit un lien intime entre un individu et un objet et, de fait, collectionner est souvent une entreprise personnelle et solitaire. Mais les Darrigade font figure d’exception. Leur univers commun à tous les deux s’est peuplé de céramiques de Vieillard au gré d’impulsions partagées.
Depuis près de vingt-cinq ans, Laurence et Jacques Darrigade poursuivent, le rêve un peu fou de constituer un ensemble de faïences fines et de porcelaines qui soit un miroir de ce que la manufacture Vieillard a produit au XIX e siècle. Aujourd’hui, ils ont tant de pièces qu’elles ont envahi avec bonheur la maison, jusque dans la cuisine et les salles de bain. Pas un interstice vide, comme le montre le film documentaire réalisé à cette occasion par Judith du Pasquier afin de permettre au visiteur de pénétrer dans cet univers exceptionnel.
Si par ellipse on évoque communément la faïence fine bordelaise avec le seul nom de « Vieillard », son histoire se constitue en réalité en plusieurs étapes. Elle démarre avec un artiste de génie, Boudon de Saint-Amans, qui découvre en Angleterre les procédés de fabrication de la faïence fine. Il entreprend de les réinventer sur le sol français, à Sèvres tout d’abord puis à Creil, à Montereau et à Choisy. En 1929, il rencontre le négociant bordelais Jean-François Rateau, avec lequel il établit un contrat afin de fonder la première manufacture de faïence fine bordelaise, Lahens et Rateau, qui sera en production dès octobre 1830. Elle ferme ses portes vers 1832-33, mais l’activité sera relancée en 1834 par David Johnston.
S’associant à son tour avec le spécialiste Boudon de Saint-Amans, David Johnston, irlandais d’origine, nommé à la magistrature municipale en 1838, ambitionne de doter Bordeaux d’une industrie importante. Mais la manufacture installée à Bacalan se trouve, en dépit de ses succès, dans une situation financière didcile. La liquidation de la société est prononcée en 1844. Dans le courant de la même année, il est proposé à Jules Vieillard, collaborateur technique de David Johnston, de constituer une nouvelle société, créée sous le nom de Jules Vieillard et Cie, ainsi la faïencerie de Bacalan continue de fonctionner.
Jules Vieillard, nommé gérant et directeur de la manufacture en 1845, meurt en 1868, en ayant réussi à développer l’entreprise jusqu’à une échelle industrielle. Ses deux fils, Albert et Charles, prennent la suite.
La faïencerie fermera définitivement ses portes le 20 août 1895.
Seront ici présentées plus de cinq cents pièces de leur collection qui permettront une immersion totale dans l’univers de la céramique de Lahens et Rateau, David Johnston et Jules Vieillard.
L’exposition, le parcours
Aile des communs, salles d’expositions temporaires du musée C’est cette longue et complexe histoire, où se mêle l’art, l’économie et le commerce, que raconte la collection de Laurence et Jacques Darrigade.
Rez-de-chaussée
Présentation du film documentaire réalisé par Judith Du Pasquier à l’occasion de l’exposition. Après avoir rendu visite aux Darrigade, dans leur incroyable maison tapissée de céramiques de Vieillard, il a semblé une évidence au commissaire de l’exposition, Constance Rubini, qu’il fallait également y inviter le public. Ce film est une façon de permettre à tous de pénétrer le seuil de ce lieu unique.
Dans la salle voisine
Le public s’immerge cette fois-ci de façon concrète dans l’univers de la faïence fine bordelaise : tous les murs sont tapissés d’assiettes et de plats. Seul un meuble accueille un ensemble de pièces un peu singulières au regard du reste de la production. Elles marquent le début de l’histoire : des pièces aux formes sobres et radnées, imitées par ce céramiste de génie qu’est Honoré Boudon de Saint-Amans, des modèles anglais de Wedgwood mais fabriquées avec des matériaux issus du sol français. Cohabitent ici des pièces semblables les unes aux autres car issues des mêmes moules, selon qu’elles soient produites par la manufacture de Lahens et Rateau entre octobre 1830 et vraisemblablement janvier 1933, ou par celle de David Johnston à partir de 1834, puis, pour quelques unes, par la manufacture de Vieillard dès 1845.
Cette salle où sont présentées assiettes et plats variés, permet d’englober d’un seul coup d’œil la diversité de la production. Un focus particulier est fait sur le service Nella, présenté avec ses pièces de forme et sa garniture de toilette.
Les pièces produites par la manufacture ne sont pas datées
Seules les marques, au revers, apportent un repère en indiquant de quelle manufacture l’objet est issu : Lahens & Rateau, David Johnston ou Jules Vieillard. Mais le même moule peut être utilisé sur une longue période, tout comme les décors. Formes et décors se chevauchent donc ainsi bien souvent d’une manufacture à l’autre.
Sont ici juxtaposées, par exemple, certaines pièces du service à décor Tapisserie ou du service à décor Turc, produites à la fois sous David Johnston et Jules Vieillard, afin d’en apprécier les légères différences de fabrication.
A l’étage
On pénètre dans un parcours thématique qui propose de mettre l’accent sur certains des points forts de la production émergeant à travers le prisme de la collection Darrigade. On passe ainsi d’un ensemble à un autre : le « bleu Caranza », le Japon et la Chine, les pendules, les moutardiers, la couleur Aubergine, etc.