Le Petit Palais est riche d’une collection de près de 5 700 dessins et maquettes de bijoux encore méconnue. Au printemps 2025, une exposition consacrée à ce fonds permettra au grand public de découvrir ces trésors, sortis de l’obscurité protectrice des réserves.
Cette présentation aura pour fil rouge le processus créatif des dessinateurs de haute-joaillerie et la vie de leurs fragiles bijoux de papier, tantôt documents de travail, archives précieuses ou encore œuvres d’art à part entière. Cheminant des sources d’inspiration des créateurs (objets de musées, recueils d’ornements, morceau de nature…) pour aboutir à l’étincelante parure réalisée, elle mettra en valeur les différentes étapes que sont les études d’après modèles, les esquisses préparatoires, les gouachés aux couleurs si séduisantes, et même les maquettes en trois dimensions.

En déroulant ce temps de la création, le parcours croisera les époques et les styles, mêlant les dessins de bijoux du Second Empire à ceux de l’Art déco, les styles historicisants de la deuxième moitié du XIXe siècle à l’Art Nouveau. De Lalique à Cartier, de Rouvenat à Boucheron, l’exposition offrira un décryptage des procédés propres aux dessinateurs de bijoux à la manière d’un voyage dans l’atelier des créateurs.

SECTION 1 : INSPIRATIONS, AUX SOURCES DU DESSIN
Pour interroger les sources d’inspiration des dessinateurs de bijoux, cette première section de l’exposition s’appuie essentiellement sur les fonds complets de Pierre-Georges Deraisme et de Charles Jacqueau, donnés au Petit Palais par leurs descendants. Ces deux artistes ont en effet consciencieusement gardé leurs études, parfois ordonnées dans des cahiers pour faciliter leur réemploi. Celles-ci éclairent autant les modèles qu’ils choisissent que les premières étapes de leur processus créatif individuel.

Pour plusieurs thématiques puisant dans les vastes répertoires de la nature ou bien dans celui des arts, le parcours invite à suivre l’évolution de formes et de motifs étudiés par les artistes. Retravaillés, assimilés, parfois hybridés, ils sont disséminés dans des projets de bijoux qui jouent de la citation comme de l’interprétation personnelle. Ils témoignent des recherches sans restriction de ces dessinateurs cultivés dont les centres d’intérêt et la curiosité dépassent largement le domaine de la bijouterie et de la joaillerie.

NATURE
Dès la fin du XVIIIe siècle, les dessinateurs de bijoux s’inspirent de la botanique, discipline en plein essor. Ils se constituent des répertoires de formes naturelles, végétales et animales, qui alimentent leurs conceptions. Tour à tour, selon les goûts et les périodes, les fleurs nobles et simples, les classiques oiseaux et papillons comme les plus étranges coléoptères y trouvent leur place.
Les artistes observent la nature sur le motif, à la campagne ou au Jardin des plantes. Ils étudient dans leurs ateliers fleurs et feuilles coupées ou encore consultent des ouvrages scientifiques, des traités et des recueils d’ornements qui en offrent déjà une première interprétation. Le regard précis et naturaliste de travaux réalisés sur le vif peut donner lieu à des projets qui traduisent une quête de stylisation, empreinte de fantaisie et d’imaginaire ou bien tendant à l’épure et à l’abstraction.

ARTS
Nombre de dessinateurs de bijoux, parmi lesquels Pierre Georges Deraisme et Charles Jacqueau, cherchent dans les musées ou dans les bibliothèques des références pour alimenter leurs créations et stimuler leur imagination. Ils reprennent à leur compte l’idée d’Owen Jones, auteur de la Grammaire de l’ornement (1856), parangon du genre, selon laquelle il est impossible de faire du neuf sans l’aide du passé.
Les artistes compilent et s’approprient ainsi formes et motifs issus de toute période et région du monde, et de tout domaine suscitant leur curiosité, au-delà des arts décoratifs et de l’architecture. Ce faisant, ils se créent des répertoires personnels foisonnants, sommes d’études, de décalques et de notes prêts au réemploi. Ils reprennent en cela le modèle des recueils d’ornements, qui connaissent leur apogée au XIXe siècle et qui restent leurs références de prédilection.

SECTION 2 : DESSINER LES BIJOUX, UN ART ET UN MÉTIER
SPÉCIFIQUES
Les dessins de bijoux sont le plus souvent dus à des artistes spécialisés dans ce domaine. Parfois praticiens en plus d’être dessinateurs, ils sont formés en interne dans les ateliers ou dans des écoles destinées aux futurs artisans. Ces feuilles étant rarement signées, l’identité et la position de leur auteur, interne ou externe à l’atelier, sont souvent difficiles à déterminer.
Ces dessins, avant tout fonctionnels, servent à la réalisation d’une pièce. À ce titre, ils répondent à des codes que leur auteur et leurs destinataires connaissent et respectent. Le plus important est sans doute le principe de l’échelle 1. Le bijou est en effet représenté à la taille réelle de sa potentielle exécution, de sorte que quiconque consulte le dessin en saisisse les dimensions exactes. Les dessinateurs et maisons suivent de plus des préférences qui leur sont propres, par exemple dans le choix de couleurs symbolisant l’une ou l’autre pierre. Un dessin de bijou est ainsi à la fois le point de départ d’un projet et le support de référence, passé de main en main dans les ateliers.

LES CIRCONSTANCES DE LA CRÉATION
Le dessin de bijou accompagne la conception et, le cas échéant, la fabrication de la pièce. Les circonstances de sa création dépendent de ses destinataires. S’il est avant tout un dessin technique transmis aux ateliers, il peut aussi être un support de validation, que ce soit par la direction artistique d’une maison, dans le cas d’une création pour le stock, par la clientèle, dans le cas d’une commande, ou encore par un jury, dans le cas d’un concours. Les formes qu’il peut prendre tiennent compte des interlocuteurs avec lesquels le dessinateur doit composer. Outre ces instances de validation, le dessin de bijou est également soumis aux praticiens qui peuvent juger de la faisabilité technique d’un projet et le faire amender, si nécessaire. Les feuilles peuvent ainsi porter la trace de précisions et d’ajustements formulés pour ces partenaires spécifiques, ou en fonction de leurs propres retours.

SECTION 3 : BIJOU DESSINÉ, BIJOU RÉALISÉ
Le dessin de bijou est le document de référence pour les corps de métiers qui contribuent tour à tour à la création de la pièce, véritable œuvre collective. Outre les dessinateurs, celle-ci ne nécessite en effet parfois pas moins d’une dizaine de spécialistes différents pour voir le jour : modeleurs, graveurs, ciseleurs, reperceurs, émailleurs, joaillier, sertisseurs, enfileurs ou encore polisseurs.
À l’échelle 1 de la pièce à réaliser, accompagné le cas échéant de vues de profil ou d’annotations diverses, mis en couleurs pour signifier les matières, le dessin doit être rapidement compréhensible par le chef d’atelier. Ce dernier dispose de toutes les clés pour lire correctement le bijou dessiné et établir une marche à suivre. Les allers-retours entre le dessinateur et les ateliers n’en restent pas moins possibles. Le projet est en effet susceptible d’évoluer en fonction par exemple de contraintes techniques, d’amendements portant sur le choix de pierres ou de matières, ou de déclinaisons en plusieurs bijoux si un même motif rencontre un certain succès.

SECTION 4 : SECONDE VIE, LA LONGÉVITÉ DU DESSIN DE
BIJOU
Aujourd’hui, les dessins de bijoux sont mieux conservés, que ce soit dans les maisons qui ont vu leur naissance ou bien au sein de collections publiques ou privées. Une telle revalorisation tient au fait que ces feuilles revêtent de nouveaux usages une fois les pièces fabriquées. Dans le prolongement de leur finalité première, elles peuvent resservir de support de création et donner jour à des copies conformes ou des variantes d’inspiration plus lointaine.
Partagées avec une clientèle à la manière d’un répertoire visuel de modèles possibles, elles se font aussi outils de communication. Les dessins préparatoires et les dessins rétrospectifs, actant l’aspect définitif d’une pièce réalisée, témoignent de la production de créateurs et de maisons pour certaines disparues. Plus pérennes que les bijoux, qui sont dispersés, démembrés ou détruits, ils sont investis d’une valeur historique, patrimoniale, voire juridique. Enfin, devenus objets de collection, considérés comme des œuvres d’art à part entière, ces dessins méritent d’être appréciés pour eux-mêmes.
Petit Palais Avenue Winston Churchill 75008 Paris
Jusqu’au 20 juillet 2025