De nos jours, on associe facilement « l’écaille » à une simple teinte de matière synthétique, bien plus qu’à une matière. c’est la matière la plus fréquemment imitée. Bien avant que la chasse aux tortues Caret soit interdite, on a tenté de reproduire cette matière magnifique dès les années 1870/80. D’abord avec de la corne teintée, ensuite avec de la gélatine, du celluloïd ou d’autres plastiques.
Mais n’oublions que l’écaille de tortue est une matière précieuse; noble, convoitée depuis plusieurs siècles…Elle doit sa réputation tant à ses qualités esthétiques qu’à ses multiples possibilités de transformation qui ont permis de l’utiliser aussi bien dans l’art décoratif que pour les objets usuels de la vie quotidienne. Très prisée au fil de l’histoire, c’est en Asie et en Polynésie que l’écaille de tortue était particulièrement convoitée dès le VIIIe siècle, pour la réalisation d’objets précieux tels que boîtes, cannes…
L’écaille de tortue en tant que matière a été beaucoup utilisée dans les arts décoratifs. Le type d’écaille le plus prisé des artisans, tant tabletiers qu’ébénistes, est fourni par la tortue Caret (Eretmochelys Imbricata). Elle est noire à brun foncé, plus ou moins tachetée de jaune à brun clair. Elle se trouve en plaques de tailles très diverses et d’épaisseur allant de 8/10 de mm à 4 ou 5 mm. Au XIXe siècle, on utilise un autre type d’écaille, la Franche, venant de la tortue verte (Chelonya Mydas). Les plaques sont beaucoup plus minces. C’est aussi ce type d’écaille qui fut utilisé à l’époque Art Déco par Jules Leleu par exemple.
Suite à la convention de Washington, ce type d’écaille est absolument interdit au commerce, même les stocks anciens. L’écaille de tortue est un produit réglementé pour la raison que les tortues Caret et verte sont aujourd’hui des espèces menacées d’extinction. En France, le travail de l’écaille de tortue est très encadré juridiquement. D’une part, les stocks d’écailles répertoriés par les douanes et services vétérinaires sont les seuls à pouvoir être utilisés par les artisans d’art. D’autre part, seuls les artisans ébénistes détenteurs d’une autorisation préfectorale sont habilités à travailler l’écaille de tortue.
L’écaille de tortue brute doit être préparée avant toute utilisation : elles sont assouplies dans de l’eau bouillante salée afin d’éviter leur blanchiment ; puis les plus gros défauts sont ôtés à l’aide d’un petit rabot. Les plaques sont ensuite placées sous presse, puis découpées et façonnées. La transparence et la brillance sont rendues par un polissage final. Sa plasticité la rend facile à travailler.
On distingue deux types d’écailles: la dossière, écaille de la partie dorsale, et le plastron , écaille plus fine de la partie ventrale . A l’origine de couleur brune, plus ou moins foncée, l’écaille est teintée à l’aide de pigments naturels dans la colle destinée à plaquer cette écaille, par l’application d’une peinture sur le support, ou encore, doublée d’un papier de couleur ou d’une feuille d’or.
Il faut attendre le XVIIe siècle pour que l’écaille devienne un produit particulièrement recherché en Europe et que les artisans ébénistes en acquièrent la maîtrise. L’écaille est traitée en Italie, en Flandres et en France en décoration ou dans la confection de petits objets . Coffrets et cabinets sont recouverts d’écaille de tortues avant que des meubles en soient garnis.
la France de Louis XIV vit l’apogée de l’écaille grâce en particulier à l’ébéniste Charles André Boulle (1642-1732). Il développe et perfectionne en France le placage de marqueterie d’écaille de tortue et de laiton déjà utilisé par les Florentins depuis le début du 16 siècle. Cette technique a donné naissance à quelques-uns plus beaux chefs-d’oeuvre de l’art mobilier. On voit alors fleurir consoles, bureaux et tables, cartels, coffrets et cabinets.
C’est sous Napoléon III que l’écaille reprend ses lettres de noblesse dans l’ameublement. On voit alors une production conséquente de meubles dans le style de Boulle grâce à un approvisionnement facilité de la matière première ainsi qu’à des techniques d’exécution améliorées.
La découverte au 19è siècle des possibilités d’autogreffe de l’écaille de tortue permettant le travail dans la masse va permettre d’échapper aux contraintes de l’épaisseur de l’écaille et va alors considérablement étendre son champ d’application. Elle pourra dorénavant être soudée, tournée, sculptée, façonnée et permettra aux artisans écaillistes de réaliser de véritables dentelles.
L’écaille de tortue est la seule matière naturelle rigide qui se soude à elle-même, uniquement par pression et chaleur, sans aucun apport extèrieur. La méthode française consiste donc à souder des morceaux d’écaille en les plaçant dans une presse entre deux morceaux de métal rougi. On obtient ainsi l’épaisseur que l’on désire donner à l’objet et , par le choix des variétés d’écaille placées les unes sur les autres, sa couleur définitive. L’écaille de tortue est aujourd’hui employée dans la confection de lunettes en écaille, peignes haut de gamme, bijoux précieux…
En France, le travail de l’écaille de tortue est strictement règlementé, et très encadré juridiquement. D’une part, les stocks d’écailles répertoriés par les douanes et services vétérinaires sont les seuls à pouvoir être utilisés par les artisans d’art. D’autre part, seuls les artisans ébénistes détenteurs d’une autorisation préfectorale sont habilités à travailler l’écaille de tortue.
Un commentaire
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