Le musée des Arts décoratifs présente trente-cinq dessins du peintre Eugène Lami. Premier décorateur moderne, Eugène Lami orchestre l’aménagement des demeures les plus luxueuses des enfants de Louis-Philippe sous la monarchie de Juillet, puis de la famille Rothschild dans la seconde moitié du XIXe siècle.
Ses aquarelles, véritables portraits d’intérieurs, traduisent ses recherches pour mettre en scène cet extrême raffinement que l’on nomme aujourd’hui le « grand goût Rothschild ». Au sein d’un historicisme savant conjuguant la Renaissance, le Grand Siècle et le style Louis XV, Lami déploie une chatoyante polychromie des marbres, des dorures, des peintures murales et des textiles, pour théâtraliser des espaces devenus écrins des collections précieuses de ses commanditaires, tout en ayant souci, au sein de ce luxe inégalé, du confort moderne.
Éclipsant les architectes de ces palais, Lami inaugure dès les années 1840 le métier de décorateur d’intérieur dont la figure devient essentielle au siècle suivant.
Après une enfance parisienne marquée par les revues militaires de l’Empire, Lami apprend la peinture à l’École des Beaux- Arts, dans l’atelier d’Horace Vernet puis du baron Gros où il rencontre l’Anglais Richard Parkes Bonington qui lui enseigne l’aquarelle. Accueilli à la cour de Charles X par la duchesse de Berry, il est ébloui par l’esthétique néo-Renaissance de ces bals qu’il traduit en des œuvres graphiques colorées dès ces années 1820.
Les séjours qu’il réalise en Angleterre à cette période le sensibilisent au décor intérieur, fruit de ses visites dans les demeures aristocratiques, les country houses. Romantique et libéral, il se rapproche de la famille d’Orléans et devient à partir de 1832 le peintre officiel du roi Louis-Philippe mais aussi le professeur de dessin de ses enfants. Reconnu pour ses élégantes scènes de genre et ses peintures de bataille, Lami s’affirme sous la monarchie de Juillet, par ses dessins et ses lithographies, comme le chroniqueur attitré des soirées mondaines et des célébrations officielles. « Poète du dandysme officiel » selon les mots de Baudelaire au salon de 1846, il y déploie son goût pour les décors et les costumes.
En 1844, il réalise les projets pour l’aménagement des appartements des fils de Louis-Philippe, le duc et de la duchesse de Nemours aux Tuileries, puis de son frère le duc d’Aumale à Chantilly. Lami pose dès lors les principes de décoration qu’il développe à peine dix ans plus tard pour les Rothschild : à la fois décorateur, scénographe et agent artistique doté d’une savante culture d’antiquaire, il mêle meubles anciens et créations contemporaines inspirées des styles du passé déployés au sein d’une profusion de textiles empruntant leurs chaudes couleurs et leurs motifs au siècle de Louis XIV.
En 1852, de retour de son exil en Angleterre où il avait suivi les Orléans, Lami est sollicité par le banquier James de Rothschild qui cherche à affirmer sa puissante réussite financière et sociale. La rencontre de ce mécène collectionneur lui permet de tirer son talent vers son apogée et de réaliser des œuvres d’art total dont témoignent les aquarelles du musée des Arts décoratifs.
Sur ces feuilles, des recherches rapidement croquées côtoient des mises au net à l’aquarelle destinées à séduire James de Rothschild et à lui proposer des choix pour l’aménagement des décors de ses châteaux. Le premier est Boulogne-sur-Seine, résidence d’été de la famille que Lami décore autour de 1855, suivi de Ferrières, en Seine-et- Marne, grand œuvre de Lami au début des années 1860. Décorateur favori de James de Rothschild, il travaille sa vie durant pour la famille.
Le musée des Arts décoratifs conserve près de quarante aquarelles de Lami dont la majorité a été acquise en 1890, juste avant le décès de l’artiste. Des dons de grands collectionneurs comme Robert de Rothschild ou David David- Weill, complétés par quelques achats menés au XXe siècle ou encore l’an passé avec la Réunion entre les Rothschild et les Pereire, font du musée un fonds de référence pour les décors composés par Eugène Lami.
Grâce au mécénat de la dessinatrice contemporaine Christelle Téa qui, à l’instar de Lami, aime à traduire sur le papier l’atmosphère qui se dégage d’un lieu en captant les décors et les émotions sur le vif, quelques feuilles de cet ensemble viennent d’être restaurées.
Exposition jusqu’au 2 avril 2023