Fenêtre sur cours

L’espace de la cour intérieure est riche d’arrière-plans sociologiques, architecturaux ou historiques.Pour le peintre, c’est un lieu où pulse l’histoire mais également un décor de la vie publique ou privée de ses personnages. Entre intérieur et extérieur, cet espace lui permet d’associer la lumière du jour et l’ombre protectrice de l’intimité, la pompe des grands événements et la chaleur du foyer.

Le musée des Augustins, musée des beaux-arts de Toulouse, ancien couvent construit autour d’un grand cloître gothique et d’un petit cloître Renaissance est le lieu idéal pour accueillir cette méditation sur la poétique d’un genre. Ses collections contiennent plusieurs tableaux des XIXe et XXe siècles représentant les espaces de cours intérieures réelles ou imaginaires.

© Santiago Rusiñol, El pati blau, 1913. Museu Nacional d’Art de Catalunya, Barcelone

La thématique est illustrée avec des tableaux du XVIème au XXème siècle sans exclusivité d’école ou de mouvement artistique. Certaines périodes bénéficieront d’un éclairage particulier : le XVIIe siècle nordique pour les cours de tavernes, de maisons ou de palais fantasmagoriques ; les peintres d’architecture italiens du XVIIIe siècle ; le XIXe siècle français pour les cloître reconstitués à la troubadour ou laissés à l’état de ruines, le goût néo-grec et ses atriums, les réalismes et leur regard chirurgical porté sur la misère urbaine ; l’orientalisme avec son appétence pour les patios ainsi que l’impressionnisme dans sa captation du plein air ; le XXe siècle enfin avec des visions décalées ou poétiques de ce lieu de toutes les mélancolies.

Il s’agit de la toute première exposition consacrée à ce thème, point de vue original sur les peintures de paysage et d’architecture.
L’hétérogénéité des motifs, des styles artistiques, des époques et des peintres a conduit à proposer un parcours de l’exposition qui évoque alternativement les types de lieux et les fonctions.

PARCOURS MUSÉOGRAPHIQUE

I – ATRIUMS ET PATIOS, DU PÉPLUM À L’ORIENTALISME

La peinture d’histoire académique des peintres néo-grecs du milieu du XIXe siècle a privilégié des représentations de scènes d’histoire ou les évocations de mœurs antiques dans le cadre intimiste de l’atrium. La conscience patrimoniale aidant, des peintres comme Bouchor ont réagi à la poésie brute des ruines d’une villa pompéienne.
L’héritier de l’atrium est le patio du monde arabo-andalou ou de l’Europe du Sud. Les visions de ce patio dans la peinture orientaliste du XIXe siècle alternent entre un regard dérobé sur un univers féminin habituellement caché et  une épure architecturale révélée par l’éblouissement de la lumière. Le grand artiste catalan Rusiñol a peint à vingt ans de distance des variations sur deux patios bleus proches de Barcelone. Simple courette ou jardin luxuriant, ces lieux deviennent un condensé de l’univers personnel du peintre, de ses petites histoires et de ses obsessions.

 

© Edme Alfred Alexis Dehodencq (Paris, 1822 – 1882), Cour de maison marocaine. Musée des Beaux-Arts de Troyes. Photo Jean-Marie Protte

II – LE CLOÎTRE ENTRE PITTORESQUE ET MYSTICISME

Le musée des Monuments français créé par Alexandre Lenoir, en 1795, dans le couvent médiéval des Petits-Augustins à Paris a fasciné toute une génération d’artistes. Les peintres français de la première moitié du XIXe siècle comme Renoux ont retenu la fascination des fragments médiévaux entrevus dans la pénombre d’un cloître. Ils ont interprété, dans une vision proche de la littérature gothique, les vestiges découverts au cours de leurs voyages en France.
Á la même époque, deux peintres du Nord évoquent les cloîtres romains de Santa Maria d’Aracoeli comme un hommage aux vues d’églises du Siècle d’Or hollandais.

© Henri Rachou, Médiation, 1893. Toulouse, musée des Augustins. Photo Daniel Martin.

Après 1848, la génération des peintres réalistes se focalise sur les existences silencieuses des religieuses et le caractère inquiétant des murs du couvent. La montée en puissance de la notion de patrimoine explique la popularité de sites, comme le Mont-Saint-Michel et son cloître.
Le sujet disparaît au XXe siècle si l’on excepte des démarches isolées, telle la vision sensible et décalée d’un peintre chrétien soucieux de retour aux sources comme Usellini.

III – COURS DE FERME, L’AIR DE LA CAMPAGNE

La cour de ferme est un espace ambivalent et ouvert qui désigne tout ce qui entoure le bâtiment principal et ses dépendances. Le genre naît dans les Pays-Bas à la Renaissance et doit son succès au goût des citadins pour la vie aux champs faisant abstraction de la misère des paysans.
Les peintres de la réalité du XVIIe siècle s’emparent eux aussi de ce sujet qui attendra les paysagistes de la fin du XIXe siècle pour connaître son heure de gloire. Corot inscrit le motif dans la modernité grâce à la liberté de sa facture. Boudin réalise d’innombrables études très personnelles dans les campagnes normande et bretonne, brouillant les frontières entre une végétation envahissante, l’humble bâti et les traces de présence humaine.
Au début du XXe siècle, Bonnard parcourt la France des maisons de campagne de ses amis et traduit en peinture l’éblouissement de la nature par une touche fractionnée. C’est le chant du cygne d’un thème qui a traversé l’histoire de l’art occidental.

© Luc-Olivier Merson (Paris, 1846 – 1920),L’Annonciation, 1908. Cherbourg-en-Cotentin, musée Thomas-Henri

IV – LA COUR COMME LIEU DE VIE, SOCIABILITÉS ENTRE QUATRE MURS

Historiquement, le lieu de sociabilité dont l’extérieur a été le plus souvent représenté est la taverne.

La terrasse est une extension de l’établissement où se déploient les mêmes histoires dans une tonalité plus légère qu’à l’intérieur. Ce sujet est l’apanage des peintres nordiques du XVIIe siècle, il sera repris par les impressionnistes.

L’univers militaire se prête aussi à une peinture de genre où les personnages s’ébattent dans un espace commun qui varie du manège équestre à la cour de caserne en passant par les hôpitaux destinés aux soldats blessés.
Le lieu par excellence de l’échange et de l’observation est la loge du concierge, qui jouit d’une vue directe sur la cour d’un immeuble chez Duval Le Camus.
Enfin, au début du XXe siècle, la résidence secondaire permet à la Bonne Société de recréer un cocon, loin des mondanités parisiennes, où les relations s’approfondissent au contact de la nature. Vuillard fut l’un des derniers chantres de cette société privilégiée.

© René joseph gilbert (Paris, 1858-1914),
L’Hôtel-Restaurant Fournaise. Chatou, musée Fournaise

V – COURS DE PALAIS, SCÉNOGRAPHIE ET SPLENDEUR

À la fin du XVIe siècle dans les Pays-Bas naît un genre nouveau, la peinture d’architecture. Son chef de file est Hans Vredeman de Vries, architecte, ingénieur et peintre, dont le fils Paul prolongea l’influence. Les cours de palais aux vastes colonnades sont imaginaires mais la perspective à point de fuite unique est scientifique. Ces tableaux spectaculaires connaîtront un succès remarquable dans les cours d’Europe centrale et du Nord.
L’Italie ne sera pas en reste aux XVIIe et XVIIIe siècles avec la quadratura, ou architecture illusionniste, employée au plafond ou en rideau de scène, et le capriccio, invention architecturale constituée d »éléments composites, parfois adaptée au goût français.
Au cours du XIXe siècle, les peintres se font témoins de la réhabilitation du patrimoine et de l’invention du tourisme en France et en Italie (Pau, Venise, Florence).
Les orientalistes de leur côté explorent sous toutes ses coutures le monument-phare de l’architecture arabo-andalouse, l’Alhambra et ses célèbres cours.

© Josef Theodor Hansen (Randers, 1848 – 1912), La Cour du Palazzo Vecchio à Florence, 1891. Collection particulière. Photo Galerie Jean-François Heim, Bâle.

VI – COURS URBAINES, SURPRISES ET MÉTAMORPHOSES DE LA VILLE

Comme les écrivains et les poètes, les peintres ont été les témoins et les chroniqueurs, parfois nostalgiques, des transformations de la ville à l’époque moderne. Certains nous présentent ainsi des édifices parisiens emblématiques au moment de leur construction ou de leur rénovation. D’autres nous donnent une vision de Paris hivernale et fantomatique.

C’est sous des cieux exotiques que les peintres cherchent une ville plus douce et accueillante. Ainsi, les vues de Rome révèlent-elles l’expression la plus pittoresque d’un enchevêtrement urbain. Les artistes orientalistes, quant à eux, se sont aventurés dans les arrière-cours des bazars ou des caravansérails, bruissantes d’activités au Caire, Istanbul ou Trébizonde. Des motifs universels comme la cour du boucher et ses carcasses se retrouvent des deux côtés de la Méditerranée.
Enfin, dans les années 30, un indépendant comme Usellini regarde la ville avec les yeux d’un enfant, en soulignant le potentiel onirique et fantaisiste davantage que la réalité.

© François Bonvin, Le Cochon, 1874.
Musée des Beaux-arts de la Ville de Reims. Photo C. Devleeschauwer.
  • LA COUR THÉÂTRE DE L’HISTOIRE

Par son caractère scénographique, parfois monumental, la cour se prête à la mise en scène de l’histoire et à la propagande. C’est évidemment le cas de tous les épisodes se déroulant dans la cour d’un palais avec des personnages historiques, comme ici Christine de Suède à Fontainebleau. L’art de la fin du XIXe siècle va toutefois célébrer d’autres types de personnalités, tel le célèbre psychiatre Philippe Pinel libérant les aliénées dans la cour de la Pitié-Salpêtrière ou la révolutionnaire Louise Michel en train de haranguer ses codétenues.

© Pierre Antoine Augustin Vafflard,
Emma et Eginhard ou Les Stratagèmes de l’amour, 1804.
Évreux, musée d’Art, Histoire et Archéologie

A l’opposé, dans la composition visionnaire de Magnasco, la cour est le lieu de souffrance des anonymes. Souvent Les peintres d’histoire la choisissent également en tant que décor de leur sujet dans les récits légendaires (la cour du palais de Charlemagne), mythologiques (celle du palais de Minos) ou religieux avec l’art sacré moderne de Maurice Denis. Mais, au fond, toutes les représentations de cours racontent des histoires petites ou grandes, anecdotiques ou universelles, toujours humaines.

En savoir plus:

Musée des augustins

Jusqu’au 17 avril 2017

http://www.augustins.org

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