Jakuchû (1716-1800) – Le royaume coloré des êtres vivants

Le Petit Palais est très honoré de présenter pour la première fois en Europe, grâce aux prêts exceptionnels des collections impériales du Japon l’ensemble de trente rouleaux suspendus intitulé Dōshoku saie [Le Royaume coloré des êtres vivants] réalisé par Itō Jakuchū entre 1757 et 1766 environ. Peintre actif au milieu de l’époque Edo (1603-1867), Jakuchū est un artiste plébiscité au Japon pour la finesse de son pinceau et l’éclat de ses couleurs.

Itō Jakuchū, Vieux pin et phénix blanc, 1765-1766, Tōkyō, Musée des collections impériales (Sannomaru Shōzōkan), Agence de la Maison impériale

Cette série, qui n’a jusqu’alors été exposée qu’une seule fois hors du Japon (à la National Gallery of Art de Washington en 2012) est considérée comme le chef-d’œuvre de sa vie.  En raison de la grande fragilité de ces œuvres, cette exposition est présentée seulement pendant un mois dans le cadre de la saison Japonismes 2018. Peu connu en Europe et en France, Itō Jakuchū est pourtant considéré comme l’un des plus grands artistes japonais toutes époques confondues.

Itō Jakuchū, Canards mandarins
dans la neige, 1759, Tōkyō,
Musée des collections impériales
(Sannomaru Shōzōkan),
Agence de la Maison impériale

Grossiste en légumes à Kyōto, Jakuchū décide à quarante ans de confier les rênes de l’entreprise familiale à son frère pour se consacrer pleinement à sa passion, la peinture, qu’il pratique depuis l’âge de dix ans. En 1757, artiste déjà connu et reconnu, il débute son travail sur Le Royaume coloré des êtres vivants. Cet ensemble représente la faune et la flore, brossées avec une précision réaliste issue de son observation appliquée du sujet. Ces trente rouleaux qui représentent tour à tour des coqs, des poissons, des paons, des phénix, des canards, d’arbres en fleurs… révèlent une étonnante finesse de traits, des couleurs incroyablement vives et témoignent d’une maîtrise technique et d’un talent artistique extraordinaires.

Itō Jakuchū, Vieux pin et paon,
1757-1760, Tōkyō, Musée des collections
impériales (Sannomaru
Shōzōkan), Agence de la Maison impériale

En effet, la principale caractéristique de cet ensemble unique est la réunion de toutes les techniques appliquées à la peinture sur soie. La pose de couleurs sur l’envers et l’avers, l’absence de lignes de contours ainsi que l’utilisation conjointe de pigments minéraux et de teintures naturelles sont autant de techniques complexes que l’artiste maîtrise parfaitement et combine avec une grande ingéniosité. Ainsi dans l’œuvre Vieux
pin et phénix blanc, l’artiste grâce à l’application de la couleur ocre sur le revers réussit le véritable tour de force d’évoquer l’or sans faire appel à celle-ci. Dans le rouleau, Canards mandarins dans la neige, Jakuchū impressionne par sa manière de peindre la neige et de rendre palpable sa matière même.

Itō Jakuchū, Coqs, 1761-1765, Tōkyō,
Musée des collections impériales
(Sannomaru Shōzōkan), Agence de la
Maison impériale

Ses représentations du monde vivant qu’il soit végétal ou animal fourmillent toujours de nombreux détails y compris les plus difficiles à saisir à l’œil nu. À travers ces représentations méticuleuses, résultats de nombreuses heures d’observation attentive, l’artiste témoigne de sa grande affection pour les êtres vivants. Jakuchū cependant dépasse le réel en l’utilisant pour créer un remarquable univers pictural imaginaire. Très pieux, Jakuchū place le Bouddhisme au cœur de sa vie. En accord avec ce désir de spiritualité et avant même d’avoir achevé les trente rouleaux, il choisit de les donner au monastère Shōkoku-ji, accompagnés d’une triade bouddhique intitulée Shaka Sanzon-zō [Triade de Sakyamuni] qui seule est demeurée en place. C’est cet ensemble complet tel que Jakuchū l’avait imaginé à l’origine pour le temple de Kyōto que le Petit Palais présentera au public.

Itō Jakuchū, Coquilles, 1761-1765,
Tōkyō, Musée des collections impériales
(Sannomaru Shōzōkan),
Agence de la Maison impériale

Parcours de L’exposition

Itō Jakuchū en son temps

Itō Jakuchū (1716-1800) a exercé son art de peintre à Kyōto au milieu de l’époque d’Edo (1603-1867), dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Cette période féconde de l’art japonais a vu divers mouvements artistiques d’une extraordinaire vivacité, comme l’ukiyo-e (« images du monde flottant »), l’école réaliste MaruyamaShijō ou le courant pictural du Nanga influencé par la Chine. À l’instar d’artistes tels que Soga Shōhaku (1730- 1781) et Nagasawa Rosetsu (1754-1799), qui n’appartenaient à aucun mouvement académique et créèrent un style personnel, Jakuchū jouissait d’une haute estime pour son inspiration singulière.

Itō Jakuchū, Roses et petits oiseaux,
1761-1765, Tōkyō, Musée
des collections impériales (Sannomaru
Shōzōkan), Agence de la
Maison impériale

Fils aîné d’un grossiste en légumes du marché de Nishiki toujours prospère à Kyōto, Jakuchū grandit dans un milieu privilégié. Il succéda, à la mort de son père en 1738, à la direction du commerce familial. Bien qu’il ait commencé à peindre dès son adolescence, ce fut seulement à 40 ans qu’il put s’y consacrer entièrement en confiant la gestion des affaires à son frère cadet. Cependant, lorsqu’il prit ses distances avec l’activité familiale, il était déjà célèbre en tant que peintre de fleurs et d’oiseaux (kachō-ga). Jakuchū resta célibataire toute sa vie durant. Fortement influencé par Daiten, moine supérieur du monastère Shōkoku-ji, il fut un fervent bouddhiste.

Itō Jakuchū, Poissons, 1765-1766,
Tōkyō , Musée des collections impériales
(Sannomaru Shōzōkan),
Agence de la Maison impériale

Le grand incendie qui frappa Kyōto, en 1788, réduisit en cendres sa demeure et son atelier, il fut alors confronté à une réalité nouvelle : devoir peindre pour gagner sa vie.

Il se retira dans une résidence située à proximité du temple Sekihō-ji au sud de Kyōto où il continua de peindre jusqu’à sa mort survenue dans sa quatre-vingt-cinquième année, dans l’univers bouddhique des statues de pierre des Cinq cents arhats qu’il avait lui-même conçues dans l’enceinte du temple.

Itō Jakuchū, Bodhisattva Samantabhadra,
1765, Shōkokuji, Kyōto

Dōshoku sai-e : le Royaume coloré des êtres vivants

Le Royaume coloré des êtres vivants regroupe trente rouleaux aux dimensions imposantes qui s’inspirent des univers végétal et animal. Il révèle le sens aigu de l’observation de Jakuchū et sa vision personnelle du monde, reproduit et transformé par de savantes solutions formelles et une utilisation de la couleur d’une grande originalité. Jakuchū lui-même fit don de ces peintures polychromes sur soie au monastère Shōkokuji où elles étaient présentées dans son bâtiment principal lors de la cérémonie religieuse annuelle Kannon senpō.

Itō Jakuchū, Boudhha Sakyamuni,
1765, Shōkokuji, Kyōto

Cet ensemble monumental, considéré comme le chef-d’œuvre de l’artiste, témoigne de la richesse de sa palette et de sa maîtrise de différents procédés techniques de la peinture traditionnelle japonaise. Les travaux de restauration du Royaume coloré des êtres vivants qui commencèrent en 1999 et durèrent six ans ont permis de confirmer entre autres l’utilisation de la technique dite urazaishiki. Elle consiste notamment à colorer par endroits le revers de l’œuvre afin de rendre plus ou moins intense l’effet des couleurs sur la soie.

Itō Jakuchū, Bodhisattva Manjusri,
1765, Shōkokuji, Kyōto

Le monastère Shōkoku-ji

Construit à partir de 1392 sur la volonté du shogun Ashikaga Yoshimitsu (1358-1408), le Shōkoku-ji est l’un des plus importants monastères zen du système des « Cinq montagnes et dix temples » (Gozan jissetsu), fondés aux XIIIe et XIVe siècles. Situé au cœur de Kyōto, au nord du palais impérial, il a sous sa dépendance deux temples illustres de la ville, le Rokuon-ji ou Pavillon d’or (Kinkaku-ji) et le Jishō-ji ou Pavillon d’argent (Ginkaku-ji).
Son musée abrite une collection d’art exceptionnelle, dont plusieurs œuvres de Jakuchū, en lien avec la ville de Kyōto et la culture zen. Le Shōkoku-ji constitue l’un des lieux religieux et spirituels auxquels Jakuchū fut le plus attaché en raison de sa profonde amitié avec le moine érudit Baisō Kenjō (1719-1801), mieux connu sous le nom de Daiten, qui fut le cent treizième abbé du monastère. Bien que plus jeune, Daiten fut pour le peintre non seulement un ami fidèle, mais aussi son mentor, et joua un rôle crucial dans son évolution personnelle et artistique. C’est sans doute à cause de cette amitié que Jakuchū offrit Le Royaume coloré des êtres vivants ainsi que la Triade de Śākyamuni au Shōkoku-ji, aspirant au repos éternel de son âme après sa mort, mais aussi afin de magnifier le temple.

Le musée des collections impériales, Sannomaru Shōzōkan

Situé dans les jardins de l’Est du palais impérial de Tōkyō, le musée des collections impériales, le Sannomaru Shōzōkan, abrite la collection d’œuvres d’art de la famille impériale du Japon. Cette dernière comprend pas moins de neuf mille cinq cents spécimens, dont des peintures, calligraphies et objets d’art de toutes les époques, transmises de génération en génération. Suite à la disparition de l’empereur Shōwa, en 1989, une large partie de ces trésors appartenant à la famille impériale, y compris les trente rouleaux du Royaume coloré des êtres vivants de Jakuchū acquis au monastère Shōkoku-ji en 1889, fut léguée à la nation. Le Sannomaru Shōzōkan a été construit en 1993 pour rendre la collection impériale plus accessible, en permettant au public d’admirer par rotation les précieuses œuvres d’art gérées par l’Agence de la Maison impériale (Kunaichō). Depuis, le musée organise quatre accrochages annuels ainsi que des expositions spéciales à l’occasion d’événements importants liés à la famille impériale. La recherche scientifique, la conservation préventive et la restauration des chefs-d’œuvre qu’il abrite constituent d’autres activités prioritaires de ce musée.

Genpo yōka : Les Fleurs précieuses du jardin mystérieux

Le terme Genpo fait référence au mythique Xuanpu, un lieu légendaire situé dans la cordillère du Kunlun, où sont censés vivre les immortels (sennin), tandis que yōka évoque des fleurs belles comme le jade. On peut ainsi comprendre que l’album donne à voir des plantes d’une beauté telle qu’elles rappellent celles qui fleurissent sur la terre des immortels. L’œuvre s’inspire des traités de botanique chinoise, très répandus dans le Japon de l’époque d’Edo (1603-1867), qui reposent sur l’étude des herbes médicinales ou de la pharmacognosie (honzōgaku). Fleurs, plantes, fruits et légumes ainsi qu’insectes et animaux de petite taille sont placés au tout premier plan, vus de très près et caractérisés par des cadrages audacieux. Ils font de cet album un des chefs-d’œuvre de la gravure japonaise.

Marqué par une intense tension dramatique due aux images en négatif, réalisées en blanc sur un noir profond,
le Genpo yōka constitue l’exemple le plus réussi parmi les gravures takuhanga de Jakuchū. Cette méthode de gravure s’inspire de la technique de l’estampage adoptée en Chine pour reproduire, sur le papier, les inscriptions gravées sur les stèles.

En savoir plus:

Dates: Exposition présentée du 26 octobre 2018 au 27 janvier 2019

Lieu: Le petit Palais

Site:  cernuschi.paris.fr

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