L’ouverture commerciale et diplomatique du Japon en 1868 révéla aux artistes occidentaux une esthétique radicalement différente de celle qui leur était enseignée depuis des siècles. Inlassablement réinterprété, le modèle antique régnait sur les arts depuis la Renaissance. L’art japonais proposait un vocabulaire plastique inédit, qui ne tarda pas à inspirer l’ensemble de la création artistique en Europe et aux États-Unis. L’esthétique de l’Ukiyo-e se fondait sur des codes radicalement différents de ceux enseignés aux élèves de l’École des beaux-arts.
L’efficacité de ses images tenait à la vivacité des couleurs, à l’absence de modelé ou de volume des formes traitées en aplats, ainsi qu’à l’originalité de compositions fondées sur l’asymétrie. En outre, comme les impressionnistes, les maîtres de l’estampe ne prétendaient délivrer d’autre message que la célébration de la nature et de la vie contemporaine. Les peintres les plus novateurs furent sensibles au raffinement d’un art qui répondait à leurs aspirations, ouvrant la voie à une véritable révolution esthétique.
Depuis les années 1980, le Japonisme a été l’objet de nombreuses expositions et le phénomène s’est révélé si vaste qu’il nous paraît aujourd’hui plus pertinent d’évoquer ses manifestations au pluriel, comme nous préférons parler d’impressionnismes. Notre projet porter sur son impact dans l’œuvre des peintres de la génération impressionniste et postimpressionniste, des années 1870 à l’aube du XXe siècle. Claude Monet, qui a compté parmi les premiers artistes français à s’intéresser à l’estampe japonaise, sera au centre de notre propos et l’exposition prendra tout son sens à Giverny.
PARCOURS DE L’EXPOSITION
Au fil de quatre sections, le parcours s’organise selon une logique thématique et chronologique. Il rappelle au visiteur que le Japonisme fut brièvement compris comme un avatar de l’Orientalisme, avant de bouleverser beaucoup plus profondément le cours de la peinture occidentale.
1. Geishas
Véhiculée par les estampes d’Utamaro auquel les frères Goncourt consacrent une monographie en 1891 — la geisha fascine l’imaginaire des artistes occidentaux. Au même titre que celui du harem évoqué quarante ans plus tôt par Ingres et par Delacroix, le thème de la geisha permet d’associer érotisme, exotisme et couleurs vives.
De Whistler et De Nittis à Helleu, les artistes sont nombreux à traiter d’une sensualité raffinée. Leurs modèles posent alors dans des lieux clos, parfois vêtus de kimonos et souvent associés à des objets d’art décoratif japonais tels que paravents, porcelaines ou ombrelles.
Lié à l’évocation d’une féminité dont il apparaît comme l’emblème, l’éventail est à la mode et la plupart des peintres impressionnistes, de Degas et Pissarro à Gauguin, s’emparent de cet accessoire souvent lié à l’idée de galanterie. Traités plus souvent sur le mode décoratif que fonctionnel, les éventails peints sont généralement offerts aux mères, aux épouses ou aux maîtresses des artistes.
2. Les peintres collectionneurs
Sous forme d’estampes ou d’objets, le Japon est présent chez les artistes et les écrivains, comme en témoignent nombre de portraits et de scènes d’atelier. Caillebotte peint en 1872 un Intérieur d’atelier au poêle où il oppose deux estampes japonaises à l’Écorché de Houdon. Manet évoque les préférences artistiques qu’il partage avec l’auteur de Germinal dans le Portrait d’Émile Zola. Berthe Morisot représente sa fille Julie sous une estampe. Grand collectionneur d’art japonais, Vincent Van Gogh organise une présentation d’estampes au café Le Tambourin à Paris en 1887 et peint le portrait de son ami le Père Tanguy sur fond de gravures japonaises.
L’action de marchands éclairés, comme Siegfried Bing et Hayashi Tadamasa, tous deux grands connaisseurs de la culture du Japon, élargit encore le cercle des amateurs
d’estampes. C’est chez eux que les peintres impressionnistes constituent ou complètent leurs collections. Les estampes qui leur ont appartenu seront présentées dans l’exposition, en regard des tableaux où elles apparaissent.
En 1890, l’exposition dédiée à la gravure japonaise par l’École des beaux-arts consacre le phénomène. Visitée et commentée par la plupart des artistes impressionnistes et
postimpressionnistes, elle ouvre une décennie qui peut être considérée comme l’Âge d’or du Japonisme en peinture. Au-delà de l’intégration d’accessoires exotiques tels
qu’ombrelles, éventails, etc., c’est désormais un langage plastique neuf qui apparaît dans les œuvres des peintres novateurs.
3. L’estampe impressionniste
Dès les années 1870 et plus encore au cours des années 1890, nombreux parmi les artistes s’essayent aux techniques de l’estampe. Henri Rivière y consacre l’essentiel de son talent et reste le plus japonisant d’entre eux (Les Trente Six Vues de la tour Eiffel, 1888-1902). Mais il est précédé par Whistler, Manet, et plus encore Degas qui expérimente des techniques neuves comme le monotype. Son amie Mary Cassatt nous a laissé une remarquable série de gravures inspirées de la vie quotidienne.
Puis ce sont les Nabis, Félix Vallotton, Pierre Bonnard, Édouard Vuillard (Paysages et intérieurs, 1899) ou Maurice Denis (Amour, 1892-1899). Henri de Toulouse-Lautrec de
son côté renouvelle l’art de l’affiche en s’appropriant avec une remarquable efficacité les procédés de l’estampe.
4. Le code a changé
Le regard porté par les impressionnistes sur l’art japonais et la pratique de l’estampe modifient profondément leur conception du tableau. Celle-ci s’affirme de plus en plus
ouvertement comme « une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées » et se libère de la représentation du réel.
D’emblée, les œuvres de Whistler évoquent irrésistiblement l’art de l’Ukiyo-e. Nombreux adoptent les points de vue en plongée, en particulier Degas qui privilégie l’oblique pour éviter une symétrie devenue trop banale. Dans les toiles de Monet, c’est la présence d’une nature de plus en plus foisonnante et diffuse qui marque cette influence. Caillebotte est plus audacieux encore car, sensible aux motifs imprimés japonais, il tapisse sa salle à manger d’un étonnant décor de marguerites. Vincent van Gogh use du contraste et de l’aplat, avant de trouver le Japon à Arles, comme Paul Gauguin l’avait trouvé avant lui à Pont-Aven.
Dans les années 1890, l’impact de l’art japonais atteint des sommets chez les Nabis : à cet égard, Vuillard, Denis ou Vallotton n’ont rien à envier à Bonnard, le Nabi japonard.
Parmi les néo-impressionnistes, Georges Seurat, Paul Signac, Henri-Edmond Cross et Théo Van Rysselberghe se distinguent par le refus de la perspective, du modelé et du
volume.
La leçon de l’art japonais assimilée au début du XXe siècle, les peintres se libèrent de l’imitation de la nature dont ils ne retiennent que l’essentiel, son pouvoir d’évocation poétique. Vallotton peint d’éblouissants couchers de soleil à deux dimensions et Bonnard élabore les féeries chromatiques qui ne tarderont pas à inspirer les maîtres de l’abstraction des années 1950. Monet décrit inlassablement l’univers bleuté de son jardin d’eau où la végétation et le ciel se mêlent inextricablement dans un jeu de reflets colorés.
Plus d’informations
- Date : jusqu’au 15 juillet 2018
- Lieu : Musée de l’impressionnisme, 99 Rue Claude Monet, 27620 Giverny
- Site officiel : http://www.mdig.fr/fr