Saviez-vous que la tulipe, bien avant de devenir un emblème des Pays-Bas, était celui des sultans ottomans ? Que le parc public est une innovation récente en Orient ? Et qu’il est aujourd’hui à la pointe des projets de développement durable de mégalopoles du monde arabe ? Saviez-vous que dans une des anciennes langues de la Perse, le mot jardin, pairi-daeza, a donné… paradis ?
Cette extraordinaire histoire des jardins d’Orient, venez la découvrir… au jardin : pendant toute la durée de l’exposition, le parvis de l’IMA sera investi par un jardin éphémère exceptionnel. Confiée au paysagiste Michel Péna, cette interprétation contemporaine des jardins d’Orient se veut une invitation ludique et sensorielle à s’imprégner des multiples facettes d’un art millénaire. Le visiteur pourra lézarder et déambuler à sa guise dans ses allées de roses et d’orangers, de palmiers et de jasmins, avant que ses pas ne le mènent à la découverte d’une immense anamorphose végétale imaginée par François Abelanet.
Du jardin des sens au développement durable
À l’intérieur du bâtiment de l’Institut du monde arabe, une exposition en cinq temps retracera l’histoire des jardins d’Orient depuis la plus haute Antiquité jusqu’aux innovations les plus contemporaines, de la péninsule Ibérique au sous-continent indien. Un parcours riche de quelques 300 œuvres d’art prêtées par de grands musées internationaux ou des collections privées, mais aussi de maquettes, de tirages photo géants ou encore d’ingénieux dispositifs rappelant ce que les jardins doivent au talent des ingénieurs du passé.
Culture, histoire, technique, botanique, environnement, société…, l’art des jardins, privés comme publics, sera traité sous tous ses aspects : l’exposition analysera les sources d’inspiration du jardin oriental, ses codes et ses déclinaisons, avant de rechercher les liens tissés au fil des siècles avec les jardins d’Occident. Sans oublier d’ouvrir le débat sur le rôle que de la nature peut jouer dans les grandes villes contemporaines pour relever le défi de la modernité et de la durabilité environnementale.
Des jardins suspendus de Babylone au tout récent parc al-Azhar du Caire, de l’Alhambra de Grenade au Jardin d’essai d’Alger, du jardin princier au jardin pour tous, un passionnant parcours dont le fil conducteur est l’essence de la vie des jardins : l’eau, bien sûr !
LES JARDINS D’ORIENT, ORIGINES ET COMPOSANTES
L’oasis, aux prémices du jardin
Les Jardins d’Orient trouvent leurs origines dans le croissant fertile, une zone géographique privilégiée entourée de terres arides, et plus particulièrement avec l’apparition des oasis en Mésopotamie il y a près de 6000 ans, ces étendues d’eau bordées de palmiers qui rompent avec la sécheresse des déserts alentours.
Se développent alors les premières techniques de gestion de l’eau, dont les fameuses galeries drainantes qui vont chercher l’eau des nappes phréatiques, et permettent ainsi une agriculture maîtrisée. L’eau devient un élément fondamental du jardin arabo-musulman, source de vie au cœur des zones arides.
Les techniques hydrauliques
L’invention du style du jardin arabo-musulman fut conjointement liée aux révolutions scientifiques, techniques, urbanistiques et artistiques, apparues en Orient entre le VIII et le XIème siècles. Aujourd’hui, on ne peut comprendre le jardin arabo-musulman sans tenir compte de la philosophie de la nature qui l’irrigue et de la conquête de l’eau qui lui a assuré des siècles durant, pérennité et rayonnement.
Aux IXème et XIIème siècles, l’homme intervient sur la nature pour maîtriser le cours de l’eau et transforme ainsi les paysages. Toute une science des canaux se développe alors, avec ses calculs, ses estimations et ses normes. Émerge une multitude de constructions dédiées à la maîtrise de l’eau : ponts, barrages, digues, ouvrages de protection contre les crues, dérivation des cours des fleuves.
Une irrigation du jardin en continu a également été possible en captant les flux d’eaux souterraines au moyen de puits reliés par des canaux enterrés, connus sous le nom de qanât. Une ère nouvelle voit le jour, celle de « l’âge d’or » de l’hydraulique arabo-musulmane.
Géométrie des jardins
L’eau détermine l’organisation et la forme des jardins grâce aux canaux et aux grands bassins, autour desquels viennent se composer un ensemble de parterres de fleurs, plantes et autres végétaux.
Issu du terme grec « paradeisos », qui signifie « enclos », le jardin oriental est un espace clos, divisé en quatre parties égales séparées par de réels canaux. Au centre, se trouve la source.
Le jardin de Pasargades, paradigme du jardin perse par excellence, privilégie la géométrie des plantations et du réseau d’irrigation, manifestant ainsi la totale maîtrise de la nature, végétation verdoyante et circulation de l’eau. Il fut ainsi le premier exemple du jardin géométrique divisé en quatre parties égales, appelé le chahâr-bâgh, une formule qui sera répétée dans l’histoire des jardins d’Orient.
LES USAGES DU JARDIN
Le jardin, lieu de pouvoir
Le jardin est très tôt associé aux notions de pouvoir et de maîtrise : grand nombre de princes y organisent des réceptions officielles pour émerveiller leurs invités et signifier leur puissance. La luxuriance du jardin, en contraste avec la sécheresse et l’aridité des paysages, constitue une marque incontestable de pouvoir. Les belvédères, dominant l’ensemble du jardin et son environnement, permettent ainsi au monarque d’avoir symboliquement une vue sur tout le territoire du royaume.
Le souverain est un magicien qui fait fleurir le désert, son jardin est un lieu délicieux. Les rois assyriens furent sans doute les premiers à affirmer leur puissance par la création de jardins d’agrément, rendue possible grâce aux immenses travaux d’aménagement et de conduction d’eau qu’ils entreprirent. Ils marquèrent alors le jardin du sceau royal, s’y faisant représenter en train de festoyer à l’ombre des treilles.
Aussi le jardin est-il une composante essentielle de la ville et du territoire dans la mesure où il les relie au palais : de nombreux jardins persans se prolongent ainsi dans la ville, voire dans le désert ; l’axe du Taj Mahal quant à lui, se poursuit au-delà de la rivière.
Un espace de l’intérieur
Les mots qui qualifient les jardins publics dans des villes très densément peuplées telles que Le Caire, Casablanca, Téhéran, Beyrouth ou même Istanbul conduisent tous à considérer que ce sont des espaces « à part » : oasis, île poumon sont des termes qui distinguent fortement les jardins publics du reste de la ville, qui en font des parenthèses végétales dans un ensemble très minéral. Les jardins publics constituent une rupture dans l’espace public urbain.
Des jardins luxuriants et foisonnants de plantes et de fleurs font la renommée et la richesse des Jardins d’Orient. Cyprès, lauriers, platanes, pins et arbres fruitiers; tulipes, roses, jasmins, anémones… Une géométrie naturelle donc, grâce à une végétation dense et exubérante, qui se développe dans un espace clos, fermé sur lui-même, privilégiant l’ombre et l’intimité. C’est au jardin que l’on s’arrête pour se reposer, faire la sieste parfois allongé sur un banc, ou sous un arbre, exposant alors une posture intime aux autres usagers du jardin.
Protégé des regards indiscrets, le jardin exalte les sens et incite aux plaisirs. À l’image des Mille et Une Nuits, le jardin est un lieu de contemplation et de pratiques intimes, propice notamment aux rendez-vous amoureux. Véritable espace de transgressions, il devient le théâtre de débats amoureux, et fait l’objet de nombreuses descriptions littéraires dans lesquelles les jeunes princes trônent au milieu de parterres fleuris, et les fleurs se font métaphores de la beauté des jeunes gens…
En savoir plus:
Jardins d’Orient, De l’Alhambra au Taj Maha, une exposition à découvrir dans les jardins de l’Institut du Monde Arabe. Jusqu’au 25 septembre 2016
http://www.imarabe.org/exposition/jardins-d-orient