Luxe de poche – Petits objets précieux au siècle des Lumières

L’exposition Luxe de poche au musée Cognacq-Jay présente une collection exceptionnelle de petits objets précieux et sophistiqués, en or, enrichis de pierres dures ou de pierres précieuses, couverts de nacre, de porcelaine ou d’émaux translucides, parfois ornés de miniatures. Les usages de ces objets varient, mais ils ressortent tous des us et coutumes d’un quotidien raffiné, signe de richesse, souvenir intime. Au siècle des Lumières comme aux suivants, ils suscitent un véritable engouement en France d’abord puis dans toute l’Europe.

Johann Christian Neuber (1736-1808). Boîte. Pierres dures, or, demi-perles, émail. Vers 1750. Paris, musée Cognacq-Jay. © Stéphane Piera / Musée Cognacq-Jay / Roger-Viollet

Luxe de poche a pour ambition de renouveler le regard que l’on porte sur ces objets, en adoptant une approche plurielle, qui convoque à la fois l’histoire de l’art et l’histoire de la mode, l’histoire des techniques, l’histoire culturelle et l’anthropologie en faisant résonner ces objets avec d’autres œuvres : des accessoires de mode, mais aussi les vêtements qu’ils viennent compléter, le mobilier où ils sont rangés ou présentés et enfin des tableaux, dessins et gravures où ces objets sont mis en scène. Ce dialogue permet d’envisager ces objets dans le contexte plus large du luxe et de la mode au XVIIIe et au début du XIXe siècle.

CCO Paris Musée/Musée Cognacq-Jay

Point de départ de cette nouvelle exposition, la collection remarquable d’Ernest Cognacq est enrichie de prêts importants – d’institutions prestigieuses comme le musée du Louvre, le musée des Arts décoratifs de Paris, le Château de Versailles, le Palais Galliera, les Collections royales anglaises ou le Victoria and Albert Museum à Londres et des collections particulières – afin d’offrir une nouvelle lecture de ces accessoires indispensables du luxe.

LUXE DE POCHE

Le XVIIIe siècle se caractérise par le développement des métiers d’art et l’essor des arts décoratifs. Les petits objets précieux sont regroupés sous le vocable générique de « boîtes » ou de « bijoux » : tabatières, bonbonnières, boîtes à mouches ou à fard, étuis, nécessaires, flacons, montres, châtelaines, lorgnettes… L’Encyclopédie les définit comme « les ouvrages d’orfèvrerie qui ne servent que d’ornement […] Cette partie n’étant qu’un talent de mode et de goût ne peut avoir aucune règle fixe que le caprice de l’ouvrier ou du particulier qui commande ».

Montre en forme de mandoline, Simon Calame, Vers 1790, CCO Paris Musée/Musée Cognacq-Jay

Par la préciosité de leurs matériaux, l’inventivité de leurs mécanismes, les gestes raffinés qu’ils exigent, ils révèlent le statut social de leur propriétaire. La mode pour ces objets de luxe favorise la créativité des orfèvres, qui rivalisent de virtuosité. L’arrivée de matériaux exotiques – porcelaine, laque – est source d’émulation et d’innovations techniques.

Ces objets portatifs accompagnent les pratiques de sociabilité des élites et en codifient les usages. Cachés au creux des poches, ils participent de la culture des apparences et des enjeux de distinction sociale.

Grâce à un ensemble exceptionnel de près de trois cents œuvres, l’exposition replace ces objets dans le contexte de leur fabrication et de leurs usages.

Tabatière, Paul-Nicolas Ménière, entre 1776 et 1777. CCO Paris Musées/Musée Cognacq-Jay

USAGES, PRATIQUES ET SOCIABILITÉS

Cachés dans les poches puis révélés d’un geste élégant, boîtes, étuis et tabatières participent d’une stratégie de l’élégance. Mobiles, tenant dans la main ou portés au plus près de soi, ces objets sont à la fois personnels, intimes et éminemment sociaux. Ils accompagnent leur propriétaire hors de la sphère privée pour aller sur le théâtre du monde. Destinés à être vus et montrés, ils relèvent pleinement de la parure et contribuent à façonner la culture des apparences, caractéristique du siècle.

Les objets de poche participent des pratiques de sociabilité tout au long de la journée. Les délicates boîtes à poudre ou à mouches servent aux rituels de la toilette, et les flacons à parfum éveillent les sens. En société, il est de bon ton de sortir de sa poche une jolie tabatière pour offrir du tabac à la compagnie, ou d’en extraire un nécessaire élégant dont les accessoires miniatures, s’ils sont parfois utiles, servent avant tout à signaler le raffinement et le goût. Au théâtre ou au bal, les ingénieuses lorgnettes permettent autant de voir que d’être vu, tandis que les étuis à messages participent de la même culture de sociabilité.

Coffret-nécessaire. Attribué à James Cox. Vers 1760-1770. CCO Paris Musée/Musée Cognacq-Jay

LA FABRIQUE DE L’ŒUVRE

De la fabrique à la diffusion de ces objets, une économie inventive et florissante se développe à Paris et en Europe au cours du XVIIIe siècle. Des foyers de production apparaissent en Allemagne, en Italie ou en Angleterre, avec pour chacun des spécificités et techniques particulières. La curiosité scientifique et l’attrait pour les sciences naturelles, telle la minéralogie, favorisent la création d’objets à la fois érudits et utiles.

Carnet, Jean Ducrollay, 1752, CCO Paris Musée/Musée Cognacq-Jay

Leur fabrication requiert le savoir faire de nombreux artisans d’art : peintres, émailleurs, lapidaires, vernisseurs… Les innovations techniques offrent de multiples possibilités. Les orfèvres réalisent des « montures à cage » qui mêlent or et tout autre matériau : porcelaine, émail, écaille ou micro-mosaïques. Ces objets se déclinent du luxe au “populuxe”, dans les matériaux des plus précieux aux plus anodins (bois, paille, papier mâché…), offrant une production plus abordable vendue par les orfèvres, les bijoutiers et les marchands merciers.

En France, ces derniers jouent le rôle de prescripteurs de tendances, favorisant la naissance d’une culture de la consommation. « Marchand[s] de tout & faiseur[s] de rien » selon Diderot, ils importent des matériaux exotiques, créent des modèles inédits, et fournissent une clientèle diversifiée.

Pistolet en or avec émail et perles formant un étui à parfum, Jean-François Bautte, vers 1800. Paris, musée Cognacq-Jay. © Marc Dubroca / Musée Cognacq-Jay / Roger-Viollet

SOURCES ET MODÈLES

Les objets précieux témoignent de l’essor du luxe, qui s’accompagne d’une grande créativité esthétique. Un formidable répertoire de formes, motifs et petites scènes se décline sur les couvercles de tabatières, les flacons, les camées montés en boutons ou bijoux… Miroirs de leur époque, ces accessoires suivent l’évolution du goût comme les effets de mode d’une société en mouvement.

Les toiles mythologiques ou pastorales des maîtres du XVIIIe siècle de la peinture galante – Watteau, Boucher, Greuze et Fragonard – sont copiées ou imitées en miniature. Les références littéraires s’exposent sur ces objets, attestant de la culture et de la sensibilité de leur propriétaire.

Aux côtés de ces imaginaires élégants et fantasmés, les grands événements occupent une place de choix dans ce vocabulaire esthétique. Ces objets parlants, à l’iconographie riche de sens, sont au cœur des circulations, et se font vecteurs de l’actualité royale, des avancées scientifiques et des progrès technologiques.

Etui-nécessaire à couture, France, XVIIIe siècle CCO Paris Musée/Musée Cognacq-Jay

L’ART DE COLLECTIONNER

Prisés par les monarques, les membres des familles royales et les cours à travers l’Europe, ces petits objets précieux sont dès le XVIIIe autant offerts que collectionnés. Frédéric II (1712-1786), roi de Prusse, rassemble ainsi près de trois cents tabatières parmi les plus luxueuses.

Bijoux de valeur et souvenirs au puissant pouvoir évocateur, ils témoignent d’une amitié, d’un amour, d’un haut fait. Pour les connaisseurs des siècles suivants, la richesse de ces objets incarne une époque marquée par l’élégance.

L’intérêt renouvelé pour la virtuosité des orfèvres des Lumières trouve son expression auprès des collectionneurs du tournant du XXe siècle. À l’affût d’objets emblématiques de ce savoir-faire, Ernest Cognacq et Marie-Louise Jaÿ ont ainsi acquis quelque deux cent soixante « bijoux ». Cette collection forme un ensemble exceptionnel, parmi les plus prestigieux et représentatifs de cette production raffinée.

À partir des années 1960, Rosalinde et Arthur Gilbert, philanthropes éclairés, collectionnent avec passion ces joyaux, dont certaines des tabatières de Frédéric II. La collection Gilbert, conservée depuis 2008 au Victoria and Albert Museum, comprend plus de deux cents pièces qui en font l’une des plus importantes collections privées récentes de boîtes orfévrées, illustrant la pérennité de ce collectionnisme

Etui à tablettes, Allemagne, XVIIIe siècle. CCO Paris Musée/Musée Cognacq-Jay

EXOTISMES

L’essor des échanges commerciaux à partir de la »n du XVIIe siècle favorise le goût pour l’exotisme. Les marchands-merciers font réaliser des objets ornementaux composites alliant laque, coquilles, écailles de tortue et pierreries issues de ces flux. La galanterie de poche devient un ailleurs transporté au plus près de soi.

Cet Orient rêvé fascine et inspire les artistes européens, comme François Boucher (1703-1770), qui déclinent dans les arts décoratifs la mode des « chinoiseries ». Au sein des manufactures comme des ateliers, artisans et orfèvres innovent pour imiter ces matériaux exotiques – tel le vernis Martin, qui reproduit la brillance de la laque.

Le secret de la fabrication de la porcelaine, à l’origine importée d’Asie, est découvert par les chimistes au cours du siècle en Europe, où elle est utilisée pour la réalisation de boîtes ou d’étuis.

Cette émulation et le développement de savoir-faire connaissent un renouveau au début du XXe siècle. De grandes maisons de la joaillerie – Fabergé ou Van Cleef & Arpels – s’inspirent des formes et des techniques de l’art raffiné du XVIIIe siècle.

Drageoir en forme de tatou, Manufacture de Saint-Cloud, vers 1750 © CCO Paris Musées/Musée Cognacq-Jay

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