Alors qu’un nouvel art de bâtir supplante l’architecture romane, la sculpture qui lui est associée s’impose dans toute l’Île-de-France, entre 1135 et 1150 environ. Les portails à statues-colonnes sont l’emblème de cette première sculpture gothique, mais ne résument pas le phénomène, entre circulation des modèles et recherche d’expression.
L’exposition rassemble de façon inédite statues-colonnes déposées du portail royal de Chartres, vestiges de celles des portails occidentaux de l’abbé Suger à Saint-Denis, mais aussi d’autres témoignages d’un foisonnement d’expériences – portail Sainte-Anne de Notre-Dame de Paris, cloître de Saint-Denis.
INTRODUCTION
La sculpture gothique apparaît au milieu des années 1130 dans une aire géographique centrée sur le domaine royal capétien, mais qui ne se limite pas à lui. Elle naît de la combinaison d’expériences parallèles dont le laboratoire est l’Île-de-France, berceau du nouvel art de bâtir, mais aussi la Beauce, autour du chantier de la façade de la cathédrale de Chartres. Une première synthèse de ces composantes d’origines diverses s’opère à Saint-Denis entre 1135 et 1140, sur le chantier du nouveau massif occidental de l’abbatiale. Si son style est encore largement tributaire de la tradition romane d’Île-de-France, il doit s’adapter à un parti architectural d’une ambition sans précédent: un triple portail à statues-colonnes qui se déploie sur toute la largeur de la façade. Sa structure est aussitôt reprise au Portail royal de Chartres, mais dans un style plus propre à incarner une recherche d’expression nouvelle. Le lien entre ces deux monuments fondateurs, qui ne cesse de s’enrichir d’échanges circulaires à mesure que se déplacent les sculpteurs et que s’étoffent les carnets de modèles, est au cœur du phénomène. C’est l’histoire de ces échanges que l’exposition s’attache à reconstituer, à la recherche de sources d’inspiration graphiques communes à la sculpture, au vitrail et à l’enluminure.
Le prototype chartrain connaît une diffusion foudroyante dans les années 1145-1150, vers les terres du comte de Blois, de Chartres et de Champagne, et jusqu’au cœur du domaine Plantagenêt, aux entrées principales des cathédrales du Mans et d’Angers. Il ne dépend pas des frontières politiques, mais s’affirme comme un langage visuel partagé, entre figuration humaine en quête de sentiment et foisonnement de l’ornement végétal. À côté du célèbre Suger de Saint-Denis, qui a retenu toute l’attention en raison de son rôle politique de premier plan et de ses écrits, et des sculpteurs anonymes qui ont développé ce langage, c’est une génération aussi bien qu’un réseau de commanditaires influents qui est à l’œuvre.
PROLOGUE: LA SCULPTURE ROMANE À PARIS AVANT L’ÉCLOSION GOTHIQUE (1100-1130)
Quand surgissent les portails occidentaux de Saint-Denis, la sculpture d’Île-de-France, ancrée dans une tradition romane aux caractères peu marqués, forme un paysage moins riche que dans d’autres régions. Alors qu’en Bourgogne ou en Languedoc s’épanouissent les grands portails romans, elle se concentre principalement sur les chapiteaux. Délaissant la figuration humaine, sauf dans quelques abbayes de premier plan comme Sainte-Geneviève de Paris ou Chelles, elle privilégie une forme très dégradée du chapiteau corinthien, dans une veine géométrique qui perpétue certains types normands de la fin du 11e siècle, ou plus rarement dans une veine végétale stylisée et simplifiée où abondent les rinceaux. À l’aube de l’éclosion du gothique, le répertoire sculpté en vogue autour de Paris n’a connu aucune évolution notable depuis un demi-siècle. Significativement, les premiers travaux lancés à Saint-Denis par l’abbé Suger, qui se contente de plaquer un décor sculpté dans l’entrée du mausolée de Pépin le Bref, à l’ouest de l’abbatiale, puis dans la crypte, appartiennent encore pleinement à cet art roman local.
I. SAINT-DENIS
Les portails occidentaux de Saint-Denis, entre Paris et Chartres
Le nettoyage récent de la façade occidentale de Saint-Denis permet d’apprécier d’un œil nouveau la sculpture qui se déploie sur ses trois portails, et de relativiser l’impact de la restauration menée par le sculpteur Brun sous la direction de François Debret en 1839-1840. Leur examen révèle un style encore empreint de la tradition plastique romane de l’Île de-France, aux volumes lourds et aux drapés relâchés contrebalancés par un traitement de surface précieux : les sculpteurs réunis par Suger entre 1135 et 1140 pour œuvrer à cet ensemble sans précédent disposaient de moyens peu adaptés à son ambition. Cependant, des éléments secondaires de ces portails, telles les colonnettes de piédroits, porteuses d’une ornementation végétale luxuriante, peuvent être attribués à des sculpteurs venus de Chartres. Leur décor virtuose de somptueux rinceaux peuplés de créatures hybrides, déployé pour la première fois à la tour nord de la cathédrale beauceronne, se rencontre à Paris dès le milieu des années 1130, dans les chevets de Sainte-Geneviève et de Saint Martin-des-Champs, puis se propage via le relais dionysien jusqu’à Saint-Remi de Reims.
I-1. Les statues-colonnes des portails occidentaux de Saint-Denis
Les statues-colonnes des portails occidentaux de Saint-Denis ont été détruites à la demande des moines en 1770, seules les colonnes elles-mêmes étant épargnées. Sur les six têtes conservées et repérées, cinq sont réunies ici. Véritables icônes de cet art naissant, elles fascinent par leur modelé énergique et brutal. Quant à leurs corps, on en connaît la forme grâce aux dessins qu’en a fait Antoine Benoist au début du 18e siècle. Le graphisme
abstrait des drapés pesants est encore roman, notamment les longs plis parallèles qui retombent entre les jambes.
I-2. Des ornements chartrains aux portails occidentaux de Saint Denis
Parmi les éléments des portails de Saint-Denis confiés à des sculpteurs chartrains, outre les chapiteaux à rinceaux qui couronnent les ébrasements, les six colonnettes insérées dans les piédroits selon une formule originale offrent un support idéal à leur répertoire ornemental propre. Lorsque ces sculpteurs rentrent au pays, ils reproduisent les schémas mis au point à Saint-Denis, en les démultipliant pour les adapter aux longues colonnettes intercalaires qui séparent les statues-colonnes du Portail royal. La présence chartraine à Saint-Denis se manifeste également avec éclat dans le décor enluminé luxuriant d’une grande Bible en deux volumes, ainsi que dans la vitrerie du chevet, en particulier dans les bordures dont le dessin dérive des mêmes modèles.
I-3. Les statues-colonnes du cloître de Saint-Maur-des-Fossés
Seuls témoins de la diffusion stylistique des portails expérimentaux de Saint-Denis, les statues-colonnes du cloître de Saint-Maur-des-Fossés jettent autour de 1140 un autre éclairage, indirect, sur les corps disparus de leurs aînées dionysiennes. Les caractères formels des unes et des autres se retrouvent d’ailleurs dans les enluminures produites par le scriptorium de Saint-Maur, qui se signale sous l’abbatiat d’Ascelin (1134-1151) comme un conservatoire majeur de la tradition romane d’Île-de-France.
I-4. Le répertoire ornemental chartrain à Paris
Saint-Martin-des-Champs, priorale clunisienne de Paris et monument pionnier de l’architecture gothique, se distingue par l’adoption précoce, peut être même avant SaintDenis, d’un vocabulaire ornemental typiquement chartrain, marqué à la fois par l’énergie du végétal et par la délicatesse du traitement de surface. C’est le cas également du chevet de l’abbatiale Sainte-Geneviève : des groupes de chapiteaux coiffés de grands tailloirs au décor chartrain, dont un exemple est reconstitué ici pour la première fois depuis la destruction de l’église en 1807, surplombaient et ornaient l’espace dévolu à la châsse contenant les reliques de la sainte patronne de Paris.
I-5. Le décor chartrain des bâtiments claustraux de Saint-Remi de Reims
L’abbaye Saint-Remi de Reims connaît une période d’activité artistique brillante sous l’abbatiat d’Odon (1118-1151). Il se distingue notamment par la construction de bâtiments monastiques au riche décor sculpté dont il subsiste aujourd’hui la salle capitulaire remaniée, ainsi que de probables vestiges d’un ou plusieurs cloîtres. Ce décor présente toutes les caractéristiques du répertoire ornemental chartrain, mais il ne s’agit pas d’un emprunt direct: Saint-Remi offre une synthèse riche et inspirée de son interprétation parisienne, à Saint-Martin-des-Champs et à Saint-Denis.
II. CHARTRES
Le Portail royal de Chartres : dépasser l’horizon dionysien
La recherche récente a confirmé sur des bases solides la datation relative du triple portail occidental de la cathédrale de Chartres, surnommé «Portail royal » en référence aux grandes figures couronnées de l’Ancien Testament qui ornent leurs ébrasements : sa réalisation succède aussitôt à celle des portails occidentaux de Saint-Denis, entre 1140 et 1145. Marqués par leur expérience dionysienne, les sculpteurs chartrains rapportent chez eux l’idée de cette composition tripartite à statues-colonnes, mais les formes romanes du milieu parisien sont abandonnées au profit d’une recherche d’expression nouvelle, nourrie de codes de représentation byzantinisants. Le répertoire végétal local y est naturellement développé, et s’enrichit de modèles issus des confins clunisiens du Bourbonnais et du Nivernais, en particulier des portails de l’abbatiale de La Charité-sur-Loire et de la clôture de chœur de la priorale de Souvigny. Cette synthèse équilibrée et novatrice connaît pendant une décennie un profond retentissement à travers le Bassin parisien et au-delà. Ce phénomène peut être décrit comme une véritable « onde de choc ».
II-1. Les statues-colonnes du Portail royal de Chartres
Les quatre statues-colonnes présentées ici, déposées pour des raisons de conservation entre 1967 et 1974 et remplacées par des copies, ont bénéficié en 2018 d’une restauration qui révèle leurs qualités plastiques. Leur stricte immobilité, accrue par l’élongation extrême des silhouettes assujetties à la colonne, les détourne de la tradition romane encore perceptible à Saint-Denis. Les volumes du corps sont évoqués par un fin réseau de longs plis parallèles distribués de façon organique ; les figures sont animées également par l’expression intense et spiritualisée des visages. La restauration de ces statues-colonnes a été réalisée grâce au mécénat de l’association American Friends of Chartres, en partenariat avec l’association Chartres sanctuaire du monde.
II-2. Des sources bourbonnaises et nivernaises pour le Portail royal
La plupart des motifs déployés sur le soubassement du Portail royal (fleurs à quatre pétales, girandoles ou cannelures) n’appartiennent pas au répertoire chartrain des années 1130. Ils sont directement empruntés aux monuments clunisiens d’une aire géographique correspondant au confluent de la Loire et de l’Allier, en particulier La Charité-sur-Loire (Nivernais) et Souvigny (Bourbonnais). De même, les apôtres de la clôture de chœur de Souvigny constituent sans doute, par leurs drapés nerveux et organiques aux plis parallèles ou « en V emboîtés », une source d’inspiration pour les statues-colonnes de Chartres.
Leur style byzantinisant, qui se retrouve dans la Bible chartraine de Saint-Denis, semble tributaire des réalisations du scriptorium de Cluny autour de 1100, lui-même marqué par des modèles italo-byzantins du début de la période comnène (fin du 11e siècle).
II-3. L’onde de choc chartraine
Le Portail royal de Chartres connaît un retentissement immédiat dans la décennie qui suit son achèvement, jusqu’à Angers ou à Bourges. À proximité immédiate de la cité beauceronne, les faisceaux de colonnettes torses de Coulombs (dans la salle suivante) ou les chapiteaux de la collégiale de Dreux citent son répertoire ornemental. Au-delà, son influence atteint très tôt l’Île-de-France, et fait retour à Saint-Denis, comme en témoignent le « relief Crosby », reflet du linteau du portail central chartrain, ou le retable de Carrières, dépendance de l’abbaye royale. Thibault IV, comte de Blois, de Chartres et de Meaux, est sans doute un acteur de sa diffusion dans la Brie où les portails « chartrains » se multiplient, comme à Lagny-sur-Marne où il est enterré en 1152.
La vague chartraine ne se limite pas aux seuls portails à statues-colonnes. Le décor végétal de ses colonnettes, tailloirs et voussoirs a inspiré autant que ses grandes figures, et dans tous les domaines. Ainsi s’adapte-t-il très bien au mobilier liturgique, comme à Chelles où les rinceaux et palmettes beaucerons caractéristiques envahissent les pieds de châsses ou d’autels ; ainsi, le décor des cloîtres en tire-t-il abondamment parti, comme à Coulombs dont les supports, constitués de quadruples colonnettes torsadées, sont coiffés de chapiteaux reprenant le couronnement architecturé de ceux du Portail royal.
III. PARIS ET CHARTRES TOUT À LA FOIS. LES CARNETS DE MODÈLES D’ORNEMENT
Paris et Chartres tout à la fois. De nouveaux carnets de modèles d’ornements
Paris est le lieu de la renaissance du chapiteau corinthien dans la première architecture gothique, à Saint-Pierre de Montmartre, mais aussi celui de la première diffusion du répertoire ornemental chartrain, à Saint-Martin-des-Champs. À la façade de Saint-Denis s’opère un phénomène décisif dans la formation de la première sculpture gothique : la fusion de ces deux répertoires récents, retravaillés et combinés par des sculpteurs inventifs prompts à s’approprier les nouveautés. Les carnets de modèles qui en résultent circulent depuis Saint-Denis avec une étonnante rapidité, et ces vecteurs graphiques ne cessent alors de s’étoffer et de se recharger de chantier en chantier. Les chapiteaux sont le support privilégié de cette effervescence créatrice : bouquets de palmettes ou sirènes-oiseaux font l’objet d’infinies variations dans une itinérance circulaire qui les mène de Saint-Denis, portails ou chevet, aux déambulatoires de la cathédrale de Sens et de Saint-Germain-des Prés puis, de là, au cloître de Saint-Denis, et en de nombreux autres lieux.
Le cloître de Saint-Denis
Le cloître de l’abbaye de Saint-Denis est aujourd’hui l’un des grands absents de la première sculpture gothique, alors même qu’il correspond au moment où les carnets de modèles atteignent leur plus grande diversité, et le terme de leur enrichissement. Remanié au 13e siècle, détruit dans les années 1750 pour faire place à un quadrilatère néo-classique, il est mal documenté par les rares vues générales du monastère et son apparence nous échappe. Seul subsiste un important ensemble de vestiges lapidaires, reconstitué à la fin du 20e siècle et complété depuis par des découvertes archéologiques. Ses pièces les plus significatives sont rassemblées ici pour la première fois. Leur étude a permis de reconstituer l’apparence d’une travée d’arcature, mettant en valeur la probable alternance de supports simples et de supports doubles, ces derniers incluant une statue-colonne du côté du préau. La statue-colonne qui subsiste illustre avec force la prégnance du modèle figuratif chartrain au milieu des années 1140. Ainsi, l’«onde de choc » du Portail royal s’impose jusqu’au cœur de l’abbaye royale.
IV. LA SCULPTURE FIGURÉE AU MILIEU DU 12e SIÈCLE
La sculpture figurée au milieu du 12e siècle : en quête d’une nouvelle expressivité
À la fin des années 1140, alors que des usages dévotionnels nouveaux se développent, en particulier en l’honneur de la Vierge Marie, et témoignent d’une aspiration à une médiation plus proche et incarnée, les statues-colonnes, figures royales et prophétiques placées à portée de regard, connaissent des mutations rapides. À Chartres, malgré leur expression intense et spiritualisée, elles étaient encore trop corsetées, sans doute, dans leur rigidité immobile et impassible. À Notre-Dame de Paris, si le portail Sainte-Anne est d’essence chartraine, ses sculpteurs cherchent à dépasser cette référence en puisant à des sources expressives plus directement italo-byzantines ; mais cette surenchère, qui utilise le même langage en l’exacerbant, est une tentative sans lendemain. Alors que le style principal du Portail royal triomphe encore dans le cloître de Saint-Denis autour de 1145, à quelques mètres de là et à quelques mois ou années d’intervalle, au portail du bras nord du transept dit «portail des Valois », apparaît un style radicalement nouveau. La quête de mouvement et la dramatisation théâtrale des attitudes procèdent de référents antiques empruntés à l’art «mosan», tel qu’il se développe au même moment entre Liège et Stavelot. Ainsi, la vieille abbaye royale reprend à la cathédrale beauceronne le rôle d’épicentre de l’innovation que celle-ci lui avait ravi moins de dix ans auparavant, et le style du portail des Valois trouve à Senlis et à Paris puis à Mantes et en bien d’autres lieux des prolongements riche d’avenir.
IV-1. Le portail Sainte-Anne de Notre-Dame de Paris : un style encore sous influence
Le portail Sainte-Anne est un ensemble complexe et hétérogène. Constitué d’éléments provenant d’au moins deux portails différents sculptés au milieu des années 1140 pour la façade de la cathédrale précédente, il a été remployé au début du 13e siècle dans la façade de la nouvelle cathédrale, au prix de divers compléments. Suite aux mutilations révolutionnaires, de nombreux fragments des statues-colonnes ont été recueillis au musée de Cluny, notamment après la découverte en 1977 de tronçons enfouis. C’est également en contexte archéologique que des pièces non réutilisées lors du remploi ont été mises au jour. Parmi les parties demeurées en place dans le portail, le tympan reproduit le style principal du Portail royal de Chartres. En revanche, le linteau supérieur et certaines statues-colonnes, comme le Saint Pierre exposé ici, présentent des traits byzantinisants appuyés, notamment des plis en forme de gouttes d’huile superposées, qui suggèrent que les sculpteurs et commanditaires parisiens ont cherché à dépasser le modèle chartrain par une recherche d’expressivité exacerbée.
IV-2. L’appel à des sources mosanes ou le recours à l’Antiquité
Au terme de la première génération gothique, peu avant 1150, c’est au portail des Valois de Saint-Denis que le modèle chartrain est finalement dépassé. La nouvelle conception des figures qui s’y affirme, marquée par un certain classicisme antiquisant, prend sans doute sa source dans l’art de la vallée de la Meuse ; elle trouve notamment des points de comparaison précis avec les fonts baptismaux de Saint-Barthélemy de Liège, créés quelque trente ans plus tôt. En tout cas, les contacts de l’abbaye avec ce foyer artistique sont avérés : si le grand pied de croix émaillé commandé par Suger, selon ses dires, à des orfèvres « lotharingiens » pour supporter sa croix d’or a disparu, le médaillon rescapé des verrières de la chapelle d’axe, attribué à un atelier «mosan», présente d’étroites affinités stylistiques avec le portail. La grande force expressive des visages aux rides accentuées comme la torsion des corps mis en mouvement, drapés de plis tendus distribuées de façon 19 plus naturelle, caractérisent ensuite plusieurs ensembles sculptés parisiens encore mal localisés, et s’épanouissent aux portails de la cathédrale de Senlis et de la collégiale de Mantes
IV-3. Les Vierges à l’Enfant en majesté d’Île-de-France : d’un style l’autre
La Vierge à l’Enfant en majesté en bois polychromé qui ornait la chapelle d’axe de la priorale Saint-Martin-des-Champs est exceptionnelle par ses dimensions et par sa qualité plastique. Sa frontalité hiératique comme le plissement serré de son drapé marqué de V emboîtés l’apparentent à la Vierge en majesté qui trône au Portail royal de Chartres, dans le tympan du portail sud. Cependant, assis en équilibre sur son genou, l’Enfant est ici désaxé, comme pour créer une relation plus directe avec sa Mère et avec le fidèle. Une composition similaire s’observe sur deux autres Vierges en bois du même type, provenant de Jouy-en-Josas et de Limay (Yvelines), à ceci près que l’Enfant est porté et présenté par deux anges agenouillés. Or, leur style n’a rien de chartrain: la conception des drapés qui rayonnent en éventail évoque les portails de Mantes tout proches. Les deux grandes madones «premier gothique » d’Île-de-France, Notre-Dame de la Carole de Saint-Martindes-Champs et la Diège de Jouy-en-Josas, sont parfaitement représentatives des deux courants stylistiques dominants qui se succèdent à Paris au cours de la décennie 1140-1150. Avec des moyens différents, toutes deux visent à incarner la figure d’intercession mariale, qui projette l’Enfant devant elle pour le rendre plus proche du fidèle.
En savoir plus:
Lieu: Musée de Cluny, musée national du Moyen âge
28 rue Du Sommerard, 75005 Paris
Date: Jusqu’au 21 janvier 2019
Site: https://www.musee-moyenage.fr