Le musée des Arts décoratifs présente les œuvres de celui qui fut l’un des plus célèbres artisans du XVIIIe siècle, Pierre Gouthière, doreur et ciseleur des rois Louis XV et Louis XVI.
104 objets d’art et 85 dessins et estampes, replacent l’œuvre de Gouthière au cœur de la création ornementale du dernier tiers du XVIIIe siècle. Cette exposition est le fruit d’une collaboration du musée avec la Frick Collection de New York.
Le projet parisien présente une version enrichie de l’exposition new yorkaise et offre l’occasion de faire le point sur l’œuvre et la carrière du bronzier, sur les attributions souvent généreuses dont il fit l’objet autant que sur le rôle joué par ses principaux commanditaires tel que le duc d’Aumont. L’exposition met également le travail de Gouthière en perspective avec celui de ses concurrents d’alors, tout en rappelant les liens unissant les bronziers aux architectes, aux ornemanistes, tous protagonistes de l’évolution du décor intérieur.
Imaginés comme somptueux faire-valoir aux objets précieux conçus par les marchands merciers ou comme éléments de décor pour les intérieurs, ces ornements de bronze doré se déclinent sur toutes sortes d’objets. Pendules, aiguières, vases, pots-pourris, cassolettes, bras de lumière, lustres, tables et consoles, chenets et cheminées, colonnes et piédestaux sont ainsi enrichis d’ornements finement ciselés et dorés dont les réalisations de Pierre Gouthière comptent parmi les plus somptueuses. La diversité des matériaux utilisés, marbre, porphyre, jaspe, porcelaine de Chine, ivoire comme leur couleur offre des jeux contrastes saisissants propres à séduire les commanditaires.
On sait peu de choses sur les débuts de Pierre Gouthière si ce n’est qu’il fit son apprentissage auprès du maître doreur François Ceriset et eut la grande chance de travailler tôt dans sa carrière avec des orfèvres de renom. Parmi eux, François-Thomas Germain, orfèvre du roi qui le forma à la technique de la dorure et de la ciselure sur or et argent. Durant cette période, Gouthière apprit à maîtriser les multiples étapes de la production d’objets en laiton doré et les techniques plus particulièrement complexes de la ciselure et de la dorure. Ces processus nécessitaient de faire appel à un grand nombre d’artisans (dessinateur ou architecte, sculpteur, modeleur, fondeur, tourneur, ciseleur et doreur) et mettaient en œuvre différents savoir-faire comme la création de modèles, la soudure de différents éléments fondus séparément, la manipulation chimique de la dorure ou encore l’assemblage final des ornements. C’est durant sa formation qu’il mit au point un procédé qui fit sa renommée : la dorure « au mat », technique très onéreuse, qui lui permettait de varier les effets de brillance à la surface des objets.
Pour les réaliser, Gouthière travailla avec les plus grands ornemanistes, sculpteurs et architectes comme François-Joseph Bélanger, Claude-Nicolas Ledoux ou Pierre-Adrien Pâris dont quelques dessins, conservés au musée des Arts décoratifs et dans quelques autres collections nationales ou privées sont présentés pour la première fois en regard des œuvres. Ces dessins, étapes indispensables au processus créatif, montrent à la fois l’immense inventivité des ornemanistes et combien ils constituent un répertoire de formes et d’ornements dans lequel Gouthière et ses contemporains puisèrent abondamment. Modèles de bras de lumière, de chenets, de cheminées, de vases de garnitures, de poignées de porte feront ainsi écho aux œuvres de Gouthière.
Pierre Gouthière travailla presque exclusivement pour une clientèle d’hommes et de femmes puissants et immensément riches, à commencer par la cour, qui lui demandaient d’exécuter des objets extravagants de luxe et d’exubérance. En 1770, l’architecte Ledoux le choisit pour réaliser, d’après ses dessins, les bronzes d’ameublement du pavillon de Louveciennes édifié pour la comtesse Du Barry. Entre 1772 et 1777, il est appelé à participer au décor du château de Fontainebleau pour l’un des salons de la favorite (aujourd’hui disparu) et travaille à celui du boudoir turc de Marie-Antoinette.
Pendant ces mêmes années, il fournit à la duchesse de Mazarin des bronzes pour le décor de son salon parisien dont une extraordinaire paire de bras de lumière. En travaillant sous la conduite de l’architecte Bélanger qui élève et dirige la décoration du pavillon de Bagatelle, Gouthière œuvre aussi pour le comte d’Artois, frère du roi Louis XVI. Parmi ces commanditaires le duc d’Aumont joua un rôle considérable. Gentilhomme de la chambre du roi et intendant principal des Menus Plaisirs, alors que Gouthière est en charge de la réalisation de bronzes pour le serre-bijoux de la Reine, le duc devient son plus fameux commanditaire.
Les œuvres de Gouthière pour le duc d’Aumont comptent parmi les plus exceptionnelles. Grand amateur de pierres dures et de porcelaines asiatiques, Aumont, tout en se faisant aménager son hôtel particulier, aujourd’hui l’hôtel Crillon place de la Concorde, commanda au bronzier des montures en bronze doré destinées à mettre en valeur certaines pièces de ses collections, montures dont Bélanger fournit les dessins. Dispersées lors de la vente qui suivit le décès du duc en 1782, l’exposition est l’occasion de réunir une quinzaine d’entre elles.
Il n’y a pas de « style Gouthière » à proprement parler, mais plutôt une manière bien personnelle d’interpréter un modèle. Comme souvent lorsque les artistes ne signent que rarement leurs œuvres, certaines attributions se perdent et se brouillent. Certaines pièces de ses contemporains lui furent attribuées quand d’autres réalisées de ses mains furent données à ses concurrents. L’exposition s’attarde justement sur quelques bronziers contemporains qui excellèrent, chacun à sa manière, à ciseler le bronze et à employer la dorure au mat. Ainsi quelques œuvres de Forestier, Rémond, Feuchère et Thomire viennent enrichir cet extraordinaire savoir-faire des bronziers parisiens.
Si Pierre Gouthière fut célèbre à son époque, il travailla moins après la Révolution française, mais sa renommée courut jusqu’à sa mort en 1813. Tout au long du XIXe siècle, il ne cessa d’être admiré et son œuvre recherchée des amateurs, essentiellement français et anglais. Ces œuvres sont conservées en France au musée du Louvre, au château de Versailles, en Angleterre à la Wallace Collection de Londres, aux États Unis à la Frick Collection et dans plusieurs collections privées. L’exposition est l’occasion de les faire découvrir et aimer d’un plus grand nombre.
Le choix du musée des Arts décoratifs pour rassembler le temps d’une exposition une partie des œuvres produites par Pierre Gouthière n’est pas fortuit. Qui mieux que le musée des Arts décoratifs peut offrir une collection de référence en matière d’art décoratif français ? Conçu par ses pères fondateurs sur la volonté « d’entretenir en France la culture des arts qui poursuivent la réalisation du beau dans l’utile », l’institution compte depuis ses débuts d’importantes collections de dessins et d’estampes où l’ornement est roi et surtout une collection d’éléments en bronze ciselé et doré offrant un panorama complet de cette discipline à travers les âges. Il est donc apparu opportun de développer ces deux axes dans le cadre de l’exposition parisienne. Une sélection de pièces en bronze doré, choisies avec pertinence au regard de la production de Pierre Gouthière, sert d’introduction à l’exposition et permet d’initier le visiteur à cette technique particulière, composée d’un alliage de cuivre et d’étain dans des proportions variables, communément appelé bronze mais qui s’est révélé chez Pierre Gouthière être plus souvent un alliage de cuivre et de zinc, autrement dit du laiton, alliage plus adapté à la ciselure, à la soudure et à la dorure.
À partir de la pièce conservée au musée des Arts décoratifs, le bouton de porte-fenêtre provenant du pavillon de Louveciennes de la comtesse Du Barry, chaque étape du processus de fabrication est développée, du dessin à la pièce finale en passant par l’épreuve en bois, la cire, le moule, la fonte, la ciselure et la dorure grâce aux talents du sculpteur sur bois Vincent Mouchez et des bronziers Bernard et Gaël Deville. Ces étapes, composant un processus complexe où intervenaient un dessinateur ou un architecte, un sculpteur, un modeleur, un fondeur, un tourneur, un ciseleur et un doreur étaient maîtrisées par Pierre Gouthière. Sous l’ancien régime, les métiers, organisés en communautés de métiers, indépendantes et parfois rivales, étaient définis selon des statuts juridiques précis, établissant les droits et obligations de leurs membres. Pour devenir maître dans sa discipline, le futur artisan passait de l’état d’apprenti à celui de compagnon, puis présentait un chef-d’œuvre démontrant que le savoir-faire du métier était acquis. Ce n’est qu’après avoir prêté serment et acquitté les frais d’accession à la maîtrise, que le jeune maître pouvait s’établir à son compte. Pierre Gouthière fut reçu maître doreur et ciseleur sur tous métaux le 13 avril 1758. Sa virtuosité dans la transformation du métal en véritable œuvre d’art, lui permit d’obtenir le statut d’artiste en la matière.
Dans le processus créatif d’une œuvre en bronze doré, le dessin joue un rôle essentiel, modèle indispensable au bronzier dont le savoir-faire va permettre de passer de la deuxième dimension à la troisième. Aussi, le musée des Arts décoratifs tient-il à mettre en avant cette fonction des architectes, sculpteurs et ornemanistes qui travaillèrent de près ou de loin avec Pierre Gouthière, dont la production entre en résonance avec son œuvre, permettant de dresser un panorama des modèles qui circulaient, de ce style qui délaissa les exubérances de la rocaille pour une plus grande sobriété empruntée au vocabulaire du monde antique. Cette mutation dans les arts décoratifs français ressentie comme sobre par les uns ou comme rigoureuse par d’autres, Pierre Gouthière l’agrémenta d’un naturalisme exceptionnel. Un peu plus de 80 dessins ont été choisis pour mieux mesurer la source à laquelle le bronzier pouvait puiser son inspiration, découvrir les ornements à la mode et comprendre ce qu’il devait à quelques architectes et ornemanistes. Certains anonymes, d’autres dûs à des artistes comme François-Joseph Bélanger, Jean-Démosthène Dugourc, Pierre-Adrien Pâris, Jean-Louis Prieur, Gilles-Paul Cauvet révèlent ainsi les liens unissant les bronziers aux architectes, aux ornemanistes et à leurs commanditaires, tous protagonistes de l’évolution du décor intérieur.
Enfin comparer une sélection de pièces de Pierre Gouthière à celles de quelques-uns de ses contemporains a semblé pertinent afin de confirmer ce talent particulier de celui qui se rendit maître des dorures au mat. Ainsi autour de Pierre Gouthière, quelques œuvres de Quentin-Claude Pitoin, François Rémond, Pierre-Philippe Thomire permettent au visiteur de découvrir d’autres chefs-d’œuvre du bronze doré, puisant aux mêmes sources. Ces artistes, longtemps éclipsés par la renommée de Gouthière avaient, pour certains, bénéficié des difficultés financières rencontrées par l’artiste au milieu de sa carrière, profitant alors de commandes émanant de l’administration des Bâtiments du Roi et de clients privés. Toutefois leur activité restait mal connue. Exercice familier de l’histoire de l’art, la réattribution des œuvres rappelle que la mode autant que les connaissances acquises sur un artiste contribuent à faire fluctuer le nombre d’œuvres qui lui sont attribuées. Ainsi les travaux récents consacrés à quelques-uns de ces bronziers et la réattribution dont la production de Pierre Gouthière vient de faire l’objet, permettent d’apprécier la place de chacun et son tribut à l’élégance du décor intérieur français où le bronze tantôt souligne les lignes architecturales tantôt apporte une note d’originalité.
En savoir plus:
Au musée des Arts décoratifs à Paris jusqu’au 25 juin 2017
http://www.lesartsdecoratifs.fr