Paire de vases cornets en bronze doré à décor d’émail cloisonné polychrome, l’un bleu et l’autre vert et rouge. Ils sont agrémentés de deux anses annulaires et reposent sur quatre pieds surmontés d’une palme stylisée. L’ensemble est orné d’un décor dit byzantin.
La grande qualité de l’émail est typique de la production de Ferdinand Barbedienne. Il magnifie cette paire de vases, notamment par la grande variété de couleurs mises en œuvre pour le décor. Lisse et brillant, l’émail offre de nombreuses nuances pour composer ce décor byzantin parmi le réseau de cloisons. Ces dernières sont par ailleurs finement gravées et participent au décor en prenant la forme de feuillages et d’enroulements.
Le modèle :
Ces deux vases peuvent être rapprochés d’un vase présenté par Ferdinand Barbedienne à l’Exposition Universelle de Londres en 1862 et acquis à cette occasion par le South Kensington Museum (devenu depuis le Victoria and Albert Museum, Londres, Inv. 8026-1862). Ce vase présente sur sa panse un décor d’émail cloisonné polychrome se détachant sur un fond turquoise identique à celui visible sur cette paire de vases. Ce décor, appelé byzantin, se développe sur l’ensemble du vase en arabesques et rinceaux colorés. L’ensemble est supporté par des pattes en griffes ornées de têtes de chimères d’un dessin proche de celles de nos vases.
Barbedienne et l’email cloisonné :
Innovant constamment, Ferdinand Barbedienne réintroduit le décor d’émail dans le mobilier profane de la seconde moitié du XIXe siècle. L’atelier d’émail de la Manufacture de Sèvres avait déjà tenté l’expérience en 1854-1855, mais F. Barbedienne est le seul qui soit parvenu à intégrer à échelle industrielle les émaux dans une production d’objets de décoration. Dès 1858, on note que “chez M. Barbedienne, les émaux dans les ornements de cuivre ont retrouvé tout leur prestige d’autrefois” (in Les bronzes de la Maison Barbedienne, C. Simon, in L’Art du XIXe siècle, 1858, n°21, p. 252) et la Maison Barbedienne est alors pourvue d’un atelier d’émail où sont réalisés des objets ornés d’émaux de style oriental ou médiéval. Quatre ans plus tard, sa production d’émaux opaques cloisonnés remporte un vif succès à l’Exposition Universelle de 1862. A cette occasion, F. Barbedienne remporte des médailles dans trois catégories différentes : ‘Meubles d’Art’, ‘Orfèvrerie’ et ‘Bronzes d’art’, notamment pour l’heureuse combinaison du bronze et de l’émail (coupe de style oriental, château de Compiègne, Inv. C. 71-122).
La technique mise en œuvre pour produire ces émaux est tout à fait originale et diffère de la technique traditionnelle de l’émail cloisonné : en effet chez F. Barbedienne, les cloisons ne sont pas rajoutées par soudure sur la pièce à décorer mais sont directement obtenues lors de la fonte. Les cloisons font donc corps avec l’objet dès sa fonte et cette innovation technique permet ainsi d’obtenir des motifs d’une grande netteté et d’une grande régularité dans lesquels l’émail viendra se loger pour mettre en couleur le décor.
Les couleurs utilisées par la Maison Barbedienne participent elles aussi au succès de ses émaux et on vante alors les coloris utilisés qui “possèdent plus que tous les autres ces qualités d’éclat et de richesse que montrent les palettes des émailleurs gothiques et chinois” (in Gazette des Beaux-Arts, 1er décembre 1862, p. 542). L’ensemble est mis au service de créations émaillées originales, soit d’inspiration chinoise et japonaise abordant un décor naturaliste, soit d’inspiration persane et indienne avec un décor plus stylisé – comme c’est le cas pour cette paire de vases.
Biographies :
Louis-Constant Sévin (1821-1888) : formé au dessin et à la sculpture auprès du sculpteur-ornemaniste Antoine-André Marneuf (1796-1865), il s’associe en 1839 aux sculpteurs Phénix et Joyau et fournit des dessins aux plus grandes maisons d’orfèvrerie – Denière, Froment-Meurice et Morel. Pendant la Révolution de 1848, il rejoint Morel à Londres et lui crée des pièces qui sont alors exposées à l’Exposition Universelle de 1851. De retour en France, il participe à l’Exposition Universelle de 1855 en fournissant des modèles aux porcelainiers de Limoges Jouhanneaud et Dubois. C’est à cette époque qu’il travaille auprès de Ferdinand Barbedienne qui le nomme chef de ses décorateurs. Son œuvre est considérable : il donne, entre autres, les dessins des bronzes de l’hôtel de La Païva (avenue des Champs-Elysées) et fournit de nombreux modèles à Ferdinand Barbedienne. Il expose aux différentes expositions et reçoit une médaille “pour l’excellence artistique des meubles qu’il a dessinés et qui sont exposés par Barbedienne” à l’Exposition Universelle de Londres en 1862 et une Médaille d’Or pour sa qualité de coopérateur à l’Exposition de l’Union Centrale des Arts Décoratifs de 1863.
Ferdinand Barbedienne (1810-1892) : il a créé et dirigé au n°30 boulevard Poissonnière à Paris, l’une des plus importantes fonderies d’art pendant la seconde moitié du XIXe siècle. Déjà saluée par deux grandes médailles (Council medals) à l’Exposition de Londres en 1851, F. Barbedienne remporte à l’Exposition Universelle de 1855 à Paris, une grande médaille d’honneur et onze médailles de coopérateurs récompensant ses créateurs de modèles, comme Louis-Constant Sévin (1821-1888), ses ciseleurs avec Désiré Attarge (c.1820-1878) et ses monteurs. A l’Exposition Universelle de Londres en 1862, F. Barbedienne remporte des médailles dans trois classes différentes : meubles d’art, orfèvrerie et bronzes d’art, notamment pour l’heureuse combinaison du bronze et de l’émail. Avant-gardiste dans les techniques décoratives avec l’orfèvre parisien Christofle, les critiques d’art attribuent cependant la paternité de l’émail cloisonné à Barbedienne (voir “L’émaillerie moderne”, Gazette des Beaux-Arts, Alfred Darcel, t. XXIV, janv.-juin 1868, p° 75-84). Déclaré hors concours, en sa qualité de membre et de rapporteur du jury à l’Exposition Universelle de 1867, Ferdinand Barbedienne y expose cependant avec succès ses œuvres émaillées utilisant les techniques du cloisonné et du champlevé. Nommé Officier de la Légion d’Honneur, Barbedienne est fait Commandeur en 1878, suite à l’Exposition Universelle où le jury le compare à “un prince de l’Industrie et au roi du bronze”. Sa gloire ne tarit pas avec les années, puisqu’à l’Exposition Universelle de 1889, les critiques remercient Barbedienne de servir de maître aux autres bronziers, par la qualité toujours exemplaire de ses bronzes.