le musée Condé présente une partie totalement inédite de ses collections à l’occasion de sa saison néerlandaise. Illustre amateur d’estampes, le duc d’Aumale a réuni une collection de gravures au burin ou d’eaux fortes qui témoigne du fait que Rembrandt est loin d’être le seul artiste à avoir fait preuve de brio dans ce domaine.
Sommets de virtuosité technique, les paysages gravés par Jacob Van Ruisdael, les scènes de folklore rural d’Adriaen Van Ostade, les portraits d’Antoine Van Dyck, les soldats d’Hendrik Goltzius, les marines de Reinier Nooms dit Zeeman ou les vaches et moutons de Nicolaes Berchem et Paulus Potter conservés à Chantilly offrent un accès privilégié à ce que fut l’imaginaire collectif du Siècle d’or néerlandais – soit une époque qui s’est définie elle-même comme un âge d’or florissant et optimiste.
Jamais exposés jusqu’ici, ces chefs-d’œuvre gravés sont présentés pour la première fois aux visiteurs pour que chacun prenne conscience de l’extrême richesse artistique du Siècle d’or néerlandais et de la grande diversité de ses artistes.
Si la figure aussi superbe qu’écrasante de Rembrandt a souvent éclipsé ses contemporains, ceux-ci n’en ont pas moins réalisé des gravures qui occupent une place de premier plan dans l’histoire de cet art. Elles sont d’une portée historique et politique majeure, puisque la diffusion de ces gravures magnifiant chaque aspect de la vie quotidienne accompagne les révoltes contre la domination espagnole qui jalonnent toute la première moitié du siècle et aboutissent en 1648 à l’indépendance des Provinces-Unies des Pays-Bas.
Ces œuvres offrent ainsi un aperçu privilégié de ce que fut le Siècle d’or néerlandais, tant dans sa construction d’une identité culturelle que dans son émergence politique.
La période qui s’étend de 1581 à 1702, auto-proclamée « Siècle d’or » néerlandais, désigne une période de profondes mutations religieuses, politiques et économiques qui affectent les Provinces-Unies. Fortes de leur indépendance récemment conquise contre l’Espagne, elles s’érigent en République, renforcent leur économie et s’imposent comme le principal centre financier du nord de l’Europe. La part prise par l’estampe dans la diffusion des images et la constitution d’imaginaires collectifs la désigne comme un support privilégié pour témoigner ces différentes mutations.
Sublimer le réel
Les œuvres d’art participent activement de la construction d’une culture visuelle renouvelée qui diffuse les piliers de cette utopie collective qualifiée de « Siècle d’or ». Dans cette optique, l’estampe diffuse à large échelle des images fantasmées qui subliment le réel plutôt que de le représenter tel qu’il est. L’idéal d’une vie pastorale et idyllique ou les représentations de paysans flirtant dans les champs tandis que leurs troupeaux prennent des bains de soleil maquillent, par exemple, la réalité de la captivité, de l’élevage et de l’industrie laitière dans un siècle en proie à de nombreuses transformations agricoles et économiques.
En parallèle, l’estampe revêt également un rôle politique majeur – dans une veine quasi journalistique. Les gravures d’Hendrick Goltzius témoignent notamment de la nécessité de faire advenir une identité politique propre dans une nation nouvellement créée, d’où l’hommage que ses burins rendent aux soldats qui se battent pour conserver l’indépendance arrachée à l’Espagne par les Provinces-Unies. Les vues d’Amsterdam de Reinier Nooms, dit Zeeman, soulignent l’extraordinaire croissance de ce nouveau centre économique qui devient la première place financière du Nord de l’Europe.
Récurrentes dans les gravures du Siècle d’or, les marines insistent sur le fait que la puissance des Provinces-Unies découle de comptoirs commerciaux établis grâce à des routes maritimes qui font affluer des marchandises du monde entier à Amsterdam. Par le biais d’artistes tels Nicolaes Berchem, Paulus Potter, Karel Du Jardin, Ruisdael ou Ferdinand Bol, l’estampe magnifie chaque aspect de la vie quotidienne pour convaincre ses citoyens de l’avènement d’un âge florissant et optimiste.
Château de Chantilly
Cabinet d’art graphique
Exposition jusqu’au 25 février 2024