Parfums de Chine : la culture de l’encens au temps des empereurs

Cette exposition aborde de manière inédite la civilisation chinoise à travers l’art de l’encens et du parfum en Chine depuis le IIIe siècle avant notre ère jusqu’au XIXe siècle. Près de 110 objets d’art et d’archéologie rassemblés pour la première fois invitent à un véritable voyage à travers la civilisation chinoise.

Céramiques, dessins, bronzes ou toiles issus des collections du musée de Shanghai et présentés en Europe pour la première fois sont accompagnés par une vingtaine de pièces issues des collections du musée Cernuschi. La découverte de ces prêts exceptionnels va plonger le visiteur au cœur d’un parcours muséographique et sensoriel original ponctué par des expériences olfactives qui rythment les étapes du cheminement chronologique de l’exposition.

Chen Hongshou, Femme parfumant ses manches sur un brûle-parfum, détail, encre et couleurs sur soie, Dynastie des Ming (1368-1644).
(c) Musée de Shanghai

Doté d’une symbolique qui s’enrichit au fil du temps, le parfum permet d’aborder de  nombreux aspects de la culture chinoise. Depuis sa signification dans les pratiques liturgiques jusqu’à son association à l’art de vivre des lettrés, l’encens a suscité une grande diversité de productions artistiques. Des brûle-parfums aux tables à encens, l’histoire du parfum en Chine permet d’aborder les plus brillantes créations artistiques, et ce à travers une grande diversité de médiums. En effet, les œuvres présentées permettent au public de découvrir un vaste aperçu des savoir-faire des artisans de Chine, depuis les techniques des bronziers, des laqueurs, ou des sculpteurs sur bambou.
Enfin, un ensemble de peintures signées de grands noms, comme Chen Hongshou ou Qiu Ying, mettent en scène belles dames, ermites et lettrés dans leur rapport à l’encens, qu’il soit associé à la toilette, à la méditation ou au rituel.

UN PARCOURS HISTORIQUE ET OLFACTIF

1ère partie. L’encens : pratiques rituelles et profanes des Han aux Tang (IIIe siècle av. J.-C.-IXe siècle apr. J.-C.)

Pendant la période des Zhou (1046-256 av. J.-C.), la culture de l’encens était indissociable des rites, les parfums jouant un rôle d’intercesseurs entre les humains et les divinités. La combustion des différentes matières au cours des cérémonies produisait une fumée aux effluves puissants dans le but d’invoquer les dieux et les esprits, mais aussi de chasser les influences maléfiques, causes de maladies.

Suite à l’unification de l’empire en 221 av. J.-C., le développement des voies commerciales sous les Han (206 av. J.-C.-220 apr. J.-C.) permit d’introduire en Chine des bois et résines venus d’Asie du Sud-Est et du Moyen-Orient. Lors du règne de l’empereur Wudi des Han 漢武帝 (r. 141- 87 av. J.-C.), dont les conquêtes favorisèrent l’intensification des échanges diplomatiques et commerciaux, la cour bénéficiait d’un vaste éventail de parfums exotiques. La découverte du bois de santal (tanxiang 檀香), du camphre (naoxiang 腦香), du benjoin (anxixiang 安息香) et de l’encens (oliban ruxiang 乳香) – qui dégagent des parfums intenses – donna lieu à des compositions nouvelles, témoignant de l’apparition d’une culture de l’encens en dehors du contexte sacré.

Brûle-parfum tripode ajouré, céramique aux cinq couleurs et or, four de Jingdezhen, Dynastie des Ming (XIVe s. – XVIIe s. apr. J.-C.
(c) Musée de Shanghai

Le bouddhisme parvint en Chine sous le règne de l’empereur Mingdi des Han 漢明帝 (r. 57-75). Il fallut pourtant attendre les traductions des principaux textes sacrés du bouddhisme pendant la période des Six Dynasties (220-581) et des Tang (618-907) pour que les pratiques indiennes de l’encens fassent pleinement partie de la culture chinoise. Les bois et résines importés étaient en effet essentiels dans les offrandes rituelles bouddhiques d’encens, comme en témoigne une stèle du temple Famen 法門寺 commémorant les quantités importantes d’encens (oliban), de santal, et de girofle (dingxiang 丁香) offertes par l’empereur Yizong des Tang 唐懿宗 (r. 859-873).

En insistant sur l’importance des matières aromatiques en tant qu’offrandes rituelles, le bouddhisme a donné lieu à une iconographie nouvelle où la représentation des brûle-parfums et des fidèles offrant de l’encens occupe un rôle primordial. Parallèlement, la littérature de cette époque a offert de nombreuses images des usages du parfum dans la sphère profane.

Dans le Chant du palais retiré, le poète Bai Juyi 白居易 (772-846) évoque une beauté dont la jeunesse se consume dans la solitude :

« Femme au teint encore rose et déjà délaissée, Penchée sur son brûle-parfum, en attendant l’aube. »

Bourse à parfum à motifs de fleurs et de caractères « longévité shou » – Dynastie Qing (1644-1911) (c) Musée de Shanghai

 

Un parcours olfactif

Des expériences olfactives sont proposées aux visiteurs. Au fil du parcours, ils découvrent des recettes anciennes d’encens datant des grandes périodes de l’histoire de la Chine jusqu’au XIXe siècle : Six dynasties, Tang, Song, Ming et Qing.

Un parcours olfactif…

Le parfumeur-créateur de la maison Dior Parfums, François Demachy a réinterprété des parfums à partir des formules chinoises anciennes traduites et sélectionnées par le conseiller scientifique de l’exposition Frédéric Obringer (CNRS).

Dès le début de l’exposition les matières premières utilisées telles le bois d’aigle, le bois de santal, l’ambre gris, le musc, le patchouli, l’encens d’oliban, le styrax, le camphre, le clou de girofle et le benjoin sont présentées. Des éléments d’informations comme l’origine de la recette, ses principaux composants, les gestes qui président à la combustion de l’encens sont proposés parallèlement afin d’enrichir et de documenter la découverte olfactive du visiteur.

Brûloir à encens, porcelaine bleue et blanche, four de Jingdezhen, Dynastie des Ming
(XIVe s. – XVIIe s. apr. J.-C),
musée de Shanghai
© Musée de Shanghai

 

Borne olfactive

Recette des Six Dynasties, entre l’an 222 et 589
Recette du Parfum aux six ingrédients pour fumer les vêtements (Liu wei xun yi xiang 六味薰衣香)

Les matières premières utilisées sont ici le bois d’aigle, le musc, la résine de liquidambar, le clou de girofle…

2ème partie. Parfum et culture lettrée sous les Song et les Yuan (Xe -XIVe siècle)

Sous les Song (960-1279), les pratiques liées à l’encens sont transformées par la nouvelle élite lettrée dont le pouvoir est indissociable du savoir véhiculé par le livre imprimé et du recrutement des fonctionnaires impériaux par examens. Le parfum devient partie intégrante de la culture lettrée émergente.

Le développement des sciences qui caractérise cette époque s’accompagne de remarquables progrès dans les connaissances botaniques. De nombreuses plantes originaires de Chine, comme la pivoine (shaoyao 芍藥), le chrysanthème (juhua 菊花) ou l’orchidée (lanhua 蘭花), sont décrites et classifiées avec précision dans des traités spécialisés, tandis les végétaux exotiques qui, bien souvent, entrent dans la composition des parfums sont mieux connus grâce à des ouvrages de géographie comme celui de Fan Chengda 範成大 (1126-1193) sur la Chine méridionale.

Pour la première fois, plusieurs ouvrages uniquement consacrés aux parfums sont publiés. Si le Xiangpu 香譜 (Traité des parfums) de Hong Chu 洪芻 (vers 1115) est le plus ancien, l’ouvrage de Chen Jing 陳敬 (XIIe -XIIIe siècle), qui porte le même titre, est le plus célèbre. Ces sources écrites spécialisées permettent de connaître avec précision les matières de prédilection, les modes de composition et les usages de l’encens sous les Song.

Entre toutes les matières, le bois d’aigle ou bois d’aloès (chenxiang 沉香) s’impose. Ce bois dont le pouvoir odoriférant vient d’une résine qui se forme dans les arbres victimes d’une atteinte fongique ou bactérienne faisait déjà partie de la pharmacopée chinoise durant les dynasties du Nord et du Sud (420-589). Sous les Tang (618-907), l’encens de bois blanc (baimuxiang 白木香), un type de bois d’aigle de l’île de Hainan, est utilisé comme tribut et répertorié officiellement. Cependant, c’est sous les Song que la renommée du bois d’aigle de Hainan atteint son sommet : parfum préféré des lettrés, il sert de base pour la réalisation de nombreuses compositions.

Peinture représentant la consumation de l’encens, éventail circulaire en soie, AnonymeDynastie des Yuan
(XIIIe s. – XIVe s. apr. J.-C.), 5c) Musée de Shanghai

Les premiers bâtonnets d’encens, apparus sous les Song, gagnent en popularité sous les Yuan (1279-1368). Néanmoins, l’encens est encore très largement consommé sous la forme de galettes adaptées aux nouvelles formes des brûle-parfums conçues, à cette époque, pour le cadre domestique. La création de brûle parfums de petite taille aux formes d’une simplicité parfaite est indissociable du mode de vie des lettrés, qui accordent une place importante à l’encens dans leurs activités de lecture ou de méditation. Ces valeurs, partagées par l’empereur Gaozong des Song 宋高宗 (r. 1127-1162) en personne, qui ne dédaignait pas de composer des parfums, ont fait de l’encens une composante essentielle de la culture lettrée.

Borne olfactive

Dynastie des Song, entre l’an 960 et 1279
Recette du Sceau d’encens du grenier public de Dingzhou (Dingzhou gongku yinxiang
tiao 定州公庫印香條)

Les matières premières utilisées sont le bois d’aigle, le bois de santal, le patchouli…

3ème partie : L’encens comme art de vivre sous les Ming (XIVe -XVIIe siècle)
Le studio du lettré

Par bien des aspects, les élites de la dynastie Ming se considèrent comme les héritiers de la culture lettrée apparue sous les Song.
Au XVe siècle, le style de vie des lettrés est devenu un modèle social auquel aspire la classe aisée qui trouve dans l’éducation et les fonctions administratives le moyen de s’élever dans une société soutenue par une économie dynamique. Ainsi, les fonctionnaires, et les riches commerçants à leur suite, font rayonner la culture lettrée. L’encens joue un rôle majeur dans cet art de vivre codifié par Gao Lian 高濂 (act. 1580-1600) ou Wen Zhenheng 文震亨 (1585- 1645), qui s’imposent comme de véritables arbitres des élégances.

Les dix-huit lettrés, Anonyme, encres et couleurs sur soie, Dynastie des Ming (XIVe s. – XVIIe s. apr. J.-C).
(c) Musée de Shanghai

Signe social, l’encens est un attribut indispensable du cabinet d’étude du lettré. Il y fait l’objet d’une grande attention car, ici, chaque objet doit dénoter le goût de son propriétaire, comme le suggère Wen Zhenheng : « Placez une table japonaise grande et carrée sur le lit de jour. Vous y disposerez un brûle-parfum, une grande boîte pour l’encens maturé ou nouveau, deux petites pour le bois d’aigle et les galettes d’encens, notamment, et un vase à ustensiles pour l’encens. On ne peut pas utiliser deux brûle parfums dans un studio, ni placer le brûle-parfum sur une table disposée contre une peinture, ou encore le placer en symétrie d’un vase ou d’une boîte. En été, il conviendra d’utiliser un brûle-parfum en céramique et en hiver un en bronze. »

La matière des brûle-parfums, leur forme et leur provenance font l’objet de choix à la fois pratiques et esthétiques d’une grande précision. Il en va de même des boîtes et vases à instruments qui accompagnent le brûle-parfum. La qualité des aromates est bien sûr essentielle. Le santal (tanxiang 檀香), l’ambre gris (longxianxiang 龍涎香) et le bois d’aigle (chenxiang 沉香) peuvent être consumés purs, mais les nombreuses recettes de l’époque trahissent un goût pour les encens composés. À ces trois précieuses matières, on peut notamment ajouter du camphre (naoxiang 腦香), du clou de girofle (dingxiang 丁香), de l’avoine odorante (maoxiang 茅香), du musc (shexiang 麝香) et du nard de Chine (gansong 甘松).

« Brûle-parfum canard ». Bronze. Dynastie Han de l’Ouest (202 av. J.-C. à 220 ap. J.-C.).
(c) musée Cernuschi

Dans l’idéal lettré, le parfum, discret, s’adresse à un nez éduqué qui y décèle mille fragrances ; il révèle les gens « élégants » (ya 雅). Dans la société Ming, cette éducation est en lien avec l’érudition : parfum et littérature sont intimement associés. Ainsi l’on dit d’une belle peinture qu’elle diffuse un « parfum de littérature » et l’on distingue les beaux livres à leur incomparable parfum…

Borne olfactive

Dynastie des Ming, entre l’an 1368 et 1644
Recette de la fleur de jade (Yuhua xiang 玉華香)

Les matières premières utilisées sont l’encens de la fleur de jade, le bois d’aigle, le bois de santal, l’oliban, le clou de girofle, le musc, le camphre, l’huile de liquidambar, la cannelle…

4ème partie : L’encens comme art de vivre sous les Ming (XIVe -XVIIe siècle)

Dévotions privées

À l’intérieur des résidences des élites chinoises de la dynastie Ming, le parfum était présent dans la salle principale, où l’autel des ancêtres occupait une place centrale. Mais l’encens était également utilisé dans d’autres pièces, privées, où pouvait être disposé un autel bouddhique ou taoïste, sans exclusivité de culte selon le système de croyances de l’époque.

L’autel pour la dévotion privée, toutes traditions confondues, était garni d’un ensemble de trois ou cinq objets rituels (san/wu juzu 三/五具足) composé d’un brûle-parfum encadré d’un ou de deux chandeliers, et du même nombre de vases à fleurs. Ce mode de présentation, emprunté au temple, se retrouve dans d’autres contextes : ainsi, lors de fouilles archéologiques réalisées en 1972, une tombe de la région de Shanghai a livré un ensemble de cinq objets rituels en étain exposés dans cette salle.

L’encens accompagnait aussi la méditation. « Quand on médite, il faut purifier la pièce et brûler de l’encens », souligne Gao Lian 高濂
(act. 1580-1600), pour qui la méditation n’évoque pas seulement un recueillement bouddhique, mais aussi des pratiques de santé associées au taoïsme. Au XVIe siècle, la
méditation (jingzuo 靜坐) était une pratique courante chez les lettrés. Dans ce contexte, le parfum constituait à la fois un agrément participant au bien-être et une purification permettant d’assainir l’espace et de le protéger contre les influences néfastes. Un grand nombre de poèmes témoigne de l’association de l’encens à ces pratiques, ainsi qu’à celle de la lecture dans le cabinet du lettré :

« Seul en méditation, sous l’auvent du jardin tout est en quiétude ; [Dans] de pures aspirations, la saveur de la Voie s’éternise.
Dans ce paysage printanier, quelques livres et rouleaux : Activités discrètes se poursuivant [dans] les effluves d’un brûle-parfum »

Wen Zhengming 文徵明 (1470-1559).

5ème partie : L’encens comme art de vivre sous les Ming (XIVe -XVIIe siècle)

La chambre et les quartiers privés

En raison de sa nature subtile, de ses fonctions désodorisantes, purifiantes et thérapeutiques, le parfum occupait une place importante dans les espaces les plus intimes des intérieurs aisés.

En hiver, Gao Lian 高濂 (act. 1580-1600) propose d’emplir une calebasse de matière odorante et de suspendre des vases de fleurs autour du lit pour avoir « l’esprit détendu et des idées joyeuses ».
L’oreiller pouvait également contenir un sachet ou une galette de parfums. Ces galettes de poudres amalgamées servaient aussi à se parfumer directement en les suspendant à la ceinture ou au cou ; d’après Xiong Zongli 熊宗立 (1409-1482), les principaux ingrédients de ces recettes étaient la pivoine (shaoyao 芍藥), le santal (tanxiang 檀香), le clou de girofle (dingxiang 丁香) et le musc (shexiang 麝香).

Ces parfums pouvaient aussi être portés contre soi dans un étui à parfum en bambou ajouré. Le brûle-parfum portatif, en laque ou en bronze, était considéré comme indispensable pour les rencontres autour du thé, mais aussi pour parfumer les vêtements.

Certaines recettes étaient plus particulièrement réservées aux femmes. Celles-ci piquaient des fleurs dans leur chignon (jasmin, moli 茉莉, et osmanthe, guihua 桂花, en particulier), ou utilisaient de simples macérats (fleurs et huile de sésame). Mais les préparations complexes aux fonctions multiples abondent également dans les écrits de l’époque, qui rapportent la composition d’un grand nombre de cosmétiques. La plupart des substances médicales prescrites se caractérisent par un parfum agréable
et durable ; elles sont réputées « éclaircir l’esprit », « réjouir le cœur », favoriser la circulation du sang et des souffles (qixue 氣血), fonction spécialement indiquée pour les femmes selon la médecine traditionnelle. Ainsi le parfum n’est pas seulement conçu comme un agrément, mais un médicament.

Les parfums ne sont donc pas uniquement destinés à souligner un statut social, ils servent aussi à assurer santé et bien-être. Ces prescriptions correspondent à un idéal de corps sain d’où émane une fragrance agréable.

Borne olfactive

Dynastie des Qing, entre l’an 1644 et 1911
Recette de poudre pour parfumer les cheveux (Xiang fa fen 香髮粉)

Les matières premières utilisées sont le magnolia liliflora, le bois de santal, le réglisse, l’écorce de racines de pivoine, le clou de girofle, l’huile résineuse de liquidambar orientalis…

6ème partie : La tradition de l’encens sous les Qing (XVIIe -début du XXe siècle)

Le parfum à la cour

Les archives impériales de la dernière dynastie permettent de connaître la vie de la cour et de la Cité interdite de manière détaillée. Elles offrent une image saisissante de la valeur de l’encens. Dès le début de la dynastie, l’encens est en effet conservé dans les dépôts impériaux : il a le statut de bien d’État. L’approvisionnement de la cour en parfums précieux, en particulier en bois d’aigle (chenxiang 沉香), est alors assuré grâce aux envois des provinces du Sud à la capitale et aux tributs versés par les royaumes du Siam et de l’Annam.

Les usages rituels de l’encens occupent une place essentielle dans le système impérial. Les cérémonies d’État qui se tiennent principalement aux temples du Ciel, de la Terre, du Soleil, de la Lune, de l’Agriculture, ainsi qu’au temple des Ancêtres impériaux, s’accompagnent d’offrandes d’encens. Il en est de même des rites perpétués dans les mausolées impériaux et au cours des nombreuses autres cérémonies favorisées par la politique impériale d’ouverture religieuse.

Les archives impériales confirment aussi l’importance des encens dans la pharmacopée chinoise. Bois d’aigle (chenxiang 沉香), ambre gris (longxianxiang 龍涎香), Dalbergia odorifera (zijiangxiang 紫 降香), clous de girofle (dingxiang 丁香), santal blanc (baitanxiang 白檀香) sont régulièrement prescrits aux membres de la famille impériale.
Les ordonnances médicales de l’impératrice Cixi 慈禧 (1835-1908) et de l’empereur Guangxu 光緒 (1871-1908) révèlent un usage fréquent des parfums dans les traitements, sans compter les préparations parfumées pour les cheveux et la toilette.

Si ces ordonnances témoignent des connaissances pratiques en vigueur à la cour, les grandes encyclopédies impériales réalisent la synthèse écrite des savoirs et des textes anciens sur le parfum, de même que les travaux contemporains de lettrés comme Fang Yizhi 方以智 (1611-1671) qui a développé une approche expérimentale de l’encens et de ses composants, marquée par une forme d’objectivité scientifique novatrice.

Borne olfactive

Interprétation contemporaine de François Demachy, Parfumeur-créateur de la Maison Dior

basée sur la recette Qing

Les matières premières utilisées le magnolia, la rose, l’osmanthus et le jasmin sambac…

7ème partie : La tradition de l’encens sous les Qing (XVIIe -début du XXe siècle)

L’objet repensé

Si l’on considère les trois grands règnes de Kangxi 康熙 (r. 1661-1722), Yongzheng 雍正 (r. 1722-1735) et, surtout, Qianlong 乾隆 (r. 1735-1796), on constate que les objets pour l’encens créés pendant la dynastie Qing sont marqués par la préciosité des matières, la minutie du travail et la délicatesse de l’ornementation. Cette période est en effet caractérisée par un niveau de technicité inégalé dans presque tous les domaines de l’art. Ces nouvelles possibilités techniques favorisent la création d’objets repensés en fonction d’usages spécifiques de l’encens et déclinés dans de nombreux matériaux.

Ainsi, aux côtés des brûle-parfums (xianglu 香爐) dont les formes classiques se sont transmises depuis les Song, les brûle parfums cylindriques (xiangtong 香筒), les coupelles à encens (xiangpan 香盤), les porte-encens (xiangcha 香插) et les brûle parfums à encens imprimé (yinxianglu 印香爐) sont désormais d’un usage courant.

Cet esprit créatif appliqué à l’objet – que l’on appellerait aujourd’hui « design » – se retrouve chez des personnalités comme Li Yu 李漁 (1610-1680). Dans ses Notes quotidiennes pour une bonne santé (Xianqing ouji 閒情偶記), l’écrivain, revendiquant avec humour une forme de paresse, considère l’encens, l’ameublement et la décoration d’un point de vue essentiellement pratique, qu’il applique à tous les aspects de la vie quotidienne.

Dong Yue 董說 (1620-1686), auteur d’une Méthode d’encens sans fumée (Feiyan xiangfa 非烟香法) basée sur l’utilisation de la vapeur, accompagne pour sa part la description de brûle-parfums de son invention de considérations médicales et esthétiques originales. Quant à Ding Yun 丁澐 (1829-1879), inventeur d’un brûle-parfum à encens imprimé dont les différents éléments s’emboîtent pour former un ensemble cohérent, il est à l’origine d’une des dernières innovations de l’époque impériale.

Opposée à ce déploiement d’ingéniosité et de technique, une autre tendance du goût s’affirme à travers des objets directement sculptés dans la matière parfumée des bois rares venus du Sud. Ces coupes, rochers miniatures, éventails, simplement déposés dans le cabinet d’étude, témoignent d’une certaine permanence de la tradition lettrée de l’encens.

Infos pratiques:

Date: Exposition jusqu’au 26 août 2018

Lieu: Musée cernuschi –  7 avenue vélasquez 75008 Paris

Site internet:  http://www.cernuschi.paris.fr

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