Soieries impériales pour Versailles, collection du Mobilier national

Le Grand Trianon accueille, en partenariat avec le Mobilier national, une exposition consacrée à l’exceptionnelle commande de 1811 de Napoléon aux manufactures lyonnaises de soieries destinées à remeubler le château de Versailles. L’exposition revient sur le contexte historique de cette commande, sur les techniques de fabrication et sur la création de ces 80 km de soieries livrées par les manufactures lyonnaises. Jamais utilisé en raison de la chute de l’Empire, cet ensemble de textiles est aujourd’hui dans un état de conservation exceptionnel. Il constitue un témoignage éloquent des savoir-faire des soyeux lyonnais et du goût sous le Premier Empire.

une commande exceptionnelle

En février 1810, Napoléon, qui avait émis le souhait de réaménager Versailles, octroya un fonds spécial de six millions de francs à cet effet. Au même moment, les manufactures lyonnaises de soieries connaissaient de grandes difficultés. L’Empereur désira réaliser une grande commande pour les sortir de cette crise et leur dédia deux millions de francs. Entre 1811 et 1813, ce ne sont pas moins de 80 km d’étoffes qui seront livrées par les soyeux lyonnais au Garde-meuble impérial pour Versailles. L’exposition que proposeront le château de Versailles et le Mobilier national reviendra sur l’historique de cette grande commande. 

La première partie de l’exposition évoque le contexte historique et économique de cette commande exceptionnelle. Des échantillons d’origine et des documents d’archives illustrent l’implication des différents acteurs, des soyeux lyonnais à la méticuleuse administration impériale qui développa à cette occasion des techniques de vérification inédites. De plus, les progrès du domaine textile sont évoqués grâce à la présentation d’une machine à tisser à la mécanique Jacquard ou de techniques d’investigation dans le domaine de la chimie et de la teinture.

Une deuxième partie est consacrée aux aménagements architecturaux envisagés pour Versailles par Napoléon formant le contexte de la commande passée aux soyeux de Lyon. Débats d’architectes et évolution du goût entre l’Ancien Régime et le début du XIXe siècle sont évoqués notamment grâce à des dessins de Jacques Gondoin.

une expression des savoir-faire de la soierie lyonnaise

L’exposition propose ensuite de découvrir les projets de décor pour Versailles par les différents soyeux lyonnais et la destinée des soieries de la grande commande de Napoléon, notamment sous la monarchie de Juillet et le Second Empire. Les 80 km d’étoffes livrées en 1813 et jamais utilisées sous le Premier Empire témoignent de l’originalité inattendue des couleurs et des motifs retenus. Les soyeux de Lyon, relancés grâce cette commande considérable, rivaliseront d’audace pour satisfaire l’Empereur et son épouse. L’exposition présentera un ensemble unique de 120 soieries. 

Grâce à des échantillons de soieries très variés selon leur coloris et leurs motifs, l’exposition se penche sur l’univers des manufactures de Lyon sous le Premier Empire.

Enfin, exceptionnellement, la visite de l’appartement de l’Empereur au Grand Trianon est intégrée au parcours de l’exposition. Des échantillons des étoffes lyonnaises d’origine sont mises en regard des restitutions textiles. 

Vingt-huit manufactures
Au métier pour Versailles

Capitale de la soie depuis la Renaissance, Lyon compte sous l’Empire plus de deux cents fabricants de soie, employant jusqu’à 13 300 métiers à tisser. Ces soyeux, membres d’une même famille ou simples associés, emploient des dessinateurs communs, fusionnent parfois sous de nouvelles raisons sociales au gré de leur histoire et diversifient pour certains leurs activités dans d’autres villes (Cartier Fils, négociant à Paris, possède des métiers à tisser à Tours mais travaille avec Seguin & Cie à Lyon). Pour réaliser les étoffes de l’ameublement idéal de Versailles, le Garde-Meuble impérial sélectionne vingt-huit d’entre eux, répartissant les commandes en étoffes riches ou unies.

À côté de noms prestigieux tels Grand Frères ou Bissardon, Cousin & Bony, figurent ceux d’autres soyeux à l’activité moins importante mais tout aussi reconnus pour leur qualité. Si certaines de leurs étoffes sont réservées aux appartements impériaux, ils livrent principalement pour des appartements dits secondaires, dédiés aux princes, ministres ou grands officiers. Leurs compositions souvent plus simples dévoilent un attrait pour les motifs géométriques (Dutillieu & Théoleyre) et compartimentés (Chuard & Cie). Le vocabulaire floral s’y épanouit en majesté avec des frises, rinceaux et bouquets détachés, entre raffinement au naturel (J.M. Sériziat & Cie), stylisation parfois étonnamment moderne (Lacostat et Trollier & Cie) ou encore d’une fascinante densité (Corderier & Lemire).

Le grand Trianon,
la « seule maison de
printemps » de l’Empereur

À l’inverse du château de Versailles qu’il n’occupa finalement jamais, Napoléon prit rapidement possession des palais de Trianon, dont la remise en état commença dès 1805. Son intention était d’installer sa sœur Pauline Borghèse au Petit Trianon, de réserver pour Madame Mère l’aile gauche du Grand Trianon et l’aile droite pour lui-même. Le mobilier livré était simple, tout comme les étoffes. Mais la mère de l’Empereur refusa d’habiter à Trianon, jugeant la demeure malcommode et inadaptée aux besoins modernes. Une grande partie en fut démeublée, notamment au profit de Rambouillet.

Ce n’est qu’à partir de 1808 que Napoléon reprit les projets concernant le Grand Trianon et les enrichit à partir de 1810, en vue de son second mariage avec Marie-Louise. Il considérait alors Trianon comme « sa seule maison de printemps ». Ce nouvel ameublement est celui que l’on connaît aujourd’hui. Lors de la restauration d’envergure du Grand Trianon dans les années 1960, les soieries impériales furent retissées à l’identique, grâce aux fragments conservés au Mobilier national présentés dans l’exposition, permettant de retrouver l’aspect luxueux de ces décors.

L’ensemble du décor textile des palais de Trianon fut l’œuvre d’un des tapissiers les plus importants de l’Empire, François-Louis Castelnaux-Darrac. Travaillant à son compte pour la Couronne à partir de 1806, notamment pour les palais de Compiègne et de Strasbourg, il devint à partir de 1809 l’un des tapissiers les plus sollicités par le Garde-Meuble impérial. En plus d’avoir fourni l’ensemble des ameublements des palais de Trianon en 1810 et 1811, il travailla également pour l’hôtel Marbeuf, alors résidence de Joseph Bonaparte à Paris ou encore le palais Monte Cavallo à Rome.

«Une dépense
faite pour cent ans»

Sur les métrages livrés en 1813, Napoléon accepte quelques prélèvements destinés au palais de l’Élysée à Paris ou à celui de Monte Cavallo à Rome. L’ambitieux projet élaboré pour Versailles n’ayant pas abouti, outre ces métrages, la commande de 1811 n’a pas été utilisée sous le Premier Empire.

À la chute de l’Empire, 68 403,86 mètres d’étoffes de cette commande restent dans les magasins du Mobilier impérial. Ils procurent à la Restauration une exceptionnelle réserve de soieries d’ameublement employées pour rénover le décor des anciens palais impériaux. Ils servirent par exemple pour les appartements de la duchesse de Berry au palais des Tuileries, de l’Élysée et pour celui du duc d’Orléans au pavillon de Marsan (Tuileries). Sous Louis-Philippe, les éléments de tenture prévus pour la chambre du grand appartement de l’Impératrice sont remis au chasublier Biais pour réaliser des vêtements liturgiques. Le Second Empire continua de puiser dans ce stock pour renouveler les ameublements, notamment au château de Fontainebleau.

Les exemples de réemplois et d’usages successifs des tissages de 1811 – 1813 jusque sous la Ve République sont nombreux. Napoléon Ier avait émis le vœu, pour ses ameublements, d’avoir « des choses très solides, telles que ce soit une dépense faite pour cent ans ». La commande de 1811 l’exauça au-delà de ses espérances.

Tenture du cabinet de repos du petit appartement de l’Impératrice [détail], par Bissardon, Cousin & Bony, 1811-1812, satin brodé (soie), Paris, Mobilier national. © Mobilier national / Isabelle Bideau

Du dessin Au tissage,
L’art de la soie lyonnaise

L’Italie a dominé la fabrication de soieries en Europe jusqu’au milieu du XVe siècle. Louis XI, à Lyon puis à Tours, développa cette industrie à partir de 1466 et fut imité par François Ier qui, à l’aide d’importants moyens, permit la production d’étoffes de grande qualité à Lyon, bien que l’on continuait à importer les plus belles étoffes d’Italie à cette époque. Comme pour de nombreuses activités artisanales sous l’Ancien Régime, les métiers participant à la fabrication de soieries étaient regroupés à Lyon dans un groupement de fabricants appelée la Grande Fabrique puis la Fabrique lyonnaise.

Les grandes innovations dans le domaine du tissage et du dessin au début du XVIIIe siècle permirent aux soyeux lyonnais de développer des savoir-faire uniques et de gagner en raffinement pendant le XVIIIe siècle, créant des motifs toujours plus élaborés.

La réalisation d’une étoffe à motifs nécessite différentes étapes et l’intervention de plusieurs corps de métiers avant le tissage. Toute étoffe à motif a pour base un dessin. Les dessinateurs spécialisés dans ce domaine, aujourd’hui souvent inconnus, étaient membres de la Grande Fabrique. Ils se formaient à l’École gratuite de dessin de Lyon (devenue École royale académique de dessin et de géométrie en 1769) et parfaisaient souvent leur formation aux Gobelins à Paris. Les dessinateurs étaient à la fois de grands créatifs et souvent d’excellents techniciens car leur revenait souvent la responsabilité de l’étape de la mise en carte. Malheureusement peu de dessins préparatoires nous sont parvenus car ils étaient souvent détruits après la réalisation de la mise en carte.

La mise en carte est une étape indispensable dans le processus de fabrication d’une étoffe à motifs. Considérée comme la traduction du dessin en tissu, sa réussite détermine la qualité de la soierie. Le processus de mise en carte est apparu au XVIIIe siècle, à une époque où les dessins devenaient de plus en plus complexes. Pour mettre en carte, le dessin préparatoire était reporté sur un papier quadrillé de traits horizontaux représentant la trame et verticaux figurant la chaîne. Différents formats de papier quadrillé existaient en fonction de la complexité du dessin à reporter. Ainsi, le metteur en carte peignait à la gouache les carreaux qui accueillaient les motifs.

Une fois la mise en carte terminée, elle était transmise au liseur qui préparait le métier à tisser. Le liseur lisait chaque ligne du papier de mise en carte et reproduisait le dessin en séparant les cordes verticales avec des cordes horizontales. Lorsque le petit carré était peint, la corde horizontale passait sous la corde verticale, et lorsqu’il était vide, la corde horizontale passait devant la corde verticale.

Le liseur pouvait travailler sur deux types de métiers : le métier à la grande tire et le métier à mécanique Jacquard. Avec le premier type, l’ouvrier séparait les fils de chaîne en fonction des motifs souhaités et passait sa navette reliée au fil de trame au milieu des fils de chaîne. Avec la mécanique Jacquard, un système ingénieux de cartes perforées ordonnait la levée ou la baisse des fils de chaîne pour le passage du fil de trame.

L’émulation autour des développements mécaniques (mécanique Jacquard, régulateur, etc.), de la teinture et du dessin ont grandement contribué au développement de la soie lyonnaise.

Exposition jusqu’au 23 juin 2024
Grand Trianon
, Château de Versailles

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