Le XVIIIe siècle est une période de révolution culinaire où se définit un goût nouveau. L’abandon d’une cuisine riche et épicée, au profit d’une recherche de « naturel » dans les saveurs, se double d’une fantaisie inégalée dans la mise en scène de repas offerts comme des spectacles.
Alliant curiosité et gourmandise, la nouvelle exposition proposée par le musée du château des Lumières entend faire revivre une dimension méconnue de l’art de vivre brillant cultivé à Lunéville au XVIIIe siècle : la gastronomie et les arts de la table. « Bien plus qu’une exposition, une invitation gourmande à la table des ducs de Lorraine », prolongée exceptionnellement jusqu’au 29 février 2016 !
Chez les ducs de Lorraine, la réputation de Stanislas Leszczynski (1677-1766), dernier hôte du château, n’est plus à faire. Du baba au rhum aux madeleines, ce fin gourmet à la silhouette généreuse a permis l’écriture des belles heures de la pâtisserie. Mais au-delà de cette image d’Epinal, le XVIIIe siècle est une période de révolution culinaire où se définit un goût nouveau. L’abandon d’une cuisine riche et épicée, au profit d’une recherche de « naturel » dans les saveurs, se double d’une fantaisie inégalée dans la mise en scène de repas offerts comme des spectacles. Cet âge d’or donne à la gastronomie française ses lettres de noblesse et sa réputation, européenne puis mondiale. C’est la place de la cour de Lorraine dans ce temps d’excellence que l’exposition entend mettre en lumière.
Pionnière dans une mode appelée à se répandre dans l’aristocratie, la duchesse Elisabeth-Charlotte (1676-1744), épouse du duc Léopold de Lorraine, innove dès le début du XVIIIe siècle en passant derrière les fourneaux. Cette pratique culinaire, vécue comme un loisir, est à mettre en rapport avec le goût naissant pour les repas de plein air, qui tempèrent le formalisme traditionnel des rituels de table toujours en vigueur à la cour. C’est également le souci du confort qui justifie la création à Lunéville de l’une des premières « tables volantes » connues en Europe. Grâce à Elisabeth-Charlotte, une nouvelle fois, la cour de Lorraine est à la pointe du progrès en matière d’art de vivre.
L’exposition fournit l’occasion de percer les secrets de cette ingénieuse invention, qui faisait apparaître les plats comme par enchantement… Stanislas Leszczynski, ancien roi de Pologne devenu duc de Lorraine en 1737, ajoute sa note de fantaisie en donnant aux repas de fête une extravagance inégalée. Avec ce souverain fantasque, collations et desserts poussent la sophistication jusqu’à faire ressembler les tables à des jardins à la française, ornés de jets d’eau et de fleurs en sucre, peuplés d’un cortège de statuettes en faïence. Au travers du prisme du château et des arts de cour, c’est tout un terroir qui est mis en valeur.
La faïence, un savoir-faire aujourd’hui emblématique du Lunévillois, commence son histoire au début du XVIIIe siècle et prend son envol avec Stanislas. L’esprit d’innovation qui anime les artisans leur permet de satisfaire des besoins nouveaux en matière d’arts de la table, alliant esthétique et utilité. C’est ce que démontrent les pièces rares issues des collections du musée, exposées ici pour la première fois.
Des saveurs riches, entre terroir et envies d’ailleurs
La lecture des livres du duc Léopold de Lorraine nous révèle la richesse et la variété des produits consommés à la cour. Les fruits de mer proviennent de la mer du Nord et de la Manche, tandis que les olives, les agrumes et le parmesan arrivent directement de Méditerranée. Jambons de Westphalie ou de Mayence font la route depuis l’Allemagne. Quant aux truffes, avant d’évoquer le sud-ouest de la France, il faut se souvenir que la Lorraine était alors une terre de production. C’est pourtant de Périgueux qu’Elisabeth-Charlotte fait venir les pâtés dont elle se régale.
La tradition du maraîchage, qui marque encore le paysage lunévillois, peut trouver une origine aristocratique dans les charmants potagers que l’incontournable duchesse Elisabeth-Charlotte fait planter pour son plaisir autour du château, dès les premières années du XVIIIe siècle. Déjà, asperges, petits pois, melons et fraises s’alignent dans les jolies plates-bandes avant de faire la joie des gastronomes. Si le vin de Bourgogne règne en maître dans les caves ducales, le Champagne, que les soupers parisiens du Régent viennent de mettre à la mode, émoustille les palais délicats de ses fines bulles jusqu’à Lunéville. La place d’honneur reste pourtant au Tokay, avec ses saveurs liquoreuses venues de Hongrie. Dans l’intimité propice des boudoirs du château, le café, le thé et le chocolat apportent enfin une touche d’exotisme pour rythmer les après-midis des dames de la cour.
Des gestes et des hommes
Au-delà de la vie aristocratique, l’exposition entend jeter un regard nouveau sur l’important personnel des cuisines, composé de près de 80 personnes aux fonctions bien définies. Dans ce château de l’ombre règne une vie intense, de la rôtisserie à la paneterie en passant par l’office du « fruit » dédié aux desserts. Ceux-ci sont élaborés par l’un des chefs d’office de Stanislas, Joseph Gilliers, qui a compilé ses recettes dans son Cannaméliste français, l’un des ouvrages les plus précieux de l’histoire de la pâtisserie et de la confiserie en France. Les planches illustrées dévoilent notamment les secrets du pastillage, cette pâte qui triomphe sur la table des desserts, devenue jardin à la française, où les broderies de massepain fleurissent de bouquets de sucre.
Les splendeurs du service à la française
Véritable célébration, le service à la française, qui règne alors sur l’Europe, codifie les grands repas publics des souverains comme ceux de la noblesse. Rompant avec les usages actuels, il propose en vagues successives des dizaines de plats, mis en scène sur la table selon une subtile géométrie. Les grands absents de la table sont les verres, disposés sur un buffet secondaire et apportés à la demande aux convives. Le service de la boisson ajoute ainsi au pittoresque de ce rituel qui exalte, au-delà du bien-manger, l’idée politique de la représentation du pouvoir.
La faïence ou l’innovation au service du goût
Dès la fin du XVIIe siècle, les arts de la table donnent jour à des objets nouveaux, adaptés à l’évolution des recettes. Orfèvres et céramistes rivalisent d’inventivité et de talent pour décorer les tables de la cour et satisfaire les exigences des gourmets. L’art de vivre cultivé au château rayonne sur son territoire et contribue à la créativité des faïenciers. Des fours de Lunéville sortent terrines, pots à oille et saucières, avec l’amusante ribambelle des pots à crème… Spectaculaires ou plus intimistes, ces objets s’adaptent aux nouvelles formes de sociabilité, à l’image de la tisanière qui accompagne les rêveries de boudoir .
Spectaculaires ou plus intimistes, ces objets s’adaptent aux nouvelles formes de sociabilité, à l’image de la tisanière qui accompagne les rêveries de boudoir.
Quand la technique rejoint la gourmandise : sur les traces de la « table volante »
Enfin, l’exposition offre l’opportunité de découvrir un lieu mythique, que les dernières recherches permettent de faire revivre grâce à la technologie numérique. La « table volante », imaginée dès 1705 par l’épouse du duc Léopold, est un ingénieux mécanisme permettant au couple ducal d’être servi en toute intimité, sans la présence de domestiques. Cette innovation allait devenir une véritable mode et conquérir toute l’Europe élégante, jusqu’aux palais de la lointaine Russie.
L’exposition s’inscrit dans un véritable parcours gastronomique, qui permet aux visiteurs de s’approprier le château de Lunéville sous un angle nouveau. La visite, sous la conduite d’un médiateur, se prolonge par la découverte d’un lieu inédit : les cuisines situées dans les caves et récemment rendues à leurs volumes du XVIIIe siècle. Sur les traces des vestiges de la table volante, le visiteur sera replongé dans l’atmosphère de cette ruche bourdonnante où s’affairaient quotidiennement plus de 80 personnes. Invitez-vous à la table des ducs de Lorraine pour un moment de découverte gourmande!
En savoir Plus:
http://www.chateauluneville.meurthe-et-moselle.fr/